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Les zones d’ombre de la Sun Valley

- Frédéric Arnould

Alors que l'inflation et les taux d’intérêt atteignent des sommets, le fossé entre les plus riches et la classe moyenne ne cesse de se creuser. Ce qui se passe dans la Sun Valley en Idaho illustre bien ce constat des deux Amé‐ riques.

Dans le décor majestueux des montagnes Rocheuses du centre de l’Idaho, le paysage idyllique pour les amateurs de ski est plusieurs fois par jour perturbé par le son des allées et venues de jets privés des plus riches de la planète qui habitent non loin d’ici.

Arnold Schwarzene­gger, Tom Hanks, Clint Eastwood, Bill Gates ou encore Mark Zu‐ ckerberg fréquenten­t le petit aéroport de Hailey, une ville développée au fil du temps par des célébrités comme Bruce Willis. Des habitués tels que Clark Gable, Errol Flynn, Marilyn Monroe et Ernest He‐ mingway ont aussi aidé dans le passé à façonner la région au gré de leurs visites.

À quinze minutes de route au nord se trouve Ketchum, un charmant village touris‐ tique non loin des pistes de ski de la Sun Valley. Alors que les coups de marteau reten‐ tissent au centre, Michael Da‐ vid contemple le projet de constructi­on d’appartemen­ts à coût abordable qui devrait donner un petit coup de main au problème criant du manque de logements.

Le coût des terrains est tel‐ lement élevé ici, explique-t-il, et maintenant, avec ce qui se passe en matière d'inflation, le coût de la constructi­on a également augmenté. Il ré‐ sume assez bien les contrastes qui sévissent ici. La bonne vieille blague à Ket‐ chum : soit vous avez trois maisons, soit vous avez trois emplois pour survivre.

Il sait de quoi il parle, il fait lui-même partie de la deuxième catégorie. En plus d’être conseiller municipal, il est aussi annonceur sportif et travaille dans une boutique de ski du village.

Dans ce magasin, tout ce dont on parle, c’est de la quête difficile de l’immobilier. Avec des loyers de 2000 ou 3000 $ US par mois, la situa‐ tion est difficile.

Cela fait deux ans que je cherche un logement. J’ai un ami qui me prête sa maison quand il n’est pas ici. Sinon, je couche sur le sofa chez ma mère.

Michael David, conseiller municipal à la ville de Ket‐ chum en Idaho

Doug Yeates, le proprié‐ taire du magasin de ski, est aussi touché par cette flam‐ bée des prix.

En ce qui concerne le ma‐ gasin, il a été assez difficile d'avoir de nouveaux em‐ ployés qui trouvent un en‐ droit pour vivre. Nous avons eu un gars qui est venu au‐ jourd'hui pour demander un emploi et la première ques‐ tion que nous avons posée était : "Eh bien, avez-vous un endroit pour vivre ici?" Et il a dit : "Oui." C'est donc possible, mais c’est rare.

Chez Johnny G’s Sub Shack, un restaurant qui a ses habitués, Gretchen Gorham, la propriétai­re, déplore cette hausse du coût de la vie. J'ai trois enfants qui sont de jeunes adultes qui sont nés et ont grandi ici, et ils n'auront pas la possibilit­é de revenir vivre à Ketchum.

Bref, le paradis n’est qu’en surface, selon Michael David…

Sous ce paradis, vous sa‐ vez, je l'ai décrit comme un château de cartes qui semble merveilleu­x. Mais ce que vous avez en dessous, ce sont, entre autres, des travailleu­rs à l'épicerie qui ont quatre em‐ plois et qui sont fatigués et parfois grincheux.

Debra Hall est agente im‐ mobilière à Hailey. Selon elle, la flambée des prix que connaît la région est typique de la situation aux États-Unis. Les gens ont vendu leurs mai‐ sons en Californie, à Seattle et à Portland, de grandes mai‐ sons, où ils ont fait de gros profits. Et ils sont venus ici avec une somme d'argent considérab­le, ce qui a causé, à cause de notre inventaire limi‐ té, des guerres de prix et des offres multiples et tout cela a fait monter en flèche le mar‐ ché.

Non loin de l’aéroport des milliardai­res et des célébrités, il y a la banque alimentair­e de Bellevue, un peu plus au sud, qui grouille d’activité. Il y a quelques mois, on y préparait environ 300 boîtes de nourri‐ ture par semaine pour les mé‐ nages dans le besoin. Mainte‐ nant, le nombre a bondi jus‐ qu’à près de 500. Kristin Mc‐ Mahon, directrice des com‐ munication­s, constate la dure réalité d'un nombre grandis‐ sant de résidents de la région.

Surtout avec l'inflation, les prix des aliments et de l'es‐ sence qui augmentent, cer‐ tains pour s’acheter de la nourriture vont à Twin Falls, qui est à une heure de route afin d'obtenir des produits d'épicerie plus abordables. Mais maintenant, l'essence coûte tellement cher que nous nous sentons tous en quelque sorte coincés sur place.

Parlant de contrastes, avec un salaire minimum de 7,5 $ US en Idaho, il est quasi impossible pour une famille de s’en sortir ici. Il faudrait en‐ viron un revenu de 110 000 $ US par an juste pour survivre ici, selon les calculs.

Dans un tel contexte, dans cette région coûteuse, le conseil municipal de Ketchum a proposé d’augmenter les impôts pour financer des lo‐ gements abordables, pour‐ tant essentiels afin de conser‐ ver les employés nécessaire­s dans les commerces.

Michael David, qui était aux premières loges du vote, n’a pu que constater l’échec face à cette propositio­n. Le projet n’a pas été adopté, car pour ce genre d’augmenta‐ tion, il fallait 60 % des votes, un seuil qui n’a pas été at‐ teint. Ce qui enrage Gretchen Gorham, la propriétai­re du resto populaire de la munici‐ palité. J'ai le sentiment très fort que nous vivons dans la ville du Magicien d'Oz. Vous savez, les gens disent une chose et puis derrière un ri‐ deau fermé, ils en font une autre.

À l’approche des élections de mi-mandat du 8 no‐ vembre, elle pense que le pays est beaucoup trop pola‐ risé entre la droite qui ne veut rien faire et la gauche qui n’ar‐ rive pas à soulager le fardeau des Américains en difficulté. Les gens veulent se débarras‐ ser de n'importe quel politi‐ cien, quel que soit son pro‐ gramme. Et je m'inquiète, car je pense qu'il y a eu beaucoup d'écrans de fumée à propos de l'inflation dans notre pays en ce moment. J'ai l'impres‐ sion que c'est un peu une pé‐ riode sombre pour les Améri‐ cains qui ne sont même pas capables de se rapprocher pour trouver un compromis.

Michael David, le conseiller municipal sans domicile fixe, attend avec impatience la fin de la constructi­on de loge‐ ments abordables en plein coeur du village touristiqu­e, car pendant ce temps, le nombre de sans-abri continue d’augmenter.

Il y en a qui vont installer leur motorisé ou leur tente ou

quoi que ce soit, puis se ren‐ dront en ville pour le travail.

Mais cela devient de plus en plus difficile à faire. Et seules les personnes les plus ro‐ bustes peuvent survivre à un hiver dehors ou dans leur voi‐ ture.

Entre les jets privés qui dé‐ collent et la banque alimen‐ taire qui dessert maintenant presque une personne sur trois dans la région, ce sont deux Amériques qui s’éloignent de plus en plus.

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