La laitue et le Parti conservateur britannique
La vidéo était devenue un symbole des déboires de Liz Truss.
La semaine dernière, le ta‐ bloïd The Daily Star a publié sur son site Internet une vi‐ déo montrant une photo de la première ministre à côté d’une pomme de laitue. Le but? Laquelle des deux allait survivre le plus longtemps.
C’est finalement la laitue qui l’a emporté. À peine 44 jours après avoir mis les pieds au 10 Downing Street, Liz Truss a démissionné.
Je ne peux pas remplir le mandat que le Parti conserva‐ teur m’a donné, a expliqué la première ministre dans sa brève déclaration pour justi‐ fier son départ.
Lors de notre passage à Londres pour l’annonce des résultats de la course à la di‐ rection, il y a seulement six se‐ maines, un député conserva‐ teur admettait être inquiet des propositions de Liz Truss en matière d’économie.
La cheffe du gouverne‐ ment britannique, élue par quelque 170 000 membres du Parti conservateur seulement en septembre, l’a emporté sur son adversaire à la course à la direction en promettant no‐ tamment des baisses d’impôt.
Rapidement après son ar‐ rivée au pouvoir, son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, a annoncé la mise en applica‐ tion de ces promesses, dont des baisses d’impôt pour les Britanniques les mieux nantis.
Il s’en est suivi une chute de la valeur de la livre sterling et des inquiétudes de la Banque d’Angleterre quant à la stabilité financière du pays.
D’abord défendus, le mi‐ nistre des Finances et son mi‐ nibudget ont été sacrifiés. Kwasi Kwarteng, ami de longue date de Liz Truss, a été poussé à démissionner ven‐ dredi. Son successeur, le vété‐ ran Jeremy Hunt, a rapide‐ ment affirmé que des erreurs avaient été commises. Il a d’ailleurs effectué un virage à 180 degrés sur plusieurs des propositions fiscales du gou‐ vernement.
Selon Catherine Fieschi, présidente du groupe d’ana‐ lyse Counterpoint, cet épi‐ sode laissera des marques au Parti conservateur.
Leur marque de com‐ merce, c'était qu’ils savaient gérer l'économie alors que les travaillistes ne faisaient que dépenser [...] Liz Truss est la preuve qu’ils ne savent plus gérer l'économie. Et ça, je pense que c'est le dernier clou dans le cercueil.
Catherine Fieschi, prési‐ dente de Counterpoint
Chaos et confusion
Les six semaines et des poussières de mandat de Liz Truss, dont 12 jours ont été marqués par le deuil national de la mort de la reine, ont donné lieu à plusieurs épi‐ sodes chaotiques.
Uniquement cette se‐ maine, la leader parlemen‐ taire conservatrice Penny Mordaunt a dû expliquer que Liz Truss n’était pas sous un bureau pour justifier l’ab‐ sence de sa cheffe pendant une partie d’un débat d’ur‐ gence.
Mercredi, une motion pré‐ sentée par les travaillistes sur la question du gaz de schiste, devenue un vote de confiance à l’endroit du gou‐ vernement, a été le théâtre de scènes de confusion.
Plusieurs députés n’ont pas voulu voter pour leur propre gouvernement. Les whips, responsables de la dis‐ cipline au sein du parti, ont menacé de démissionner avant de revenir sur leur déci‐ sion.
Le comble : prise dans le tourbillon, Liz Truss s’est ellemême abstenue de voter.
C’est honteux, conster‐ nant, a déclaré le député Charles Walker, qui a ouverte‐ ment critiqué les membres conservateurs qui ont permis à Liz Truss de se retrouver à la tête du gouvernement, affir‐ mant que les dommages qu’ils avaient faits au parti sont énormes.
Aussi courte qu'ait été cette période, elle a pu pa‐ raître une éternité pour les stratèges conservateurs. La chute de la cote de popularité du parti, déjà en baisse en rai‐ son des scandales liés au gou‐ vernement de Boris Johnson, s’est accélérée.
Un sondage Yougov publié fin septembre donnait ainsi aux travaillistes une avance de 33 points de pourcentage sur les conservateurs. Le fos‐ sé a continué de se creuser avec un nouveau sondage rendu public en début de se‐ maine et plaçant les troupes de Liz Truss à seulement 20 % des intentions de vote contre 56 % pour les travaillistes de Keir Starmer.
Un 5e chef en 12 ans
Le parti, très divisé, se lance à nouveau dans une course à la direction. Ce pro‐ cessus éclair, qui doit prendre fin d’ici le vendredi 28 oc‐ tobre, permettra au parti de choisir son cinquième chef en 12 ans.
Rishi Sunak, l’adversaire défait par Liz Truss en sep‐ tembre, et même Boris John‐ son, qui vient à peine de quit‐ ter Downing Street, seraient sur la ligne de départ.
Plutôt que ce soit unique‐ ment les conservateurs qui décident de l’avenir du pays, l’opposition travailliste croit que le temps est venu pour l'ensemble de la population de se prononcer dans le cadre d’élections générales.
Les dernières élections, que Boris Johnson a rempor‐ tées de manière décisive, ont eu lieu en 2019. À moins que Downing Street décide de dé‐ clencher une campagne anti‐ cipée, ou qu’un vote fasse tomber le gouvernement, le prochain scrutin est donc pré‐ vu en 2024, voire au début de 2025.
Entre-temps, la population britannique a d’autres soucis que la tragédie politique qui secoue Westminster sur une base quasi quotidienne. Le pays est frappé de plein fouet par une crise énergétique et par l’augmentation rapide du coût de la vie.
Cette semaine, les autori‐ tés annonçaient que l’infla‐ tion en septembre avait dé‐ passé les 10 % sur une pé‐ riode d’un an. Même cette pomme de laitue, rendue cé‐ lèbre par Liz Truss, a vu sa va‐ leur augmenter, passant, se‐ lon les données officielles, de 52 à 65 pences au cours de la dernière année.