Biden relance l’avortement pour contrer la stratégie républicaine
WASHINGTON - « Je vous promets que la première loi que j’enverrai au Congrès visera à codifier [l’arrêt Roe c. Wade] », a tonné le président améri‐ cain Joe Biden mardi, lors d’un événement du Comité national démocrate à Wa‐ shington. « Et dès que le Congrès l’aura adoptée, je la signerai, en janvier, pour les 50 ans [de cette décision juridique]. »
Depuis le début de la cam‐ pagne électorale de mi-man‐ dat aux États-Unis, la ques‐ tion de l’avortement a galva‐ nisé les foules et mené à des percées pour le Parti démo‐ crate, explique en entrevue Todd Belt, professeur et direc‐ teur du programme de science politique à l’Université George-Washington.
C’est notamment le cas dans l’État conservateur du Kansas où, à la surprise géné‐ rale, la population s’est oppo‐ sée à un amendement consti‐ tutionnel visant à bannir l’avortement, rappelle-t-il. Ou encore, lors de l’élection spé‐ ciale dans l’État de New York, où le représentant démocrate Pat Ryan l’a emporté après une campagne axée sur cet enjeu.
Donc la question, pour les démocrates, c’est de garder cet enjeu prioritaire, souligne le professeur Belt, et c’est la raison pour laquelle on a vu Joe Biden faire cette annonce [mardi]
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Les républicains changent de discours
Mais l’enjeu du droit à l’avortement est de plus en plus occulté par ce qui consti‐ tue la préoccupation princi‐ pale des Américains, toutes al‐ légeances politiques confon‐ dues : l’économie, selon de nombreux sondages. Et ce thème, exploité par les répu‐ blicains, n’est pas à l’avantage des démocrates, estime Todd Belt.
Les républicains ont com‐ mencé à marteler la question de la criminalité dans les villes avec un certain succès. Et ré‐ cemment, ils ramènent l’immi‐ gration, analyse M. Belt. Les démocrates, eux, mettent de l’avant le bilan de Joe Biden et veulent ramener l’avortement à l’avant-plan, parce que son importance a vraiment dimi‐ nué depuis que les républi‐ cains ont réussi à rassembler leur discours au sujet de l’in‐ flation.
Selon un sondage publié
ce lundi par l’Institut Siena avec le New York Times, c’est même chez les électrices indé‐ pendantes que la bascule vers le Parti républicain est la plus importante. Les démocrates battent désormais de l’aile, avec 18 points de retard dans cette tranche de l’électorat, comparativement à 14 points d’avance en septembre.
Qui plus est, face au manque de popularité des positions anti-avortement, les candidats républicains ont commencé à changer leur message, évitant le sujet et l’enlevant même de leurs sites Internet, rapportait le New York Times mercredi dernier.
Un nombre record de ré‐ férendums sur l’avorte‐ ment
Même si les républicains évitent désormais de parler d’avortement, le sujet sera de facto un enjeu dans les urnes dans cinq États le 8 novembre prochain, dans le cadre de ré‐ férendums locaux. Il s’agit d’un nombre record en une seule année, selon l’encyclo‐ pédie numérique Ballotpedia.
États où un référendum porte sur la question de l’avortement le 8 no‐ vembre : Californie
: Les électeurs décideront s’ils veulent ins‐ crire le droit à l’avortement dans la Constitution de l’État. Kentucky : L’avortement est déjà interdit au Kentucky de‐ puis le renversement de Roe c. Wade. Comme au Kan‐ sas, les électeurs pourront se prononcer pour inscrire cette interdiction dans leur Consti‐ tution. Michigan : Les élec‐ teurs devront décider s’ils veulent protéger le droit à l’avortement en l’ajoutant à leur Constitution. Un tel ajout protégerait l’État du retour d’une loi anti-avortement da‐ tant de 1931, qui est présen‐ tement contestée en cour. Vermont : Les Vermontois pourront décider d’inscrire le droit à l’autonomie reproduc‐ tive dans leur Constitution. Montana : L’avortement est présentement interdit au Montana après la viabilité du foetus, à moins d’un risque pour la vie ou la santé de la mère. Les électeurs devront se prononcer sur une mesure controversée visant à obliger les médecins à prodiguer des soins aux enfants nés vivants, peu importe leur état de san‐ té, au risque de faire face à des pénalités allant de 50 000 $ à 20 ans de prison.
Rappelons que l’arrêt Roe c. Wade protégeait le droit à l’avortement aux États-Unis depuis près d’un demi-siècle. Il a été invalidé par la Cour suprême en juin dernier, permettant à chaque État de légiférer sur la ques‐ tion.
Selon une recension ré‐ cente du Washington Post, 14 États ont depuis interdit l’interruption volontaire de grossesse. Dans sept autres, des interdictions ont été blo‐ quées. De plus, parmi les 29 États où l’avortement est toujours légal, le droit est pro‐ tégé dans 20 d’entre eux, mais menacé dans 9 autres.
Au coude-à-coude pour le Sénat
Selon plusieurs analystes, dont la firme Cook Political Report et le média d’analyse politique Politico, les démo‐ crates seraient en voie de perdre leur majorité à la Chambre des représentants. Les dés ne seraient toutefois pas jetés pour le contrôle du
Sénat, où les démocrates pourraient encore conserver la majorité.
Et le Sénat est détermi‐ nant pour la protection du droit à l’avortement, explique Todd Belt : Si les républicains prennent le Sénat, ils vont être capables d’empêcher les nominations de juges par Joe Biden. Pourquoi c’est si im‐ portant? Parce que les États qui vont passer des lois sur l’avortement pourraient être contestés dans des cours fé‐ dérales. Les juges vont être extrêmement importants, audelà de cette élection-ci.
Reportage réalisé dans le cadre d'un stage au bureau de Radio-Canada à Washing‐ ton, grâce à une bourse de la Fondation de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).