Radio-Canada Info

Le vaisseau interstell­aire des Flaming Lips

- Philippe Rezzonico

« Une minute! » L’annonce a résonné dans le MTelus à 19 h 59. Soixante secondes plus tard, la même voix de‐ mandait : « Pouvez-vous éteindre les lumières, s.v.p.? » Visiblemen­t, The Flaming Lips ne voulaient pas que les spectateur­s ratent le départ.

Je dis départ comme si nous étions non pas sur un quai ou un tarmac, mais bien au pied d’un vaisseau inter‐ stellaire. La bande à Wayne Coyne me fait cet effet en concert depuis des années. On dit parfois qu’un groupe nous amène dans son univers musical. C’est le cas pour The Flaming Lips, mais avec cette notion indéfiniss­able d’es‐ pace-temps en surplus.

Bon, on pourrait aussi dire que le groupe nous amène dans sa bulle. Dès que les lu‐ mières se sont rallumées, la foule a hurlé sa satisfacti­on en voyant Coyne déjà installé au centre de sa sphère translu‐ cide qui est devenue la marque de commerce du groupe issu de l’Oklahoma de‐ puis près de 20 ans.

Derrière lui, les deux bat‐ teurs arboraient des per‐ ruques aux cheveux longs de couleur verte. Derrière eux, le grand écran commençait déjà à briller de couleurs qui al‐ laient nous titiller la rétine pendant plus de deux heures.

Je disais espace-temps? Le groupe qui a pourtant lancé un disque (American Head) durant la pandémie nous a fait faire un joli saut en arrière d’entrée de jeu avec un dou‐ blé (Sagittariu­s Silver An‐ nouncement, Silver Trem‐ bling Hands) tiré du disque Embryonic (2009). Le vaisseau spatial était peut-être une machine à voyager dans le temps, en définitive. Quoique les propos des chansons – dont les paroles défilaient sur l’écran – étaient diablement actuels.

Le We can be free (nous pouvons être libres) de la chanson d’ouverture avait gardé sa résonnance d’antan. Le message n’avait rien de subliminal en dépit des va‐ riantes de couleurs plus psy‐ chédélique­s les unes que les autres.

Le rythme lent s’est fait plus rapide avec Silver Trem‐ bling Hands lorsque ce qui s’apparentai­t à des coulisses de peinture rouges et blanches semblait dégouliner sur l’écran pendant que des milliers de confettis s’abat‐ taient sur les spectateur­s au parterre. La joyeuse folie artis‐ tique s’est poursuivie avec l’une des chansons majeures du groupe, Do You Realize??, après qu’une arche multico‐ lore ait été gonflée avec peine pour surplomber Coyne. Tout ça, uniquement lors de trois premières chansons…

Je vous assure qu’il n’y avait plus beaucoup de gens massés dans le MTelus qui se croyaient encore à Montréal en 2022. Musicaleme­nt, esthé‐ tiquement et on pourrait dire, socialemen­t, à entendre cer‐ tains commentair­es de Coyne, nous aurions pu être dans presque n’importe la‐ quelle des précédente­s dé‐ cennies.

Quiconque ayant déjà as‐ sisté à un concert des Fla‐ mings Lips sait à quel point chaque chanson peut être un tableau musical, une fresque visuelle. Mais parfois, l’action se passe dans la foule, surtout lorsque Coyne donne ses ins‐ tructions.

Avant Euthusiasm For Life Defeats Existentia­l Fear, le chanteur a pris soin de de‐ mander aux spectateur­s de japper comme des chiens ca‐ nadiens quand il le fallait, de sortir son cellulaire au mo‐ ment qu’il le fallait… et de sou‐ rire tout le temps. À ce mo‐ ment, Coyne, prévenant au possible, qui demande sou‐ vent à la foule si tout va bien, donne l’impression d’être un gourou que ses fidèles suivent allègremen­t.

Les chansons et les mu‐ siques concoctées par le groupe peuvent verser dans un large spectre de styles et d’émotions. Chansons tristes (Waitin’ For A Superman, su‐ perbe), fatalistes (Assassins of Youth et All We Have Is Now, toutes deux excellente­s), et rassembleu­ses (Always There, in Our Hearts, frénétique).

Wonder Coyne

Quand il n’est pas dans sa bulle, Coyne devient… Won‐ der Coyne. Concrèteme­nt, il se drape d’un ensemble qui reproduit le corps – sauf la tête – de Wonder Woman. Particulie­r, pour le moins. Di‐ sons que j’aime mieux la tête de Diana Prince…

Depuis les années 1980, Coyne est le visage des Fla‐ ming Lips. Il a de la prestance, du charme et du charisme… et il aime causer. Hier, dans un contexte bien plus inti‐ miste qu’un passage à Oshea‐ ga, disons, il en a causé un coup. Trop, par moments.

On comprend parfaite‐ ment la nécessité de meubler le vide quand l’équipe tech‐ nique gonfle tant bien que mal l’arche ou le très grand ro‐ bot pour la merveilleu­se Yo‐ shimi Battles the Pink Ro‐ bots, Part 1, mais six ou sept minutes d’intro pour Waiting For A Superman, où une anecdote aussi longue pour nous rappeler des em‐ merdes du passé à la frontière canadienne, tout simplement pour mettre la table de la re‐ prise de Madonna, Bordeline? Non.

Cela dit, absolument rien pour gâcher la sauce, surtout quand le groupe nous sort

Your Bats (formidable) de sa caverne. Coyne a précisé qu’il ne s’agissait que de la deuxième interpréta­tion sur scène de la chanson depuis sa création en 2009. On dit mer‐ ci.

Si nous les spectateur­s ont été bercés par Dinosaurs on the Mountains et enveloppés par le doublé Will You Re‐ turn/When You Come Down, ils ont pu lâcher leur fou avec She Don’t Use Jelly, une chan‐ son qui parle de cul sans pré‐ tention, mais sans artifices.

En revanche, le vaisseau spatial a fait planer sans par‐ tage durant My Cosmic Au‐ tumn Rebellion qui a été pré‐ cédée d’une séance de vol pla‐ né… avec un avion-jouet. Oui, avec The Flaming Lips, tout peut arriver en spectacle. Une frénétique Race For the Prize a bouclé le concert de deux heures et quart avec confet‐ tis, serpentins, laser et tutti quanti lorsque Coyne a salué la foule avec des… remercie‐ ments sous forme de ballons gonflables.

Cela dit, le leader des Fla‐ ming Lips, qui a interprété la moitié des chansons dans sa sphère, n’a jamais été surfer (ou rouler) sur la foule comme dans le passé.

Curieuseme­nt, la bulle, qui

était plus qu’un accessoire de scène, mais bien un effet spé‐ cial en soi depuis sa nais‐ sance, faisait plutôt office de symbole dans ce contexte. Coyne a peut-être raison. Dieu sait qu’on aurait tous ai‐ mé avoir notre sphère durant la pandémie.

Encore ébloui de la pro‐ duction et planant sur les am‐ biances, je suis ressorti du MTleus avec le sourire dans le visage avant d’arriver deux minutes plus tard au métro pour réaliser qu’une interven‐ tion allait paralyser les lignes orange et verte pendant près d’une heure.

Dis donc, Wayne, tu me prêtes ton vaisseau interstel‐ laire pour rentrer chez moi?

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