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Zachary Richard, batailler pour le français et la planète

- Fanny Bourel

Pour ses 50 ans de carrière, le grand Zachary Richard est présenteme­nt en tour‐ née au Québec pour parta‐ ger avec le public Danser le ciel, un album sorti au printemps dernier dans le‐ quel il revisite son réper‐ toire. Après toutes ces dé‐ cennies, il est toujours aus‐ si engagé, que ce soit pour la protection du français en Amérique du Nord ou pour l'environnem­ent.

C’est accompagné d’un or‐ chestre de chambre et d’amis musiciens que Zachary Ri‐ chard reprend ses succès, comme L’arbre est dans ses feuilles, Pagayer ou encore Cap enragé, dans Danser le ciel. Ce projet m’a permis d’ap‐ profondir le regard sur mon répertoire et d'explorer cer‐ taines harmonies, a-t-il expli‐ qué en entrevue avec Patrice Roy. Bien que ce soit les mêmes mélodies, ce sont de nouvelles chansons.

Pouvoir enregistre­r avec un orchestre de chambre était très excitant, car ce n’est pas mon monde, a-t-il ajouté. Moi, je viens du folk.

Sur le disque et sur scène, il interprète notamment Au bord du lac Bijou, une chan‐ son d’amour qu’il avait écrite au bord d’un lac de sa Loui‐ siane natale, puis rangée dans un tiroir. Vingt ans plus tard, il l’a ressortie pour la dépous‐ siérer, revigoré par sa partici‐ pation au premier Congrès mondial acadien, en 1994, alors qu’il menait une carrière en anglais, 15 ans après avoir quitté le Québec.

Autre classique renouvelé : La ballade de Jean Batailleur. Ce morceau est né, d’un coup, à la suite de ce même congrès et d’une joyeuse ivresse cau‐ sée par une bière blanche bue sur la rue Ontario, à Montréal, pendant qu’il écoutait Milord, d’Édith Piaf.

Je viens d’un pays de ba‐ tailleurs, de sauvages, a-t-il souligné à Patrice Roy.Jean Batailleur est le cri sauvage de quelqu’un de mauvais qui ne veut pas l’être. C’est la ten‐ dance autodestru­ctrice que nous avons tous à l’intérieur de nous, le combat entre le bien et le mal dans son propre coeur.

Choisir l’espoir

Si Zachary Richard est bien conscient de la menace constante, qui pèse sur le français en Amérique du Nord, il refuse de se laisser ga‐ gner par le pessimisme.

À l’époque de mes grandparen­ts, en 1900, 85 % des ha‐ bitants du sud-ouest de la Louisiane étaient des uni‐ lingues francophon­es. C’est sûr qu’on ne va jamais retrou‐ ver ça, a-t-il dit.

La question n’est pas de savoir si ça va plus mal ou mieux, mais qu’allons-nous faire pour préserver le fran‐ çais et le promouvoir?, a-t-il poursuivi. Je ne me permets pas d’être découragé.

Pour lui, l’important est d’être en action.

L’espoir, ce n’est pas comme pogner à la loterie. C’est un choix et un engage‐ ment!

Zacahry Richard, chanteur Il faut aller de l’avant, se confronter aux défis, et sur‐ tout, comme le dit mon amie [l’écrivaine acadienne] Anto‐ nine Maillet, avoir confiance en l’avenir et faire place à la surprise qui ne sera pas forcé‐ ment mauvaise.

Aimer la planète, et donc la protéger

En plus d’avoir fait de la défense de la langue française le combat de sa vie, Zachary Richard milite aussi pour la préservati­on des milieux na‐ turels. Ces deux luttes trouvent leurs racines dans le même terreau : l’amour.

J’aime la culture française en Amérique du Nord et j’aime l’environnem­ent. Quand on aime des choses et qu’on les voit être menacées, c’est une réaction humaine et naturelle que de vouloir les protéger.

Je ne pense pas avoir fait un effort extraordin­aire, s’estil défendu. Il y en a d’autres qui font tellement plus que moi et qui continuent de faire plus que moi.

En s’engageant pour ces causes, l’artiste de 73 ans n’a le sentiment que de suivre son coeur et de perpétuer des valeurs inculquées par ses pa‐ rents. J’ai été élevé dans une famille où [la notion de] ser‐ vice à la communauté est très importante. Mon père m’a montré que, pour être bien, il faut donner.

Mais où va le Québec?

En juin dernier, le premier ministre François Legault a mis en garde contre une pos‐ sible « louisianis­ation » du Québec si la province ne contrôle pas davantage l’im‐ migration. Le chanteur cajun accepte ce terme, même s’il trouve que c’est un peu dé‐ rangeant pour un Louisianai­s de l’entendre.

Si je reproche quelque chose à ceux qui parlent de louisianis­ation, c’est juste de ne pas être suffisamme­nt nuancés par rapport à la réali‐ té que nous vivons tous les jours [en tant que] commu‐ nautés de langue minoritair­e en Amérique du Nord.

Depuis sa première décou‐ verte émerveillé­e du Québec en 1975 et l’effervesce­nce de la victoire de René Lévesque en 1976, Zachary Richard a vu la province changer, et au‐ jourd’hui il ressent une cer‐ taine confusion, et même une perplexité devant les débats sur l’identité qui animent la province présenteme­nt.

Il y a un certain brouillard qui s’est installé. Avant, c’était plus clair : on voulait un pays indépendan­t, on était pour ou contre. Là, je trouve que le Québec est devenu un laby‐ rinthe entre les questions d'accommodem­ents, d’immi‐ gration, d’assimilati­on. Il y a tellement de nuances, de questions, de pièges que moimême je perds un peu le nord au Québec.

J’ai passé la moitié de ma vie ici, la moitié de mon coeur est bleu avec une fleur de lys, mais quelque part je me de‐ mande : "qu’est-ce que vous êtes, qu’est-ce que nous sommes, en train de faire?" Zachary Richard, chanteur L'artiste croit qu’il faut donner aux jeunes et aux per‐ sonnes immigrante­s des rai‐ sons de vouloir parler le fran‐ çais.

Ce n’est pas à moi de vous dire quoi faire, [mais] je serai fier de pouvoir assister à la réalisatio­n d’une nation qui s’assume pleinement.

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