La crise climatique au service du recrutement de l’armée
Les Forces armées cana‐ diennes (FAC) sont aux prises avec une pénurie de main-d'oeuvre sans précé‐ dent. Il manque environ 10 000 militaires, soit envi‐ ron 10 % de l'effectif total. Pour attirer des milliers de recrues, la ministre de la Défense se tourne vers un nouveau combat : la lutte contre les changements climatiques, qui fait office d'argument de vente au‐ près des recrues poten‐ tielles.
Nous sommes samedi ma‐ tin. Rien n'est laissé au hasard au Collège militaire royal de Saint-Jean-sur-Richelieu
(CMR) : cet établissement mili‐ taire ouvre ses portes à tous les curieux qui pourraient être tentés par une carrière au sein de l’armée. Les groupes qui défilent sur le campus sont principalement compo‐ sés de jeunes en quête d’un projet pour poursuivre leurs études.
Au milieu du groupe, un homme sort du lot. Il s'agit de David Guité, 39 ans, qui rêve d'entrer au Collège et de de‐ venir militaire.
Moi, ça m'impressionne depuis que je suis tout petit. C'est un rêve de petit garçon. David Guité
David Guité a décroché avant la fin du secondaire et a fait carrière dans le domaine de la construction. Il a mainte‐ nant quitté son emploi et a déménagé avec sa conjointe de sa grande maison en Gas‐ pésie pour occuper un petit appartement à Saint-Hubert en attendant de finir ses études et de s'enrôler dans l'infanterie.
[...] Aller aider des sinistrés, participer au sauvetage de fa‐ milles prises dans des régions qui n’ont pas d'aide, j'aimerais ça pas mal plus que la guerre.
De nombreuses occa‐ sions
C'est le type de recrues qui arrive à point nommé pour la ministre de la Défense, Anita Anand. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles on peut choi‐ sir les Forces, par exemple l’ouragan Fiona ou les feux de forêt. Tout le monde, les jeunes et les plus vieux, veut avoir des possibilités, répond la ministre lorsqu’on lui de‐ mande comment elle compte s’y prendre pour rendre l’ar‐ mée plus attrayante.
En 2010, les FAC ont lancé l'opération LENTUS, dont la raison d'être consiste à ré‐ pondre aux besoins de la po‐ pulation canadienne lors de catastrophes naturelles, comme cela a récemment été le cas lors du passage de l'ou‐ ragan Fiona.
D’ailleurs, les soldats sont de plus en plus souvent ame‐ nés à participer à des mis‐ sions d’aide dans le cadre de cette opération qui a donné lieu à 38 déploiements, dont sept en 2021.
Mission à redéfinir
La lutte contre les change‐ ments climatiques semble être sur toutes les lèvres lors‐ qu’il est question de recrute‐ ment. La majore générale Lise Bourgon, qui a pour mission de regarnir les rangs des Forces armées, n'hésite pas à dire que l’aide aux sinistrés lors de catastrophes natu‐ relles est une des raisons d’être de l’organisation, tant au pays qu’à l’étranger. Ellemême se remémore son ex‐ périence à remplir des sacs de sable lors d’inondations à Ha‐ lifax comme un des souvenirs les plus satisfaisants de sa car‐ rière militaire.
Les FAC misent également sur un nouveau programme spécialisé en sécurité clima‐ tique qui verra le jour en 2024 au Collège militaire royal de Saint-Jean-sur-Richelieu. C'est une combinaison des sciences climatiques avec de la géopo‐ litique, explique Bruno Char‐ bonneau, directeur du Centre sur la gouvernance sécuritaire et de crise (CRITIC) au Collège militaire royal de Saint-Jeansur-Richelieu.
Lui-même a étudié au Col‐ lège dans les années 1990. [À l’époque], l’argument de vente était l'idée du soldat de la paix. C'était l'âge d'or des mis‐ sions de maintien de la paix, raconte-t-il.
Bruno Charbonneau croit que la réponse à la crise clima‐ tique doit aujourd'hui faire partie de l'argument de vente des Forces armées. C'est inévi‐ table qu'on va faire des inté‐
ressés. En tout cas, du point de vue d'Ottawa, le fait qu'ils approuvent le programme re‐ flète aussi les besoins des Forces canadiennes tels qu'il les perçoivent eux-mêmes.
L'importance de l'armée
Et les besoins ne se li‐ mitent pas aux opérations en territoire canadien. Lors de son sommet en 2021, l’OTAN s’est positionnée comme l’or‐ ganisation internationale dé‐ sireuse d'établir l'ordre du jour en matière de sécurité cli‐ matique.
Le Canada a alors annoncé son intention d'être l'hôte d'un centre d'excellence en la matière. Ce centre, qui sera basé à Montréal, doit ouvrir ses portes l’an prochain. Si on met tout ça ensemble, je pense qu'on pourrait revoir, penser ou repenser ainsi que redéfinir pour ajuster la mis‐ sion des Forces, ajoute-t-il.
Le général à la retraite An‐ drew Leslie, qui a été chef d'état-major de l'armée de terre et qui a siégé comme dé‐ puté libéral à Ottawa, est sceptique face à ce virage. De‐ puis plusieurs années, il est très critique à l’endroit des gouvernements qui pro‐ mettent des déploiements ou l’envoi d’équipement militaire sans assurer la pérennité des ressources humaines et mili‐ taires.
Au gouvernement libéral, ce sont des pacifistes. Ils ne comprennent pas l'utilité des Forces.
Andrew Leslie, général à la retraite et ancien député fé‐ déral libéral
Selon lui, la guerre en
Ukraine doit servir de rappel au gouvernement quant à l’importance de son rôle de force de défense. Le rôle fon‐ damental de l'armée cana‐ dienne et de toutes les ar‐ mées de l'OTAN, comme on le voit aujourd'hui avec ce qui se passe en Europe, c'est d'être prêtes à se battre contre un ennemi.
Mission no 1 : recruter
Plus tôt ce mois-ci, le chef d'état-major des Forces ar‐ mées canadiennes, le général Wayne Eyre, a ordonné à ses troupes de faire du recrute‐ ment une priorité, et ce, même au détriment d'autres activités jugées non essen‐ tielles.
Une nouvelle campagne de recrutement sera lancée au début de 2023. En moyenne, le ministère de la Défense nationale dépense de six à huit millions de dollars par année pour mener des campagnes de promotion liées au recrutement dans les FAC.
Avec la collaboration de Marie Chabot-Johnson