Radio-Canada Info

Ottawa et la spirale incontrôla­ble des navires militaires

- Marc Godbout

Ceux qui avaient prédit que les futurs navires de combat canadiens coûte‐ raient deux fois plus cher que prévu faisaient rire d’eux au milieu des an‐ nées 2000. Les responsabl­es de l'approvisio­nnement mi‐ litaire les regardaien­t de haut.

À ce jour, aucun ministre n’a voulu avouer la perte de contrôle de ce programme vi‐ sant à construire 15 des‐ troyers pour la Marine royale canadienne.

Le double des coûts antici‐ pés? Que diriez-vous du triple?

Voilà que le directeur par‐ lementaire du budget (DPB) Yves Giroux estime mainte‐ nant à 84,5 milliards de dollars le développem­ent et l’acquisi‐ tion d'une telle flotte. Le bud‐ get initial prévu pour ce projet était de 26,2 milliards en 2008.

Les retards de plusieurs années dans la conception et la constructi­on, jumelés à l’in‐ flation particuliè­rement im‐ portante sur les chantiers na‐ vals, expliquent en grande partie cette explosion. Au rythme où vont les choses, les derniers bâtiments construits seront mis à l’eau avec quatre ans de retard. C’est le scénario le plus optimiste.

Mais le rapport du DPB dé‐ posé hier aux Communes dé‐ voile un autre chiffre encore plus astronomiq­ue : 306 mil‐ liards. Il représente l’ensemble des coûts liés aux navires éta‐ lés sur 65 ans, de leur déve‐ loppement jusqu’à leur dé‐ mantèlemen­t. Une budgétisa‐ tion à long terme.

À notre connaissan­ce, le ministère de la Défense n’a ja‐ mais publié une analyse du cycle de vie, a indiqué Yves Gi‐ roux. Avec de telles prévi‐ sions, on peut facilement comprendre pourquoi la Dé‐ fense nationale et le gouver‐ nement se sont bien gardés d’exposer l’ensemble du por‐ trait. Il aura fallu que le Comi‐ té permanent des opérations gouverneme­ntales et des pré‐ visions budgétaire­s demande au DPB de s’y attarder pour obtenir des réponses.

306 milliards pour 15 na‐ vires, l’heure est-elle grave?

Avant même la publicatio­n du rapport du DPB, Allan Williams, un ancien sous-mi‐ nistre adjoint au ministère de la Défense, avait lancé une mise en garde.

Aller de l'avant mettrait ni plus ni moins en faillite les comptes d'immobilisa­tions et d'entretien du ministère pour les 30 prochaines années.

Allan Williams, un ancien sous-ministre adjoint au mi‐ nistère de la Défense

Selon lui, les coûts de ce programme dépassent à eux seuls le financemen­t total dis‐ ponible au sein du ministère de la Défense nationale pour acquérir et entretenir les biens d'équipement de l'ar‐ mée, de la marine et de la force aérienne combinées.

Le risque est que l’achat de ces navires se fasse au détri‐ ment du reste des projets d’acquisitio­n, hypothéqua­nt ainsi les opérations militaires.

Ce qui n'a aucun sens, c'est de ne pas recommence­r le processus. Ce programme est inabordabl­e, ajoutait Allan Williams dans une récente analyse.

Pour le gouverneme­nt li‐ béral, le contexte géopoli‐ tique changeant et la guerre en Ukraine ont facilité la tâche de justifier de nouvelles dé‐ penses en défense et de convaincre les Canadiens de leur utilité. Mais le Canada ne peut pas tout se payer.

Même si les dérapages des F-35 ont marqué l’imaginaire, le dossier des navires de com‐ bat risque de devenir un autre boulet, plus lourd même.

Avec ce programme d'ac‐ quisition de navires, le gou‐ vernement Trudeau a devant lui un bateau qui prend l’eau. Il devra colmater les brèches avant que ce ne soit lui qui écope.

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