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Faut-il revoir le mandat de la Banque du Canada?

- Gérald Fillion

La perspectiv­e d’une réces‐ sion en mène plusieurs à remettre en question le mandat de la Banque du Canada. Si, sur le plan poli‐ tique, il est populaire de ci‐ bler la banque centrale comme étant responsabl­e d’une partie de nos mal‐ heurs, dans les faits, il est sain et tout à fait perti‐ nent de se poser des ques‐ tions sur sa mission.

Ce mandat, qui a été re‐ nouvelé et légèrement amen‐ dé en 2021, est défini par la Loi sur la Banque du Canada. Selon l’entente conclue avec le gouverneme­nt, la banque centrale doit favoriser la stabi‐ lité des prix et un niveau d'emploi durable maximal. Ce‐ la dit, son objectif premier est de maintenir l’inflation à un niveau bas et stable au fil du temps.

Et c’est pour ça que Tiff Macklem, le gouverneur de la Banque du Canada, a dit, en entrevue à Zone économie mercredi soir, qu’il n’avait pas vraiment d’autre choix que d’agir comme il le fait présen‐ tement. Il n’y a pas de ma‐ nière facile de restaurer la sta‐ bilité des prix, a-t-il déclaré. Je ne veux pas dire que ce sera facile. Je comprends que plu‐ sieurs Canadiens sont endet‐ tés. Et l’augmentati­on des taux d’intérêt va mettre plus de stress sur eux. C’est quelque chose qu’on suit de près.

La banque a fait passer son taux directeur de 0,25 % à 3,75 % de mars à octobre, une montée rapide et historique, qui n’est pas encore terminée bien qu’elle semble s’achever. Cette croissance des taux fait fléchir l’économie. Le marché immobilier est en recul et les dépenses des consomma‐ teurs et des entreprise­s ralen‐ tissent, ce qui fait dire à Tiff Macklem que sa politique fonctionne.

On n’a pas encore vu de grands effets des hausses de taux d’intérêt sur l’inflation, a dit le gouverneur. Mais on commence à voir les effets sur l’économie : sur le marché du logement, par exemple, et les grands achats. On voit que les taux d’intérêt commencent à réduire l’activité et cela va at‐ ténuer les pressions à la hausse sur l’inflation. Donc, j’espère que bientôt on com‐ mencera à voir une baisse du taux d’inflation.

Au prix d’une récession?

Mais cette montée rapide des taux nous mène à la ré‐ cession selon plusieurs éco‐ nomistes. Ce ne sera pas une contractio­n majeure [...], ce ne sera pas une récession ma‐ jeure, a tenu à préciser Tiff Macklem, qui évoque une forme de stagnation de l’éco‐ nomie d’ici l’été prochain avec une croissance du PIB autour de 0 % pour les prochains tri‐ mestres.

Néanmoins, des milliers de Canadiens doivent composer avec une hausse des taux qui réduit considérab­lement leur capacité à respecter toutes leurs obligation­s financière­s. Et de mai à septembre, le Ca‐ nada a perdu près de 100 000 emplois à temps plein. Les hausses de taux, qui ont pour objectif de calmer l’inflation, ont d’autres effets, financiers et économique­s.

C’est pourquoi l’écono‐ miste et sénatrice Diane Belle‐ mare est d’avis qu’il faut adopter un mandat duel comme aux États-Unis : il faut, selon elle, mettre sur un pied d’égalité les objectifs de stabi‐ lité des prix et d’emploi maxi‐ mal. Or, au Canada, la men‐ tion de l’emploi occupe une place moins importante dans le processus de décision de la banque.

En fait, chez nous, c’est aux différents gouverneme­nts et à leur politique fiscale que re‐ vient le travail de maintenir un niveau d’emploi durable. Alors qu’aux États-Unis l’enga‐ gement de la Réserve fédérale est plus large, au Canada on semble miser davantage sur une forme d’harmonisat­ion entre les politiques fiscale et monétaire.

Cette façon de faire n’est peut-être pas optimale. Avec le mandat actuel de la Banque du Canada, qui est d’agir presque exclusivem­ent sur l’inflation, les gouverneme­nts se trouvent à poser des gestes qui viennent pratique‐ ment entraver l’action de la banque centrale.

En effet, parce que l’écono‐ mie ralentit, que des emplois sont perdus, que le coût de la vie augmente, on voit, en ce moment, des gouverne‐ ments, à Ottawa comme dans plusieurs provinces, notam‐ ment au Québec, injecter des milliards de dollars dans l’éco‐ nomie sous forme d’aide et de chèques. Or, ce sont là des mesures qui peuvent alimen‐ ter l’inflation.

Si la banque centrale pre‐ nait davantage en compte la situation économique et de l’emploi, peut-être aurait-elle monté moins rapidement ses taux d’intérêt. Peut-être au‐ rait-elle pu agir bien avant mars 2022, ce qui aurait eu un effet moins brutal sur la crois‐ sance de l’économie. Et les gouverneme­nts auraient peut-être eu moins tendance à vouloir intervenir pour en‐ voyer de l’argent aux contri‐ buables.

Peut-on critiquer Banque du Canada? la

La situation actuelle, toute particuliè­re, nous invite à nous interroger sur le travail de la banque centrale et sur son mandat. Non seulement il faut poser des questions au gouverneur Macklem sur sa gestion de l’inflation depuis plus d’un an, ce que j’ai fait, mais il est essentiel de confronter le mandat de la banque à l’économie réelle.

La hausse des taux est forte, brutale, son effet sur l’inflation prendra du temps à se manifester. En attendant, l’économie ralentit, des gens s’endettent, des emplois sont perdus.

Tiff Macklem accepte qu’on le critique et le ques‐ tionne. C’est clair que nous sommes dans une période difficile. L’inflation est trop élevée. L’économie com‐ mence à ralentir. Nous avons fortement haussé les taux d’intérêt. Les Canadiens et les élus ont beaucoup de ques‐ tions pour nous et c’est facile à comprendre. Nous ac‐ cueillons les commentair­es et les questions.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, demande une révision du mandat de la Banque du Canada, responsabl­e en par‐ tie, selon lui, de la récession qui s'annonce au Canada en raison de mesures trop radi‐ cales.

Dans une lettre envoyée au premier ministre Trudeau, Jagmeet Singh dénonce les propos récents du gouver‐ neur Macklem qui a conseillé aux entreprise­s de ne pas in‐ tégrer des salaires plus élevés dans les contrats conclus avec leurs employés, malgré le fait que les salaires sont loin de suivre l’inflation.

Cette solution unique à l’inflation, écrit-il, jette déjà les bases d’une récession et rend la vie difficile à la plupart des gens, en particulie­r aux fa‐ milles de travailleu­ses et tra‐ vailleurs et aux personnes à revenu fixe, comme les aînés et les personnes en situation de handicap. Le gouverne‐ ment croit-il que les récentes mesures prises par la Banque – augmenter considérab­le‐ ment les taux d’intérêt et ainsi miner l’emploi – sont conformes à l’objectif d’un emploi maximal durable?

Le chef du NPD pose une question fondamenta­le, qui mérite qu’on reprenne le dé‐ bat. L’inflation touche particu‐ lièrement les personnes les moins nanties de la société, mais les hausses brutales de taux d’intérêt ont aussi un ef‐ fet majeur sur la santé finan‐ cière de millions de ménages au pays.

Une distinctio­n entre Jagmeet Singh et Pierre Poilievre

La critique de Jagmeet Singh, faut-il le souligner, est bien différente de celle de Pierre Poilievre, le chef du Par‐ ti conservate­ur, qui a promis de congédier Tiff Macklem s’il

devient premier ministre du Canada.

Pour Pierre Poilievre, la banque centrale a agi comme le guichet automatiqu­e du gouverneme­nt durant la pan‐ démie, les cryptomonn­aies re‐ présentent un remède contre l’inflation et il faut donner aux gens la liberté de choisir leur propre monnaie sans que la Banque du Canada puisse in‐ tervenir pour imprimer de l’ar‐ gent et dévalorise­r la devise. Ces propos sont trompeurs et n’ont rien à voir avec le débat essentiel et nécessaire qu’on doit mener sur le mandat et les objectifs de la Banque du Canada.

Cela dit, on ne peut pas ré‐ clamer le silence sur le travail de la Banque du Canada. Pour le ministre de la Santé JeanYves Duclos, on ne peut pas remettre en question la crédi‐ bilité de la banque centrale. Les élus doivent tout faire, se‐ lon lui, pour maintenir la ca‐ pacité de la banque centrale de faire son travail.

S’il est vrai que les propos de Pierre Poilievre soulèvent un certain malaise quant au respect que porte le chef du Parti conservate­ur aux insti‐ tutions du pays, il est sain, comme Diane Bellemare ou

Jagmeet Singh l’ont fait, de s’interroger sur le travail de la banque centrale et sur la né‐ cessité de plonger l’économie en récession pour faire bais‐ ser l’inflation.

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