Disraeli revisité : retour sur une expérience photographique transformatrice
Il y a cinquante ans, quatre jeunes photographes s’ins‐ tallaient dans une maison de campagne à Disraeli, un petit village près de Thet‐ ford Mines, avec l’ambition de documenter le quoti‐ dien de ses habitants et ha‐ bitantes. Ce projet photo‐ graphique majeur, qui a fait polémique à l’époque, est revisité par le musée McCord Stewart, à Mont‐ réal, jusqu’en février pro‐ chain.
L’exposition Disraeli revisi‐ té – Chronique d’un événe‐ ment photographique qué‐ bécois propose 144 clichés, dont près de la moitié sont dévoilés au public pour la pre‐ mière fois. Des documents d’archives inédits du projet, qui est encore aujourd’hui étudié dans les cégeps et les universités, sont aussi à l'hon‐ neur.
Entre « l'ordinaire » et la polémique
Les portraits, réalisés par Claire Beaugrand-Cham‐ pagne, Roger Charbonneau, Cedric Pearson et Michel Campeau en 1972, avaient pour objectif de capter l’ordi‐ nairement vécu de la popula‐ tion de Disraeli.
Pour ce faire, la jeune équipe, regroupée sous le nom Collectif de l’imagerie po‐ pulaire de Disraeli, a discuté et tissé des liens avec les gens du village pendant trois mois.
Après quelques exposi‐ tions improvisées à Disraeli – sur le mur d’une grange, à la polyvalente, ou encore dans des espaces publics –, les membres du collectif ont plié bagage, croyant le projet der‐ rière eux.
Toutefois, la diffusion des images dans plusieurs publi‐ cations québécoises – dont un magazine tiré à plus de 500 000 exemplaires en 1974 –, a suscité l'ire de membres influents de la com‐ munauté de Disraeli, qui esti‐ maient que les clichés les re‐ présentaient de façon injuste et négative.
S’en est suivi une tempête médiatique qui a atteint les grands quotidiens montréa‐ lais, et qui a provoqué de grands débats sur l’incidence sociale de la photographie do‐ cumentaire, sur le rôle des
médias, sur la subjectivité de l’art photographique et sur l’idéalisation de la vie rurale par la jeune génération.
La beauté de ce projet-là, c’est qu’il a provoqué cette in‐ croyable controverse, que nous n’avions pas vue venir, et que nous n’avons absolu‐ ment pas souhaitée, car on a été vrai et sincère dans notre relation avec les gens, se rap‐ pelle Michel Campeau, l’un des quatre photographes du projet.
Nous n’avons pas cherché à exploiter photographique‐ ment les gens [...], mais il a eu des répercussions sismiques dans la municipalité.
Michel Campeau, photo‐ graphe
La controverse a aussi lais‐ sé sa marque sur l'oeuvre de Michel Campeau.
Sur un plan personnel, j’étais choqué par cette his‐ toire-là, et j’ai été fragilisé par cette polémique. À tel point que le projet qui s’en est suivi, j’ai photographié des gens aveugles. Toujours dans cette perspective de documenter la vie, la réalité, mais aussi de faire en sorte que je n’ai pas à répondre de mes photogra‐ phies, raconte-t-il.
Redécouvrir l’histoire
Cinquante ans plus tard, Michel Campeau se réjouit de voir ses images ressurgir. Il es‐ time que les questions so‐ ciales dont est impreigné son travail sont toujours d’actuali‐ té.
Son de cloche similaire pour Zoë Tousignant, com‐ missaire de l’exposition et conservatrice de la collection Photographie au Musée Mc‐ Cord Stewart. Elle estime que Disraeli revisité est l’occasion de redécouvrir l’exercice du Collectif de l’imagerie popu‐ laire de Disraeli sous un nou‐ vel angle.
En sélectionnant des pho‐ tos où l’on voit les membres du collectif interagir avec les personnes de Disraeli, on pré‐ sente une autre facette de l’image et on s’interroge sur la façon dont l’interprétation du corpus change si l’on nous présente des preuves d’une relation authentique entre le photographe et ses sujets, ex‐ plique-t-elle dans un commu‐ niqué.
Et qu’en pensent les gens de Disraeli? Le Musée McCord Steward les invite à sou‐ mettre des photographies re‐ présentant leur vision actuelle de leur communauté. Celles-ci seront présentées dans le cadre de l’exposition.
Des habitants et des habi‐ tantes du village viendront d’ailleurs visiter le musée dans quelques semaines, selon Mi‐ chel Campeau. Ce sont eux qui pourront nous dire leur état d’âme, conclut-il.
Disraeli revisité est pré‐ senté du 28 octobre au 19 fé‐ vrier 2023 au musée McCord Stewart, à Montréal.
Ce texte a été écrit à partir d'une entrevue réalisée par Catherine Richer, chroni‐ queuse culturelle à l'émis‐ sion Le 15-18. Les propos ont pu être édités à des fins de clarté ou de concision.