Des pics-bois à l’assaut des poteaux
Vous les avez peut-être dé‐ jà vus ou entendus frapper sans arrêt sur un poteau dans votre voisinage ou dans votre cour. Vous avez sans doute souri en vous demandant si ces pics-bois n’étaient pas tombés sur la tête. Pourquoi s’attaquentils à des poteaux?
Pour trois raisons : pour tambouriner, ce qui sert à marquer leur territoire, c’est sans dommage. Mais aussi pour se nourrir et nicher. Et là, c’est une toute autre histoire. Les forages multiples peuvent affecter l’intégrité des po‐ teaux.
L'affection des pics-bois pour les poteaux n'est pas nouvelle : on observait déjà ce phénomène à l'époque du té‐ légraphe. Depuis, la quantité de poteaux au Canada s'est multipliée, tout comme le nombre de pics-bois. Le rele‐ vé des oiseaux nicheurs au pays indique qu’entre 1990 et 2014 la population de grands pics aurait doublé au Canada et triplé au Québec.
En conséquence, HydroQuébec, qui gère un parc de 2 millions de poteaux, a vu pro‐ gresser l’activité des pics-bois sur ses installations.
On voit des endroits qui n'étaient pas touchés et qui, maintenant, le deviennent de plus en plus. Si on regarde les chiffres de 2012 à 2021, on a eu plus de 100 000 poteaux documentés avec des dom‐ mages causés par les picsbois. À peu près 12 000 po‐ teaux sont à remplacer.
Dan Mastrocola, ingénieur et responsable de la mainte‐ nance des poteaux à HydroQuébec Distribution
Un poteau a une durée de vie d’environ 60 ans. C’est gé‐ néralement au terme de cette période qu’on le remplace. Or, les attaques répétées des pics-bois peuvent accélérer sa dégradation et forcer son remplacement prématuré. À Hydro-Québec, l’activité des pics-bois est devenue la deuxième cause de remplace‐ ment des poteaux, après l'âge.
On a longtemps cru que les pics-bois s'intéressaient davantage aux vieux poteaux parce qu’ils sont plus suscep‐ tibles d’être envahis par les fourmis charpentières, le fes‐ tin des pics. Mais ce n’est pas le cas! Le fournisseur d’électri‐ cité Hydroméga l’a appris en 2015, à Dokis, en Ontario.
C'est quelque chose qu'on n'avait jamais vécu avant. Ça faisait à peu près deux ans que la centrale était en activi‐ té, et on avait à peu près une cinquantaine de poteaux sur 500 déjà endommagés. Un 10 % de la ligne, ce qui est non négligeable.
Sébastien Tilmant, respon‐ sable environnement et opti‐ misation des actifs à Hydro‐ méga
Cet épisode a donné le coup d’envoi à un projet de recherche conjoint qui réunit entre autres Hydroméga, Hy‐ dro-Québec et l’Université de Québec à Montréal. Le cher‐ cheur Pierre Drapeau de l’UQAM s’intéresse aux picsbois depuis plusieurs années. Dans ce cas-ci, son regard se tourne principalement vers le grand pic et le pic flamboyant.
Les dommages causés aux poteaux par les pics-bois sont de deux natures différentes. D’abord, on note les trous d’alimentation, qui peuvent être multiples et de faible pro‐ fondeur. Ils servent à at‐ teindre les colonies de four‐ mis charpentières. Ensuite, les oiseaux peuvent creuser leur nid à l'intérieur des poteaux; dans ce cas-ci, la cavité qu’ils créent est nettement plus grande.
Pour un pic-bois, un po‐ teau d'Hydro, c'est un chicot mort sur le terrain. C'est comme ça qu'il faut le voir. Qu'est-ce qui fait qu’il s'ins‐ talle sur un poteau plutôt qu'en pleine forêt? Ça, c'est une question qui est ouverte actuellement.
Pierre Drapeau, professeur au Département des sciences biologiques de l'Université du Québec à Montréal (UQAM)
Sur le terrain, en milieu na‐ turel et à proximité de lignes électriques, Pierre Drapeau et son équipe ont entamé des travaux de recherche pour documenter les habitudes des pics-bois, leur rayon d’ali‐ mentation, l’état de la forêt dans laquelle ils évoluent, etc.
Parmi les hypothèses à l’étude, est-il possible que les pics-bois optent pour les po‐ teaux quand les arbres à proximité ne sont pas d’une taille suffisamment impor‐ tante pour y creuser un nid?
Parallèlement aux travaux de recherche universitaire sur les pics-bois, Hydro-Québec doit, durant les inspections vi‐ suelles fréquentes de ses po‐ teaux, améliorer la descrip‐ tion des trous creusés par le pic. Selon leur taille et leur nombre, on doit estimer le moment à partir duquel le po‐ teau aura perdu une trop grande partie de sa résistance mécanique.
Sur un banc d'essai, Hy‐ dro-Québec a procédé à des tests pour mesurer la perte d’efficacité des poteaux en‐ dommagés par les pics-bois. Solidement retenu à une ex‐ trémité, un treuil tire sur le câble fixé à la tête du poteau jusqu’à ce que ce dernier cède. Dan Mastrocola, qui su‐ pervise les tests, constate dès les premiers essais des pertes de capacité parfois impor‐ tantes.
On a vu de 10 à presque 40 % de perte de capacité. C’est assez important. En ef‐ fet, à plus de 40%, en théorie, on devrait remplacer le po‐ teau.
Dan Mastrocola, ingénieur responsable de la mainte‐ nance des poteaux à HydroQuébec Distribution
Remplacer un poteau coûte 5500 $ ou plus, selon les équipements qui sont instal‐ lés sur lui ou sa proximité d’une route d’accès. Les com‐ pagnies de distribution d’élec‐ tricité tentent donc de proté‐ ger certains de leurs poteaux des attaques des pics-bois à l’aide de barrières physiques, dont des grillages ou des en‐ veloppes rigides. Leur efficaci‐ té est cependant parfois limi‐ tée.
L’autre option est de se tourner vers des poteaux composites, inattaquables par les pics-bois. Comme leur coût est plus élevé, les four‐ nisseurs d’électricité sou‐ haitent les installer à des en‐ droits stratégiques de la ligne électrique, susceptibles d’être fréquentés par les pics-bois.
C’est en partie ce que le projet de recherche compte accomplir : déterminer des facteurs environnementaux qui permettraient d’anticiper les zones à risque. Mais la par‐ tie n’est pas jouée d’avance, car les pics-bois ont la réputa‐ tion d’être tenaces!
Le reportage d'André Ber‐ nard et de Vincent Laurin est diffusé à l'émission Décou‐ verte le dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.