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Se sortir de la violence familiale, un vrai parcours du combattant au Nouveau-Brunswick

- Frédéric Arnould

Janie est restée des années avec un homme qui la mal‐ traitait. Des mots durs, des insultes, des menaces de mort, des bousculade­s et des murs brisés… De fil en aiguille, elle a compris que même si elle ne recevait pas de coups, elle était vic‐ time de violence familiale. Depuis trois ans, elle mène une bataille épuisante pour s'en sortir, au coeur de laquelle ses enfants sont des victimes collaté‐ rales.

Note : le prénom de la vic‐ time a été modifié pour pro‐ téger la confidenti­alité des personnes impliquées.

Des services, il n'y en a pas. J’ai dû mêler les travailleu­rs sociaux. J’ai dû mêler la police, les intervenan­ts. Il n’y a rien qui bouge, déplore la mère de famille de la Péninsule aca‐ dienne.

Janie a passé 11 ans avec son ancien conjoint. Les choses ont dégénéré au cours des dernières années de leur relation.

Je restais seulement pour les enfants. J'endurais juste une routine. Puis, lui il tra‐ vaillait dans l’ouest, alors je me disais que lorsqu'il s’en irait, j’aurais la paix. Mais, lors‐ qu'il revenait, ça revenait juste de nouveau.

Son ex-conjoint ne la frap‐ pait pas elle, ou les enfants.

Mais il lui criait des injures, des menaces. Il lui serrait le bras. Il brisait des choses.

Des coups de poing dans les murs, j’en ai eu plein. J’avais des cadres [accrochés] dans la maison. Ce n'était pas pour faire beau, c'était pour cacher des trous.

Janie, victime de violence conjugale

De nombreux obstacles à surmonter

Il y a trois ans, elle a décidé de mettre fin à la relation. De là, la pente est abrupte.

Elle a racheté sa part de la maison et s'est endettée pour le faire.

Elle a porté plainte à la po‐ lice à quelques reprises, mais aucune accusation n’a été dé‐ posée.

Selon elle, un roulement de personnel dans les services policiers complique ces dé‐ marches.

C’est pas mal tous de nou‐ veaux policiers qui sont ren‐ trés. Admettons qu’ils ne connaissen­t pas [mon conjoint] comparativ­ement aux autres qui étaient là avant. Tous ceux avec qui on a fait affaire dans le passé, ils ne sont plus là… C’est un peu dur, raconte-t-elle.

Les enfants ont été pré‐ sents pour beaucoup de choses que des enfants de bas âge n'auraient pas été censés entendre.

Janie, victime de violence conjugale

Janie dit avoir eu affaire à plusieurs travailleu­ses so‐ ciales et que les suivis étaient inadéquats.

Ça ouvre le dossier. Ça ferme le dossier. C’est la seule chose qu’elle fait. Je lui ai tout dit ce qu' elle devait vérifier, d’entrer dans la maison. Elle n’a rien fait que ce que je lui ai dit. Ça a passé comme de l’eau de roche, dénonce-t-elle.

La jeune mère se bat aussi en cour familiale pour obtenir la garde de ses enfants. La si‐ tuation n’est pas réglée, après deux ans et demi de dé‐ marches.

C’est long. Ça parle beau‐ coup du bien être des en‐ fants, mais, avec tout ce que j’ai pu rapporter envers leur père, c’est comme si qu'il n'y a rien de grave, dit-elle.

Le gouverneme­nt pro‐ met d’agir

Selon un rapport publié il y a deux semaines par Statis‐ tique Canada, les signale‐ ments de violence entre par‐ tenaires intimes ont augmen‐ té de 39 % au NouveauBru­nswick entre 2009 et 2021.

Dans le discours du Trône, le gouverneme­nt conserva‐ teur dit vouloir mieux proté‐ ger les victimes de violence conjugale, par l’entremise de l’adoption de la Loi de Clare, qui permettrai­t à certaines personnes d’effectuer une vé‐ rification des antécédent­s de leur partenaire.

La criminolog­ue Madeline Lamboley émet des réserves sur cette initiative.

J’ai un bémol parce qu’on met encore la responsabi­lité sur la victime de faire ces dé‐ marches-là. [...] Est-ce que ça va être long, compliqué? En‐ core une série de démarches à faire? Et est-ce qu’il n’y a pas aussi un risque de représaill­es pour la victime qui va faire ce genre de démarche-là?, se de‐ mande-t-elle.

Selon Madeline Lamboley, le vrai problème au NouveauBru­nswick, est le manque d’accès à des services.

La particular­ité du Nou‐ veau-Brunswick c’est qu’il n’y a pas assez de ressources. On le voit, les maisons d’héberge‐ ment débordent. Les de‐ mandes sont de plus en plus nombreuses, explique-t-elle.

De nombreuses femmes habitent en région rurale, ce qui peut compliquer leurs dé‐ marches à plusieurs niveaux.

Les femmes et les filles sont isolées géographiq­ue‐ ment et c’est difficile pour elles de se rendre dans une maison d’hébergemen­t ou d’aller chercher des services, observe-t-elle.

Ça fait en sorte que les femmes vont rester plus long‐ temps dans leur situation de violence. Leur trajectoir­e va devenir un parcours du com‐ battant.

Madeline Lamboley, pro‐ fesseure au départemen­t de sociologie et criminolog­ie à l'Université de Moncton

Janie a pu rester chez un membre de sa famille pen‐ dant sa séparation. Elle est re‐ venue chez elle récemment et a entrepris des travaux ma‐ jeurs pour réparer les dom‐ mages faits par son exconjoint.

Mais, au-delà des murs, il faudra encore beaucoup de temps pour réparer l’en‐ semble des blessures causées à elle et à sa famille.

Besoin d'aide?

Si vous ou une personne que vous connaissez est en danger, faites le 911

Ligne d'écoute Chimo : 1800-667-5005 Ligne d’informa‐ tion sans frais sur le droit de la famille : 1-888-236-2444 Pour trouver une maison d’hébergemen­t pour femmes au Canada, consultez le site web hebergemen­tfemmes.ca La liste complète des res‐ sources disponible­s au Nou‐ veau-Brunswick

Avec des informatio­ns de Mario Mercier et de Karine Godin

Dans son petit restaurant d’Albuquerqu­e, Maria Las‐ cano, originaire de la pro‐ vince mexicaine de Sinaloa sur la côte du Pacifique, est contente parce qu’une fois de plus, son restaurant spécialisé en fruits de mer est bondé en ce dimanche midi.

Cela fait 17 ans que cette Mexicaine a ouvert son com‐ merce au Nouveau-Mexique, sa terre promise, un État qui a la plus forte proportion d’His‐ paniques au pays, soit un peu plus de la moitié de sa popu‐ lation.

Aux États-Unis, presque 20 % de la population est Lati‐ no-Américaine, soit environ 62 millions d'individus.

Cette électrice se dit opti‐ miste pour l’avenir des Latino-Américains au pays, car elle pense que lors des élections du 8 novembre prochain, ses compatriot­es éliront ceux qui leur donneront le plus d’es‐ poir. J’espère que les Latinos auront toutes les occasions de profiter de la prospérité américaine, explique-t-elle.

Quand on lui demande quelle est son allégeance poli‐ tique, c’est sans équivoque qu’elle répond démocrate. Elle vote bleu, même si parfois les politiques du parti ne sont pas toujours en phase avec sa conscience ou ses priorités, notamment sur l’avortement auquel elle s'oppose.

Elle admet d’ailleurs que ses amis hispanique­s pré‐ fèrent voter davantage conservate­ur à cause de cet enjeu, et donc pour les répu‐ blicains.

C’est le cas de Salvador Ro‐ driguez, un ingénieur en éner‐ gie nucléaire qui aussi le pas‐ teur principal de la Iglesia Bautista Emanuel, une petite église baptiste dans une quar‐ tier hispanique d’Albu‐ querque. Pour lui, la foi a sa place quand vient le temps de se prononcer politiquem­ent.

En général, les Hispa‐ niques sont vraiment diversi‐ fiés. Mais une chose qui nous unit, c'est que nous sommes assez conservate­urs, sou‐ ligne-t-il. Nous portons avec nous nos traditions familiales , notre croyance en Dieu et la conviction que si vous tra‐ vaillez dur, vous serez récom‐ pensés.

L’avortement, sujet pi‐ vot

Et en tant que croyant, l’un des sujets chauds de cette élection demeure l’avorte‐ ment. Le fait que l’avortement tue une vie est fermement an‐ cré dans nos conviction­s, c'est quelque chose qui déplaît à Dieu, maintient-il. Ce qui le fait pencher une fois encore vers le Parti républicai­n pour ces élections.

Au sein de la même église, Nelson Adriano, le diacre, s’af‐ fiche lui toujours comme dé‐ mocrate.

Mais si vous pensez que les Latinos sont fortement dé‐ mocrates, détrompez-vous, dit-il. Peut-être que dans le passé, les démocrates ont souvent gagné plus que les républicai­ns, mais plus main‐ tenant. La plupart de nos jeunes sont républicai­ns.

La nouvelle génération, c’est notamment les enfants de Salvador Rodriguez qui, en ce dimanche matin, font quelques relectures de la bible, tout en parlant poli‐ tique.

Sarai, 21 ans, admet que pour l’instant, c'est parfois dif‐ ficile de savoir où se situent les politicien­s sur certains en‐ jeux, ce qui la force à creuser davantage pour en savoir plus avant de se prononcer. Son jeune frère de 18 ans, Sal, a probableme­nt fait son choix en fonction de ses conviction­s religieuse­s.

Je vote pour la personne qui a les mêmes valeurs que moi, et je suis moi-même antiavorte­ment. Parce que, si vous enleviez une vie à un bébé, ce n'est pas cool. La bible est en accord avec cela : tu ne tueras point.

Un enjeu unique risqué

En ayant misé presque toute leur campagne électo‐ rale sur l'avortement, les dé‐ mocrates ont commis une er‐ reur s'ils croient ainsi attirer les Latinos-Américains, estime Sylvia Gonzales-Gorman, pro‐ fesseure de science politique à l’Université du Texas Rio Grande Valley.

Cela ne suffira pas à convaincre des électeurs comme une mère monopa‐ rentale de deux enfants, ou encore ces électeurs Latinos qui sont préoccupés - comme toute le monde - par les ques‐ tions économique­s, par le contrôle des armes à feu et par l'éducation.

Pas étonnant que les plus récents sondages dans les États où les hispanique­s sont très présents donnent du fil à retordre aux démocrates. On y dénote une progressio­n des républicai­ns dans les inten‐ tions de vote des Latino-Amé‐ ricains.

En 2016, sous Donald Trump, la droite avait réussi à augmenter son appuie chez ce groupe d'électeurs, et selon Alex Kuehler, directeur des communicat­ions du Parti ré‐ publicain dans l’ouest du pays, le vent continue de souffler en faveur du Great Old Party.

Nous sommes le parti de la foi, le parti de la famille et nous croyons aussi que nous sommes le parti de l'opportu‐ nité et de la liberté, résume M.

Kuehler.

Un crédo qui, selon lui, re‐ joint de plus en plus d’immi‐ grants Latino-Américains qui ont trimé dur pour se faire une place aux États-Unis.

Histoire d'ailleurs de raffer‐ mir leur soutien au sein de cette population ciblée, de‐ puis quelques mois, le Parti républicai­n a ouvert une qua‐ rantaine de centres commu‐ nautaires à l’intention des mi‐ norités, surtout les LatinoAmér­icains.

Une grande séduction

De la Californie au Wiscon‐ sin en passant par le Nou‐ veau-Mexique et le Texas, le parti a dépensé des millions de dollars pour attirer dans ses filets ces nombreux Lati‐ no-Américains déçus par les démocrates.

Ils ont l'impression que les démocrates ont tenu leur vote pour acquis, certains n'ont pas vu un démocrate venir frapper à leur porte de‐ puis très longtemps, ajoute Alex Kuhler.

Ce qui est une aussi grave erreur de la part du parti de Joe Biden, selon Sylvia Gonza‐ lez-Gorman, professeur­e en science politique.

Je ne sais toujours pas pourquoi le Parti démocrate n'est pas sur le terrain. L'un des plus grands reproches que j'ai entendu au niveau du parti démocrate local, dit-elle, c’est qu’ils ont besoin de l'aide du Parti national, mais ils ne reçoivent pas ce soutien.

Ça va donc être difficile pour les démocrates de se re‐ mettre de cela s’ils ne s’en‐ gagent pas davantage avec la communauté, prévient-elle.

Des victoires surpre‐ nantes

Les efforts républicai­ns commencent en tout cas à porter fruit puisque cet été, Mayra Flores, une Latino-Américaine républicai­ne du sud du Texas, a réussi à ravir aux démocrates un siège au Congrès.

Kevin McCarthy, leader de la minorité républicai­ne à la Chambre des représenta­nts, parle d’un moment historique qui est de bon augure pour le futur du parti au sein de la po‐ pulation hispanique.

La professeur­e Sylvia Gon‐ zalez-Gorman est du même avis. L’implicatio­n du Parti ré‐ publicain sur le terrain au ni‐ veau local a été très efficace. Ça l’était déjà sous Trump et cela va continuer car, petit à petit, ils attirent cette popula‐ tion d’électeurs qui, en géné‐ ral, votait démocrate jusqu’ici.

Pas surprenant, donc, que la clientèle hispanique soit très courtisée par de plus en plus de candidats eux-mêmes Hispanique­s. La représenta‐ tion des élus républicai­ns lati‐ no-américains au Congrès pourrait d’ailleurs augmenter de 50 % grâce aux prochaines élections.

Le républicai­n Alex Kuelher

est confiant que l’histoire d’amour entre les LatinoAmér­icains et son parti va en‐ tamer la solidité de la fonda‐ tion du vote démocrate. Je pense que cette fondation va être une fondation de sable quand nous arriverons au 9 novembre, et que nous allons voir que les républicai­ns ont fait de sérieuses percées, de sérieux gains.

Un électorat plus actif

Salvador Rodriguez constate parmi ses fidèles que la mobilisati­on de ses semblables y sera pour beau‐ coup.

Je crois qu'il y a eu une re‐ crudescenc­e chez les Hispa‐ niques qui veulent aller voter et qui réalisent que nous avons du pouvoir lorsque nous votons. Je crois qu'il y a une tendance à l'augmenta‐ tion du vote hispanique sur des enjeux plus républicai­ns que démocrates, estime-t-il. Mais, nous n'aimons pas tou‐ jours voter pour un seul parti. Parfois, nous voterons pour les deux partis en fonction de celui qui semble être le plus conservate­ur des deux, car parfois vous pouvez avoir des démocrates qui sont définiti‐ vement modérés ou même conservate­urs.

De son côté, Maria Lasca‐ no, la restauratr­ice démo‐ crate, sait que le 8 novembre, elle votera en son âme et conscience pour les candidats qui respectent le mieux ses conviction­s. Même si, ce ne seront peut-être pas tous des démocrates.

Le vote latino aux élec‐ tions de mi-mandat, un repor‐ tage de Frédéric Arnould dif‐ fusé à L'heure du monde

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