En Pennsylvanie, des médecins se mêlent ouvertement de politique
PHILADELPHIE – Le titre de l’article de la publication web Politico était accro‐
cheur : Campagne électo‐ rale en Pennsylvanie, le docteur va maintenant vous recevoir. J’ai tout de
suite pensé qu’il y serait question de Mehmet Oz, un cardiologue très connu à la télévision, qui se pré‐ sente comme candidat ré‐ publicain au poste de séna‐ teur.
Mais c’est d’une tout autre prescription qu’il s’agissait : l’implication sans précédent des professionnels de la santé de l’État dans la campagne électorale, mus par la ques‐ tion de l’avortement et leurs inquiétudes pour leur profes‐ sion.
Aux États-Unis, la plupart des médecins sont des entre‐ preneurs. Combien d’entre eux sont prêts à s'aliéner des patients en parlant publique‐ ment de politique? Ce serait une des choses les plus per‐ sonnelles pour les Américains après la religion.
C’est donc par curiosité que j’ai pris rendez-vous avec certains d’entre eux, Lisa Goldstein, une pédopsy‐ chiatre, Ann Steiner, une gy‐ nécologue-obstétricienne à la retraite, et Zeke Tayler, un anesthésiste.
Aucun des trois n’en est à ses premières armes de béné‐ volat politique. Ils ont com‐ mencé à donner un coup de main au Parti démocrate, dans le cas de Lisa et Zeke, avec l’arrivée de Trump au pouvoir. Ann a surtout mené des campagnes pour dé‐ fendre l’avortement et la contraception.
Mais tous les trois sont surpris du nombre de profes‐ sionnels de la santé de Penn‐ sylvanie qui sont prêts à dire publiquement ce qui ne va pas dans les propositions po‐ litiques des républicains.
À mon avis, il y a trois fac‐ teurs qui les poussent à agir ainsi cette année, même si les élections de mi-mandat ne sont pas aussi importantes que les élections présiden‐ tielles.
Premier facteur, l’avor‐ tement
Évidemment, dit Lisa Gold‐ stein, ce qui motive beaucoup de professionnels de la santé à faire partie du groupe, c’est la décision de la Cour su‐ prême des États-Unis, qui, en annulant le jugement Roe contre Wade, permet une re‐ mise en question, dans les États, de l’accès à l’interrup‐ tion de grossesse. Pour l’ins‐ tant, la loi en Pennsylvanie permet tous les avortements avant 24 semaines, et même après si la santé de la mère est en jeu ou en cas d’inceste ou de viol.
Mais, selon Zeke Tayler, les cliniques de Pittsburgh voient déjà une augmentation de 60 % des demandes de ren‐ dez-vous, provenant surtout des femmes des États voisins de l’Ohio et de la Virginie-Occi‐ dentale, où la période d’accès a rétréci. Et des collègues de M. Tayler envisagent d’ouvrir des cabinets satellites au De‐ laware ou au New Jersey si la responsabilité du personnel médical vient à être criminali‐ sée en Pennsylvanie. Parce que le ton pourrait monter.
Le candidat républicain au poste de gouverneur de l'État, Doug Mastriano, se fait l’avo‐ cat d’une interdiction com‐ plète de la procédure, sans exception, même si la santé de la mère est en jeu. Le groupe de médecins favorise donc la candidature de son opposant démocrate Josh Shapiro.
Deuxième facteur, le docteur Oz
Que ce groupe de méde‐ cins choisisse de se mêler acti‐ vement de politique l’année où justement c’est un chirur‐ gien cardiaque à la retraite, Mehmet Oz, vedette très connue de la télévision améri‐ caine, qui brigue le poste de sénateur, n’est pas négli‐ geable.
Aucun des trois médecins rencontrés ne porte Mehmet Oz dans son coeur. Lisa Gold‐ stein et Ann Steiner refusent même de l’appeler docteur. Mme Steiner dit de lui qu’il est une coquille vide, puis, crai‐ gnant que ce soit trop mé‐ chant, utilise le terme oppor‐ tuniste.
Pour eux, il est parachuté dans l’État par Donald Trump, il n’en était même pas ré‐ sident quand il s’est lancé. Mais ce qui les met le plus en colère, ce sont toutes les thé‐ rapies bizarres et les potions miracles dont il a fait la pro‐ motion dans sa carrière sans se préoccuper de leur sécurité et de leur efficacité. Ni de l’image qu’il a donnée de leur profession en faisant de la médecine-spectacle. Le Dr Oz était d'ailleurs, dès les pre‐ miers mois de la pandémie, un des défenseurs de l'hy‐ droxychloroquine pour com‐ battre la COVID-19.
Troisième facteur, la pandémie et la crédibilité de la profession
Ils en parlent peu, mais le fait que ces élections de 2022 soient les premières élections normales depuis le début de la pandémie de COVID-19 pèse dans la balance. Les pro‐ fessionnels de la santé ne l’ont pas eu facile et on ne peut pas dire que l’administra‐ tion du président Donald Trump ait allégé leur fardeau.
Remise en question des mesures sanitaires et de l’effi‐ cacité des vaccins, promotion de cures miracles non véri‐ fiées, système de santé sur‐ chargé, les médecins per‐ çoivent que la science et leur crédibilité ont été écorchées depuis plus de deux ans et demi. Et ils souhaitent un re‐ tour du balancier. Mais Lisa Goldstein veut croire que leur crédibilité est intacte.
Dernière chose, et je n’en fais pas un facteur, mais Ann et Lisa me confiaient qu’elles sont inquiètes parce qu’elles voient les conservateurs ten‐ ter d’imposer une vision avec laquelle elles ne sont pas d’ac‐ cord dans toutes les sphères de la vie américaine : les livres que la bibliothèque peut avoir, ce qui peut être ensei‐ gné à l’école, les droits des en‐ fants trans, l’adaptation aux changements climatiques.
Elles disent que c'est ce qui les motive à ne pas baisser la garde. Pour des années en‐ core.
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