Radio-Canada Info

Le cinéaste innu Réal Junior Leblanc, dans le sillage de Denys Arcand

- Maud Cucchi

Dernier jour de tournage à Montréal, après deux mois à accompagne­r Denys Ar‐ cand au milieu de vedettes dont il se doit de taire les noms. Réal Junior Leblanc, poète innu, réalisateu­r de courts métrages issu de la communauté de Uashat Mak Mani-Utenam, n’en re‐ vient toujours pas d’avoir été stagiaire auprès du grand cinéaste québécois.

C’est une belle aventure qui va changer ma vie!, par‐ tage-t-il avec l’enthousias­me de celui qui repart avec mille idées en tête pour son pre‐ mier documentai­re sur les pensionnat­s pour Autoch‐ tones.

M. Leblanc a été invité à participer au tournage de De‐ nys Arcand à Montréal pour se familiaris­er avec la réalisa‐ tion d’une fiction et la pano‐ plie des métiers du cinéma. Comprendre la mise en scène et la réalisatio­n, les rouages d'une production, ce qu’un ci‐ néaste veut et attend de son équipe...

C'était une belle ambiance, il n'y avait pas de stress, De‐ nys Arcand s’est juste fâché deux fois rapidement [en deux mois], résume la jeune recrue. Eux-autres tra‐ vaillaient, j’étais celui qui riait!, ajoute-t-il en fidèle représen‐ tant de l’humour innu.

Au milieu d’une équipe de profession­nels chevronnés, très concentrés, soumis à des échéances serrées, il raconte comment il a joué le rôle de l’affable trublion qui naturelle‐ ment décoince le climat de travail.

Je blaguais en disant que j’étais la doublure de Rémy Gi‐ rard !, lance-t-il, sans cacher avoir été impression­né par toutes les vedettes vues à la télévision et devenues col‐ lègues. Un chauffeur venait le chercher tôt le matin à son hôtel, les repas étaient four‐ nis…la vie rêvée de star? J’étais loin de ma famille, nuance Ré‐ al Junior Leblanc, père de quatre enfants.

Le tremplin Wapikoni

C’est son côté organique, sa sincérité, sa curiosité, sa sensibilit­é qui m’ont touchés, commente à son tour la pro‐ ductrice du film, Denise Ro‐ bert.

Sur le plateau, il était comme un enfant dans un magasin de bonbons […] Il nous fait réaliser qu’on est pri‐ vilégiés de faire ce qu’on fait. Denise Robert, productric­e La productric­e, également compagne de Denys Arcand, souhaitait que ce dernier transmette sa riche expé‐ rience en réalisatio­n à un sta‐ giaire. La directrice générale de l'organisme culturel Wapi‐ koni, Véronique Rankin, lui suggère alors la candidatur­e d’un cinéaste prometteur ve‐ nu de la Côte-Nord.

C’est d’ailleurs grâce au Wapikoni Mobile, studio de production audiovisue­lle am‐ bulant, que l’Innu de Uashat a découvert le cinéma, créé plu‐ sieurs courts métrages et voyagé dans le monde entier pour les présenter.

Parmi ses production­s, L’enfance déracinée a particu‐ lièrement ébranlé Denise Ro‐ bert, partage M. Leblanc. Ce court métrage suit le récit d'un jeune Innu qui retourne sur les lieux du pensionnat de Sept-Îles afin d'y rendre un hommage poétique aux vic‐ times.

Le réalisateu­r désormais établi à Québec prépare son tout premier long métrage; un documentai­re également sur le thème des pensionnat­s et des enfants trouvés, évoque-t-il.

Son expérience d'immer‐ sion sur le tournage de Denys Arcand l'a poussé à vouloir ré‐ écrire son scénario, à privilé‐ gier le recrutemen­t de femmes – elles travaillen­t mieux, s'entraident, il n'y a pas de compétitio­n – ou en‐ core à s'inspirer de certaines astuces techniques sur le pla‐ teau.

Avant de filmer, Denys Ar‐ cand utilise une fausse camé‐ ra pour vérifier l’angle de la prise de vue, partage Réal Ju‐ nior Leblanc, visiblemen­t conquis par le travail de son mentor aujourd'hui octogé‐ naire et qui, comme lui, débu‐ ta par le documentai­re (au sein de l'Office national du film).

Le jeune réalisateu­r ex‐ plique vouloir modeler son processus de création à son projet de long métrage. Plutôt que de mener des entrevues classiques avec ses interve‐ nants, il veut libérer la parole au moyen d'activités tradi‐ tionnelles, pour aussi faire vivre la culture autochtone par son film.

J’arrive de l’ombre, de la drogue, de l’alcool, j’ai été égoïste, absent pour mes en‐ fants, j’avais envie...comme de racheter ma cause.

Réal Junior Leblanc, poète et réalisateu­r innu

Pour l'accompagne­r sur le plan psychologi­que et spiri‐ tuel, il évoque recourir à des tentes de sudation (matuti‐ shan), selon les rites ances‐ traux des Innus.

Un ami proche

Son projet de documen‐ taire a suscité l'intérêt de la productric­e Denise Robert.

Je voudrais bien pouvoir l’accompagne­r en lui donnant une liberté totale, confie-telle, lui offrir une infrastruc‐ ture mais pour moi, ce serait important qu’il ait une liberté totale pour raconter ce qu’il veut.

De cette expérience sur le tournage de Denys Arcand est née une amitié entre le couple de cinéastes et l'Innu de Ua‐ shat qui a reçu deux tam‐ bours traditionn­els pour le re‐ mercier de sa présence sur le tournage. Ça m’a touché, j’ai été pris sous le choc, confie-til, je leur ai dit "là, vous venez me chercher à un autre stade".

Pour Denise Robert, Réal est même devenu un ami proche qu'elle a pris son aile. C'était, comme si on se connaissai­t depuis long‐ temps, raconte la productric­e. Au-delà du mentorat inhérent à l'embauche d'un stagiaire, c'est un véritable échange d'expérience­s et de cultures qui s'est imposé avec la venue de Réal.

Il nous a invités, Denys et moi, à pêcher le saumon avec sa famille, selon leur méthode à eux. C'est très généreux de sa part, c’est l’une des plus belles invitation­s qu’on ait re‐ çues, partage Denise Robert, sans indiquer si elle compte honorer ce rendez-vous en 2023 avant ou après la sor‐ tie du film, encore mysté‐ rieuse.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada