La chasse à l’orignal à travers un concours réservé aux femmes à Wemotaci
L’excitation est à son comble. Marlène Niquay s’habille chaudement même si elle garde le bas de son pyjama en guise de pantalon. Elle ne cesse de s’écrier qu’elle est « moti‐ vée, motivée, motivée! ».
La femme atikamekw de 51 ans s’apprête à partir à la chasse à l’orignal, pratique qu’elle n’avait pas exercée de‐ puis quelque temps. Avec plaisir, elle part arpenter le territoire espérant voir le ma‐ jestueux animal, avec d’autres femmes atikamekw, dont cer‐ taines vont même découvrir un nouvel aspect de cette chasse. Car cette année, il ne s’agit pas simplement d’ac‐ compagner, mais de tirer.
À Wemotaci, une commu‐ nauté atikamekw située à 120 kilomètres à l’ouest de La Tuque au Québec, 25 équipes de femmes participent au pre‐ mier concours de panaches d’orignal.
Un concours qui cartonne à Wemotaci. Soeurs, bellessoeurs, cousines, amies de tous âges ont répondu pré‐ sentes afin de gagner l’un des prix, mais surtout, on veut les effets de l'adrénaline, comme elles le disent, qui les rap‐ prochent des aventures vé‐ cues par leurs aïeules.
Marlène Niquay s'empare d'une couverture de plumes, histoire que sa petite-fille qui l'accompagne puisse se tenir au chaud. La grand-mère ne cesse de sourire. J’aime ça aller me promener dans le bois, j’aime ben ça. C’est notre culture!
Avant, elle chassait l’ori‐ gnal en compagnie de son mari, puis ils ont arrêté, car leurs garçons ont pris le relais, puis le concours est arrivé. Et j’ai eu envie d’aller faire la chasse avec les autres femmes et filles, affirme-t-elle.
Sa petite-fille grimpe dans la camionnette. Je veux qu’elle sache ce qu’on a vécu, nous autres, ce qu’on a vu de nos parents, je veux lui montrer ça!
Jocelyne Basile, l’une des coorganisatrices, reste tou‐ jours surprise par le succès que connaît le concours. Cin‐ quante femmes se sont ins‐ crites, soit 25 équipes. Elles viennent de Wemotaci, mais aussi d’Opitciwan, une autre communauté atikamekw.
Le but est de faire sortir les femmes. Elles sont toujours à s’occuper de la maison donc l’idée est de montrer com‐ ment caller [appeler l’orignal, NDLR], apprendre à chasser. Elles n’ont quasiment pas d’activités de ce genre, précise Jocelyne Basile, qui chasse l’orignal depuis un an.
Judy Ambroise Petiquay, l’autre coorganisatrice, veut aussi que les femmes vivent la sensation.
On sait cuisiner l’orignal, mais la job de l’homme, les femmes doivent l'apprendre aussi.
Car généralement, les femmes chassent le petit gi‐ bier comme la perdrix et posent des collets, mais s’at‐ taquer à l’orignal, c’est autre chose. Marlène Niquay s’en souvient encore. La première fois, je ne m’attendais pas à ça pantoute.
Elle essaie encore de com‐ prendre des années plus tard comment elle, si petite, a réussi à grimper en deux se‐ condes dans la camionnette blanche – immense dans ses souvenirs – pour aller cher‐ cher le coffre dans lequel le fu‐ sil était enfermé avec un cade‐ nas.
Quand j’ai vu l’orignal, j’ai tout de suite débarqué. En une fraction de seconde, j’ai ti‐ ré, j’ai vu l’orignal tomber et j’ai shaké, ça partait de là… j’en revenais pas, se remémore-telle en mimant ses tremble‐ ments.
J’ai embarqué dans l’auto en répétant : "qu’est-ce que j’ai fait?" Je shakais, j’avais le goût de pleurer, poursuit-elle dans un éclat de rire.
Dans la tente prospecteur, Julie Niquay, 49 ans, remet une bûche dans le foyer et re‐ place le sapinage par terre, histoire que tout soit prêt quand elle reviendra pendant la nuit après la chasse.
Si elle tire ce soir, ce sera son premier et elle va être heureuse. Dans le temps, je voyais mon grand-père, ça me faisait de quoi quand je le voyais tuer un orignal. Je pleu‐ rais quand j’étais petite et, au‐ jourd’hui, je suis excitée pas mal!
Si les histoires de chasse à l’orignal semblent souvent se conjuguer au masculin dans les récits, les femmes ont pourtant déjà chassé l’orignal dans le temps de manière plus fréquente, rappelle Joce‐ lyne Basile.
La kokom [la grand-mère] de mon conjoint me contait l’histoire de sa kokom qui tuait des orignaux. Ils y al‐ laient en canot. Donc ça fait longtemps que les femmes chassent, mais ça fait un bout que l’activité n’a pas été faite par les femmes… jusqu’à cette année. On est entrain de se réapproprier notre culture.
Jocelyne Basile, l'une des organisatrices du concours
Du plaisir et de l'appren‐ tissage
Les règles du concours sont plutôt simples : chaque femme paie 25 $ pour s’ins‐ crire. Lors du tir, la femme doit être filmée comme preuve qu'elle a abattu l'ori‐ gnal, et enfin, il faut détermi‐ ner qui chasse les jours pairs et les jours impairs.
Il est 20 h 34 et l’équipe de Déborah Neashish-Ambroise et Tifany Vollant part, accom‐ pagnées notamment d’Alexis Neashish, le fils de Déborah. Les hommes peuvent accom‐ pagner, guider, mais ils ne doivent pas tirer.
On espère que ce soir, c’est le bon. On a un bon guide!, lance Tifany en direction d’Alexis au volant. Ce dernier se fait moins optimiste.
Ce n’est pas une bonne an‐ née, j’en ai vu rien qu’un de‐ puis des semaines.
Dans l’auto, l’ambiance est à la rigolade. Toutes les femmes le mentionnent : être entre elles a un côté beau‐ coup plus le fun, il y a plus d’anecdotes à raconter au re‐ tour, plus de plaisir.
Mais le sérieux revient quand Tifany regarde l’heure, car elle sait qu’elle n’a que jus‐ qu’à minuit pour chasser. Après, ce sera au tour de Dé‐ borah.
Dans un chemin, alors que la lune éclaire le territoire qui s’étend devant, Alexis rappelle quelques conseils à Tifany sur la tenue du fusil et de ce qu’elle doit faire : Tu vas dé‐ barquer, tu vas l’accoter.
Je le charge et puis je tire? Il acquiesce. Puis le guide demande le silence et fait un call en portant ses mains à sa bouche pour attirer l’orignal mâle. Sa venue peut prendre des heures, voire des jours.
Croisées sur le territoire, Danaé Petiquay et Stéphanie Petiquay, des belles-soeurs, partent en suivant le mari de Stéphanie, qui les guide.
C’est plus sécuritaire. Il nous dit aussi quoi faire, quoi ne pas faire, surtout avec une arme, explique Stéphanie Pe‐ tiquay, 31 ans.
Danaé Petiquay, 37 ans, renchérit : C’est pas juste pour le fun qu’on le fait. C’est un bon enseignement, on a beaucoup à apprendre. Toutes les femmes devraient le vivre.
Le call n’est pas encore maîtrisé par les femmes. Mar‐ lène Niquay sait le faire, mais par pudeur, devant les autres, elle en murmure un, jurant qu’avec sa coéquipière, seules, ce sera bien plus fort.
Écoutez Alexis Neashish et Marlène Niquay appeler l'ori‐ gnal.
Julie Niquay rit et montre son secret : une application sur son téléphone qui imite le son du call d’orignal. Ça marche pareil même si on n’est pas équipé d’une écorce pour caller. L’orignal entend pareil quand tu mets ça au boute!.
Jocelyne Basile a aussi acheté un enregistrement pour faire l’appel, mais elle s'exerce, car elle songe à orga‐ niser un concours de call lors de la remise des prix de ce concours de panache.
Normalement, le concours devait se tenir pendant les se‐ maines culturelles de Wemo‐ taci, le moment où les familles partent en territoire pour se ressourcer. Il a été prolongé d’une semaine puisqu’aucune femme n’a réussi encore à abattre un orignal.
Toutes espèrent être les premières à décrocher le tro‐ phée. Outre le plaisir d’être ensemble et de ramener de la viande, il y a la possibilité de gagner une carabine, un en‐ semble de manteaux de chasse ou un ensemble de couteaux de chasse.
Et la promesse d’y retour‐ ner l’an prochain.