Ces États américains qui voteront pour formellement abolir l’esclavage
Aux États-Unis, l’esclavage est aboli depuis 1865... sauf pour les personnes incarcé‐ rées, qui peuvent être ré‐ duites à l'esclavage « comme punition pour un crime ». Cinq États profite‐ ront des élections de mimandat pour tenter de re‐ tirer cette exception de leur constitution.
À quelques jours des élec‐ tions de mi-mandat, Merika Coleman s’active au télé‐ phone. La démocrate tente de se faire élire au Sénat de l’Alabama – un État du Sud, re‐ ligieux et conservateur, où les républicains ont une majorité écrasante à la législature.
Mais lorsqu’elle appelle des électeurs, ce n’est pas de son élection dont Mme Cole‐ man parle, mais d’une ques‐ tion référendaire sur laquelle les Alabamiens se prononce‐ ront le 8 novembre prochain.
Voulez-vous m’aider à en‐ lever le vocabulaire raciste de notre constitution?, leur de‐ mande avec enthousiasme la politicienne au téléphone.
Comme plusieurs constitu‐ tions d’États américains – y compris la Constitution fédé‐ rale – l’Alabama interdit l’escla‐ vage et la servitude involon‐ taire, mais prévoit une excep‐ tion pour les personnes condamnées pour un crime.
C’est une exception qu’on a introduite après l’abolition de l’esclavage, pour maintenir l’accès à de la main-d'oeuvre gratuite, explique Merika Co‐ leman, en rappelant que les Noirs sont surreprésentés dans le système carcéral.
Notre Constitution doit re‐ fléter le système de valeurs de l’Alabama du XXIe siècle.
Merika Coleman, candi‐ date démocrate pour le Sénat de l’Alabama
En prison, travailler pour un salaire dérisoire
La question du travail car‐ céral fait régulièrement l’objet de débats aux États-Unis, comme l’été dernier, lorsque des détenus combattaient les feux de forêt en Californie et n'étaient payés que quelques dollars par jour.
Passion Farley a vécu cette réalité. Âgée de 44 ans, l’Alaba‐ mienne a purgé une peine de 18 ans pour meurtre — une erreur qu’elle dit regretter. Dé‐ tenue modèle, elle a obtenu sa libération conditionnelle en 2019 et étudie maintenant au Lawson State Community College pour devenir barbière.
Mon rêve c’est d’être entre‐ preneure… Travailler à mon compte, dit-elle avec un grand sourire. Assise dans la salle de classe dans laquelle elle passe la plupart de ses journées, Passion raconte son séjour en prison.
Je travaillais à la buanderie de 14 h à 21 h, se souvientelle. Lorsqu’on lui demande combien elle était payée, sa réponse est simple. Rien… Rien du tout.
C’est comme de l’escla‐ vage. Je [devais] aller travailler et je ne [gagnais] rien du tout.
Passion Farley, ancienne détenue
Lisa Dowie compare aussi le travail carcéral à de l’escla‐ vage. Assise sur un banc de parc, dans le centre-ville de Birmingham, elle nous montre des photos de son fils Robert.
C’est lui quand il avait 14 ans, chuchote-t-elle. C’est à cet âge que Robert Dowie a été condamné à perpétuité et mis derrière les barreaux. Vingt-sept ans plus tard, il est toujours incarcéré et ses chances de libération condi‐ tionnelle sont minces.
Pourtant, Robert sort de prison chaque jour pour aller travailler dans un refuge pour animaux. Il reçoit quelque chose comme 2 $ par jour et la prison perçoit le reste de son salaire, explique Lisa Do‐ wie.
C’est une forme d’escla‐ vage. Ils font de l’argent sur le dos des prisonniers, mais ils ont trouvé une façon diffé‐ rente de le faire.
Lisa Dowie, mère d’un dé‐ tenu
Une « crise humani‐ taire » dans les prisons d’Alabama
Le mari de Diyawn Cald‐ well est en prison, mais ne tra‐ vaille pas. Depuis quelques se‐ maines, Cordarius fait partie des prisonniers qui font la grève pour forcer l’Alabama à améliorer leurs conditions de détention.
Les prisons sont surpeu‐ plées, il y a de la moisissure partout, c’est insalubre, relate Diyawn. J’ai peur pour mon mari.
À l’insalubrité s’ajoute la violence endémique, car les gardes manquent dans ces prisons pleines à craquer.
En 2020, le gouvernement fédéral a poursuivi l'État de l’Alabama pour les conditions de détention inhumaines de ses détenus qu’il qualifiait d’anticonstitutionnelles.
Nous en avons assez de voir les membres de nos fa‐ milles sortir de prison dans des sacs mortuaires
Diyawn Caldwell, épouse d'un détenu
La cause n’a pas encore été entendue devant les tribu‐ naux, mais la gouverneure ré‐ publicaine de l’Alabama s’est opposée à toute mesure pour désengorger les prisons… et propose plutôt de construire de nouveaux pénitenciers.
C’est comme foncer dans un mur de brique à répétition, illustre Matthew Bailey, un avocat criminaliste qui pra‐ tique à Birmingham. Le juriste constate qu’il est devenu qua‐ si-impossible pour ses clients d’obtenir une libération condi‐ tionnelle.
C’est de la politique. La gouverneure [républicaine Kay] Ivy veut se faire réélire et ne peut pas risquer d’être celle qui remet un récidiviste en liberté Mais dans les faits, les personnes qu’ils gardent en prison ne représentent pas un danger pour la société, croit Matthew.
Ils font de la politique sur le dos des gens, déplore pour sa part Veronica Johnson, la directrice adjointe de l’orga‐ nisme Alabama Justice Initia‐ tive. Ils ont laissé les prisons devenir délabrées parce qu’ils se foutent des personnes qui sont à l’intérieur.
Changer la constitution: une première étape vers des réformes?
S'il est adopté, l’amende‐ ment constitutionnel pour abolir formellement l’escla‐ vage ne risque pas d’avoir un impact immédiat sur les conditions des détenus en l’Alabama.
C’est un geste symbolique. Cette mesure ne changera rien au système carcéral, in‐ dique en effet le juriste William Ross, qui enseigne à l'Université Samford.
D’autres voient cependant dans ce possible amende‐ ment une porte vers des contestations judiciaires qui forceraient l’Alabama à prendre ses responsabilités face aux détenus.
Le gouvernement devrait rendre des comptes et fournir des services aux prisonniers au lieu de dépendre de leur travail gratuit pour faire rouler ses prisons, illustre Veronica Johnson.
Merika Coleman est du même avis. Elle espère aussi que ses collègues républicains – qui ont soutenu sa proposi‐ tion d’amendement – seront plus susceptibles de parler de réformes après les élections de mi-mandat.
En ce moment, [les répu‐ blicains] ne veulent rien faire qui donnerait la perception qu’ils sont soft on crime ou qu’ils vont laisser des gens sortir de prison, explique Me‐ rika. Mais il va falloir faire quelque chose.
Outre l’Alabama, quatre autres États tiendront des ré‐ férendums pour abolir l’escla‐ vage pour tous leurs ci‐ toyens : la Louisiane, le Ten‐ nessee, l’Oregon et le Ver‐ mont.