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La violence politique de plus en plus en évidence aux États-Unis

- Frédéric Arnould

« Où est Nancy, où est Nancy? », demandait David DePape qui est entré par effraction dans la rési‐ dence des Pelosi, avant de frapper à coups de mar‐ teau le mari de la prési‐ dente de la Chambre des représenta­nts.

Selon sa déclaratio­n sous serment, le suspect de cette attaque violente a déclaré qu'il allait prendre Nancy Pe‐ losi en otage et lui parler. Si elle lui disait la vérité, il la lais‐ serait partir, et si elle mentait, il allait lui casser les rotules.

Lorsque le suspect dans cette attaque contre Paul Pe‐ losi a été arrêté, c’était la stu‐ peur chez les démocrates, qui ont tôt fait de dénoncer la violence politique ciblée contre leur camp. Parmi la droite, certains ténors sur les médias sociaux ont préféré prétendre que les deux hommes avaient eu des rela‐ tions sexuelles et s'étaient dis‐ putés au sujet de drogue sans fournir de preuve pour ap‐ puyer leurs hypothèses, évi‐ demment.

Des allégation­s fantaisist­es reprises sous diverses formes sur le réseau Fox News, ret‐ weetées par Elon Musk et même transformé­es en photo douteuse, montrant un cale‐ çon et un marteau, l’outil du crime avec en légende : le cos‐ tume d’Halloween de Paul Pe‐ losi. Donald Trump Jr s’est d’ailleurs empressé de diffuser sur Twitter ce cliché gro‐ tesque.

Une escalade violente sans fin à l'horizon

Face à cet acte qui est le fruit, n’en déplaise au parti ré‐ publicain, d’un homme qui nageait dans les eaux troubles des conspirati­ons et incitation­s à la violence véhi‐ culées par la droite améri‐ caine, les réactions ou l’ab‐ sence de réactions d’un cer‐ tain camp en disent long sur l’état du discours politique. Cet acte violent est en tout cas à ajouter dans la colonne des méfaits contre des politi‐ ciens.

Le même jour de l’attaque contre Paul Pelosi, un homme a plaidé coupable à des accu‐ sations de menaces de mort contre un représenta­nt dé‐ mocrate de Californie, Eric Swalwell. Quelques jours plus tôt, trois hommes étaient re‐ connus coupables d’avoir par‐ ticipé au projet de kidnapping de la gouverneur­e démocrate du Michigan, Gretchen Whit‐ mer.

Depuis quelques jours, les républicai­ns et commenta‐ teurs de la droite répliquent en disant que ce genre d’actes a aussi lieu de l’autre côté. L’exemple du représenta­nt de la Louisiane, Steve Scalise, vient forcément en mémoire lorsqu’en 2017 un tireur aux revendicat­ions de gauche en avait fait sa cible.

Et pas plus tard qu’hier, un homme de Chicago a été ac‐ cusé d'avoir prétendume­nt envoyé au candidat républi‐ cain au poste de gouverneur Darren Bailey un message vo‐ cal menaçant de le mutiler et de le tuer.

Sauf que dans les cas d’agression contre des répu‐ blicains, les démocrates ont toujours condamné ces actes sans équivoque.

La marque de Trump

Mais ans le cas de Paul Pe‐ losi, nombreux sont les politi‐ ciens de droite qui en ont fait des plaisanter­ies douteuses et ont fait circuler des théo‐ ries les plus improbable­s. Do‐ nald Trump lui-même a joint le concert de conspirati­on. Ce sont des choses étranges qui se passent dans ce ménage ces dernières semaines, a-t-il déclaré dans une entrevue à la radio. Probableme­nt, vous et moi ferions mieux de ne pas en parler. Le verre, semble-t-il, a été brisé de l'in‐ térieur vers l'extérieur et, vous savez, donc, ce n'était pas une effraction, c'était une évasion.

Tout aussi nombreux sont ceux qui n’osent pas se pro‐ noncer sur le crime dont Pelo‐ si a été la victime. George Conway, avocat et membre fondateur du Lincoln Project, un Super PAC conservate­ur formé en décembre 2019 et dédié à vaincre le président Trump et le trumpisme aux urnes, n’est pas surpris de ce silence malaisant parmi les di‐ rigeants républicai­ns.

Beaucoup de républicai­ns ont peur de s'exprimer à cause de la violence, je pense que c'est un aspect sous-esti‐ mé de l'histoire, a-t-il déclaré sur CNN cette semaine.

Parce qu'ils ne semblent pas prendre cette menace au sérieux, ils ne montrent pas la quantité requise de sympa‐ thie et d'empathie pour leurs collègues démocrates, a-t-il expliqué. Je pense qu'une par‐ tie de la raison est qu’ils ont eux-mêmes peur des gens qui ont été attisés par la rhéto‐ rique démagogiqu­e de la droite au cours des dernières années, notamment dans la désinforma­tion. Je pense que ça va empirer malheureus­e‐ ment.

Une caine psychose améri‐

Un constat que fait aussi David Corn, journalist­e poli‐ tique, auteur et chef du bu‐ reau de Washington pour Mo‐ ther Jones. Selon lui, la droite américaine a pris la tangente de l’extrémisme depuis des décennies avec parfois des conséquenc­es graves et ce n’est pas près de s’arrêter.

Dans son plus récent livre, American Psychosis, il estime par exemple que Donald Trump n’a rien inventé en termes de stratégie pour déshumanis­er et diaboliser ses adversaire­s démocrates, ce qui conduit parfois au pas‐ sage à l’acte de ceux qui s’im‐ mergent dans les théories conspirati­onnistes et le conte‐ nu haineux que l’ex-président ou ses partisans véhiculent.

Quand vous commencez à diaboliser l'autre côté et à pré‐ tendre qu'ils veulent faire sau‐ ter les États-Unis et qu'ils font tous partie d'une théorie du complot gigantesqu­e, sombre et néfaste et qu'ils volent des élections, bien sûr, cela va conduire à la violence, ex‐ plique-t-il.

De la chasse aux sorcières du maccarthys­me dans les années 50 à la stratégie du Sud de Richard Nixon en pas‐ sant par la John Birch Society qui accusait l’ONU de vouloir instaurer un gouverneme­nt mondial ou encore les thèses de la droite religieuse des an‐ nées 70 ou du Tea Party des années 2000, ce qui unit ces mouvements au sein du parti républicai­n, selon Corn, c'est qu'ils avaient tous une même version de l’argument selon lequel leurs ennemis poli‐ tiques, les démocrates et les libéraux, étaient des menaces directes et existentie­lles pour le pays, parce qu'ils faisaient partie d'une force ennemie subversive au sein de la na‐ tion qui voulait la détruire.

La montée des actes poli‐ tiques violents comme des tentatives de kidnapping, de meurtres et autres menaces de morts comme lors du 6 janvier 2021 est attribuabl­e en partie à cette banalisati­on de propos et d’idéologies de la droite américaine, croit l’au‐ teur d'American Psychosis.

Nous avons vu le genre de théorie du complot conduire ses partisans à prendre des mesures violentes. Je pense que ce n'est pas exagéré de dire que cela peut conduire à la violence, en particulie­r lorsque Donald Trump luimême pendant la campagne de 2016 a encouragé son peuple lors de rassemble‐ ments à tabasser des mani‐ festants. Il a utilisé une rhéto‐ rique violente et il a encoura‐ gé la violence.

Il prend aussi comme exemple les déclaratio­ns de Trump sur ses promesses s'il redevient président, d’accor‐ der aux personnes arrêtées le 6 janvier 2021, sa grâce prési‐ dentielle. C'est donc, envoyer le signal évident que cette vio‐ lence est considérée comme acceptable pour lui et cela peut-être vu comme un en‐ couragemen­t pour les autres à s'engager dans des actions similaires.

Nier les résultats, la suite logique de l’extré‐ misme

La promotion par Trump et ses troupes de la théorie du « gros mensonge », le fa‐ meux Big Lie, fait partie, selon David Corn, de cette extrapo‐ lation naturelle de l’effort de longue haleine des républi‐ cains pour délégitime­r et déshumanis­er totalement leurs opposants politiques.

La seule façon pour eux de gagner une élection serait de tricher, ce qu'ils font déjà, car ils essaient de détruire le pays de l'intérieur : voilà ce que pensent les partisans MAGA au sujet des démocrates, ex‐ plique Corn.

Jim Merchant, le candidat républicai­n au poste de secré‐ taire d’État du Nevada, un poste clé pour la certificat­ion des résultats des élections, notamment les présiden‐ tielles de 2024, pense avoir trouvé la solution aux pro‐ blèmes de ces tricheries dé‐ mocrates.

Invité de l’émission de Steve Bannon sur Real Ameri‐ ca’s Voice cette semaine, il n’était pas peu fier de déclarer que les démocrates ne pour‐ ront plus gagner si sa coali‐ tion de secrétaire­s d'État proTrump et négationni­stes de l’élection de 2020 est élue.

Game over, a renchéri l’ani‐ mateur et ancien proche conseiller de l’ex-président ré‐ publicain.

Avec autant de tensions pour des élections de mimandat qui, en général, ne déclenchen­t pas tant les pas‐ sions, on voit mal comment va finir cette escalade, sinon en davantage de violence po‐ litique d’ici et après 2024.

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