Le choléra se répand comme une traînée de poudre dans de nombreux pays
Les foyers de choléra se multiplient depuis un mois dans une trentaine de pays, dont 13 qui n’avaient pas eu de cas l’an dernier. L’ONU lance un avertisse‐ ment : ces populations ont besoin d‘aide immédiate et de vaccins si l’on veut frei‐ ner les épidémies.
La rareté des vaccins force l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à imposer une seule dose du vaccin plutôt que deux pour doubler le nombre d’enfants qui pour‐ ront le recevoir.
Des conflits qui perdurent et des inondations sans pré‐ cédent dans plusieurs régions du monde expliquent cette résurgence inquiétante du choléra, une maladie diar‐ rhéique qui se propage dans l’eau contaminée.
Parmi les pays les plus du‐ rement frappés, le Pakistan et le Bangladesh. Ces pays ne publient pas de données, mais ils compteraient des cen‐ taines de milliers de cas, selon des ONG présentes sur le ter‐ rain. Au pire de l’épidémie, plus de 1000 Bangladais étaient hospitalisés chaque jour, ce qui n’avait pas été vu depuis 60 ans dans ce pays.
Le choléra se propage aus‐ si dans des pays comme le Li‐ ban, qui n’avait pas vu de cas de choléra depuis 30 ans. La maladie a refait surface il y a trois semaines dans les camps de réfugiés syriens.
Le petit pays accueille plus d’un million et demi de Sy‐ riens qui fuient la guerre. Ils vivent sous les tentes, dans des camps où il n’y a pas de structures sanitaires. Des en‐ fants, affaiblis par la malnutri‐ tion, jouent dans des eaux contaminées et contractent la maladie.
Ces réfugiés représentent 30 % de la population liba‐ naise, c’est un chiffre énorme, dit le Dr Robert Sacy, chef du département de pédiatrie de l’hôpital de la Quarantaine, joint à Beyrouth. Les eaux de leurs toilettes de fortune dé‐ barquent sur la terre, à l’air libre, et vont se mélanger avec l’eau potable, l’eau des fleuves et des rivières.
Les camps sont situés dans la région de la Bekaa, considérée comme le grenier du Liban. C'est de là que la plupart des légumes du Liban proviennent, explique le Dr Sacy. Si les légumes sont arro‐ sés avec l'eau du choléra et s'ils sont mal lavés, ça peut transmettre la maladie. C'est pour ça qu'il y a un peu de pa‐ nique en ce qui concerne la distribution du réseau d'eau.
Selon l’OMS, plus de 1400 cas suspects et 17 décès ont été signalés au Liban de‐ puis le 5 octobre. L’épidémie, initialement confinée au nord, s’est rapidement propagée, avec des cas confirmés dans les huit gouvernorats du pays.
La situation au Liban est fragile, car le pays lutte déjà contre des crises politique et économique prolongées, a déclaré le représentant de l’OMS au Liban, Abdinasir Abubakar.
La crise économique, qui a littéralement mis le pays en faillite depuis trois ans, a des effets désastreux sur la santé des enfants libanais. Le pé‐ diatre Robert Sacy est inquiet, car les plus jeunes n’ont plus l’immunité nécessaire pour ré‐ sister aux maladies infec‐ tieuses.
Les gens n'ont plus les moyens d'assurer une nutri‐ tion correcte, dit le médecin. À peu près 80 % des enfants li‐ banais sont anémiques. On est en train de voir des cas de tétanos parce qu'il n'y a plus beaucoup de vaccins sur le marché libanais. Avant la crise, on était à la 24e place mondiale en matière de vacci‐ nation des enfants; là, on est à la 140e place.
Depuis un mois, le choléra refait surface en Haïti, après trois ans de répit. Les Haïtiens sont aussi frappés de plein fouet par une crise politique et sécuritaire qui paralyse tout le pays. À Port-au-Prince, tout est fermé. Les violences entre gangs criminels forcent les habitants à rester chez eux. Alors ils ont faim et n’ont pas accès à l’eau potable. Les conditions parfaites pour une épidémie de choléra.
La propagation est rapide; le nombre de cas suspects a grimpé de 2000 à 3430 en moins d’une semaine. Pas moins de 2942 malades sont hospitalisés et 89 sont décé‐ dés. Médecins sans frontières (MSF), qui gère presque tous les centres de traitement du choléra, craint une propaga‐ tion massive.
L'inquiétude est là, dit Be‐ nedetta Capelli, coordinatrice médicale adjointe pour MSF Belgique, jointe à Port-auPrince. Surtout parce qu'il y a toujours de grosses difficultés d'approvisionnement en eau potable pour la population et que la Société nationale de l'eau d'Haïti connaît, depuis pas mal de jours, des pro‐ blèmes de chloration de l'eau. La dernière épidémie, surve‐ nue après le séisme de 2010, avait fait 10 000 morts.
En Haïti comme au Liban, les pannes d’électricité em‐ pêchent les usines d’assainis‐ sement des eaux de fonction‐ ner normalement, quand elles ne sont pas carrément inon‐ dées, comme ça a été le cas cette année dans de nom‐ breux pays d'Asie et d'Afrique.
Le cycle des sécheresses suivies d’inondations dévasta‐ trices s’accélère par ailleurs dans les pays du Sahel. Et les dégâts prennent de l’ampleur.
Le Nigeria, pays le plus po‐ puleux d’Afrique avec 211 mil‐ lions d’habitants, a connu des inondations d’une ampleur sans précédent cet automne : 33 des 36 États du pays ont reçu des pluies diluviennes qui ont fait un million de dé‐ placés. Résultat : le pays subit la plus importante épidémie de choléra des dernières an‐ nées. Plus de 10 000 cas ont été répertoriés depuis sep‐ tembre. Et la bactérie a tué près de 300 personnes, un bi‐ lan très préliminaire.
Il y a une inquiétude im‐ portante par rapport aux dif‐ férents foyers de choléra cette année parce que ça se propage rapidement au sein de populations déjà fragilisées et vulnérables, comme en Haïti, affirme la pédiatre Joanne Liu, ex-présidente de
Médecins sans frontières in‐ ternational.
L’autre inquiétude, pour‐ suit-elle, c’est qu’on est à court de vaccins, alors l'OMS, avec le Groupe de coordina‐ tion internationale pour le partage des vaccins, a décidé de donner seulement une dose au lieu de deux, en sa‐ chant que ça va protéger plus de monde à court terme.
La spécialiste des urgences pandémiques et sanitaires fait remarquer que l’accélération des événements climatiques – ouragans, feux de forêts, sé‐ cheresses et inondations – ne provoque pas d’épidémies dans les pays riches. Les chan‐ gements climatiques ont des effets dévastateurs sur des populations appauvries par des conflits et des crises.
Je suis fort inquiète par rapport à l'accélération des différentes épidémies qu’on remarque depuis le début du 21ᵉ siècle, affirme celle qui en‐ seigne maintenant à l’École de santé des populations et de santé mondiale à l’Université McGill. On est passé du SARS au H1N1, à l'Ebola et au Zika, puis retour à l'Ebola. Présen‐ tement, on a la COVID-19 et la variole simienne. On se rend compte que ça se répète dans un laps de temps raccourci.
Selon la pédiatre et bien d’autres scientifiques, la source principale de cette ac‐ célération des épidémies se‐ rait la pression sur l’environ‐ nement, la coupe des forêts, la pollution des rivières. Cette pression augmente la trans‐ mission des virus de l’animal à
l’humain.