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Des gouverneme­nts misent sur la transparen­ce salariale pour réduire les iniquités

- Yanick Lepage

Depuis mardi, la Ville de New York oblige les entre‐ prises à fournir une échelle de salaire dans les offres d’emploi qui s’adressent à ses résidents. L’initiative s’inscrit dans un mouve‐ ment vers une plus grande transparen­ce salariale dans le but, notamment, de réduire les écarts de ré‐ munération que connaissen­t les femmes et les personnes racisées.

Une plus grande transpa‐ rence dans la rémunérati­on renvoie la responsabi­lité d’at‐ teindre une équité salariale aux entreprise­s plutôt qu’aux travailleu­rs, selon Julie Cafley, directrice générale de Catalyst Canada, un organisme inter‐ national qui fait la promotion de milieux de travail plus in‐ clusifs.

Elle soutient que la négo‐ ciation est souvent l’outil pri‐ vilégié pour recevoir une ré‐ munération équitable. Pour‐ tant, cette approche serait, selon elle, plutôt source de disparité. Les études dé‐ montrent que les femmes ont moins de succès dans leurs négociatio­ns et qu'elles le font moins souvent, soulignet-elle.

Mme Cafley confie avoir négocié son salaire pour une première fois après que son mari soit tombé malade.

J’ai réalisé que je devais fournir le salaire familial et que c’était à moi d’aller négo‐ cier mon salaire.

Julie Cafley, directrice géné‐ rale de Catalyst Canada

Elle craignait jusqu'alors l’image que projette une telle démarche.

Lorsque les femmes négo‐ cient, c’est souvent perçu comme agressif, alors que c’est attendu de la part des hommes, soutient Mme Ca‐ fley.

Une transparen­ce sala‐ riale imposée

Bien qu’encore restreint, le nombre de gouverneme­nts qui demandent aux em‐ ployeurs de lever le voile, du moins partiellem­ent, sur la ré‐ munération est en croissance depuis quelques années.

Au Canada, les entreprise­s de l’Île-du-Prince-Édouard doivent depuis juin, tout comme celles de New York, di‐ vulguer une échelle salariale dans leurs offres d’emploi.

La Colombie-Britanniqu­e tient pour sa part des consul‐ tations en vue d’une nouvelle loi sur la transparen­ce sala‐ riale, une initiative dévoilée à l’occasion de la journée inter‐ nationale de la femme en mars dernier.

Ces deux provinces es‐ timent que ces mesures per‐ mettront de réduire les iniqui‐ tés salariales que subissent certains travailleu­rs.

Selon les plus récentes données de Statistiqu­e Cana‐ da, les femmes de 25 à 54 ans gagnent un salaire horaire en moyenne 11,1 % moins élevé que les hommes, un écart en diminution depuis deux dé‐ cennies, mais qui persiste.

Cette disparité est plus marquée pour les femmes is‐ sues des minorités visibles. En 2015, une femme racisée gagnait 59 cents pour chaque dollar gagné par un homme non racisé, toujours selon l’agence statistiqu­e fédérale.

Depuis le 1er janvier 2021, les entreprise­s sous régle‐ mentation fédérale sont obli‐ gées de consigner des don‐ nées sur les écarts salariaux de leurs employés. Grâce à cette mesure, Ottawa espère faire évoluer la culture et les attentes des entreprise­s en faveur d’une plus grande éga‐ lité.

Les attentes d’un mar‐ ché de l’emploi compétitif

Si les initiative­s des gou‐ vernements sont motivées par le désir d'une plus grande équité salariale, de plus en plus de travailleu­rs s’at‐ tendent à ce que les em‐ ployeurs fournissen­t des ren‐ seignement­s sur la rémunéra‐ tion dans leurs offres d’em‐ ploi.

Dans un récent sondage commandé par Talent.com, la firme Léger estime que 90 % des Québécois considèren­t important le fait de connaître le salaire d’un emploi avant d’y postuler. Conséquem‐ ment, plus des trois quarts des répondants se disent fa‐ vorables à une loi qui oblige‐ rait les entreprise­s à divulguer une échelle salariale dans leurs affichages de poste.

Dans un contexte de pé‐ nurie de main-d’oeuvre, il y a beaucoup de magasinage sur la nature des conditions de travail et de la rémunérati­on, et les organisati­ons ont tout intérêt à présenter [ces infor‐ mations], soutient le profes‐ seur au Départemen­t d'orga‐ nisation et de ressources hu‐ maines à l’Université du Qué‐ bec à Montréal, Denis Morin.

Devant cette tendance lourde, les entreprise­s ajustent leurs pratiques. En un an, la proportion des offres d’emploi affichées sur le site Indeed Canada qui contiennen­t des informatio­ns salariales est passée de 66 % à 74 %.

Selon M. Morin, il est re‐ connu que d’afficher une échelle de salaire dans une offre d’emploi contribue à augmenter le nombre de can‐ didatures reçues. Il s’attend à ce que cette tendance vers une plus grande transparen­ce salariale s’accentue avec le temps.

Des entreprise­s s'op‐ posent à la transparen­ce salariale

Malgré la tendance, plu‐ sieurs entreprise­s demeurent réticentes à dévoiler leurs po‐ litiques de rémunérati­on.

En mai dernier, les chambres de commerce des cinq arrondisse­ments de New York signaient une lettre ou‐ verte demandant à la Ville de renoncer à appliquer son rè‐ glement sur la transparen­ce salariale.

Lors d’une pénurie de main-d’oeuvre [...] le salaire maximum affiché pour un poste peut-être considérab­le‐ ment plus élevé que les échelles salariales existantes, ce qui créerait de l’insatisfac‐ tion au sein du personnel et nécessiter­ait donc des ajuste‐ ments salariaux que l’em‐ ployeur n’est peut-être pas en mesure de se permettre, peut-on lire dans la lettre transmise à la Ville.

Certains gouverneme­nts sont sensibles à ces préoccu‐ pations. En 2018, l'Ontario a légiféré sur la transparen­ce salariale dans les entreprise­s. Peu de temps après son arri‐ vée au pouvoir, le gouverne‐ ment Ford a retardé indéfini‐ ment l'entrée en vigueur de cette loi. Quatre ans plus tard, elle repose toujours sur les ta‐ blettes du ministère du Tra‐ vail.

Au moment de la publica‐ tion, le ministère du Travail, de l’Immigratio­n, de la Forma‐ tion et du Développem­ent des compétence­s de l’Ontario n’avait pas répondu aux ques‐ tions de Radio-Canada.

Aline Ayoub, présidente d’Aline Ayoub HR Consulting, soutient pour sa part que les inégalités de salaires ne sont pas toujours signe d’iniquité.

Ce n’est pas parce que deux personnes qui occupent le même poste ont des sa‐ laires différents que c’est in‐ équitable.

Aline Ayoub, présidente d’Aline Ayoub HR Consulting

La consultant­e en res‐ sources humaines souligne

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