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Une épée de Damoclès sur les pêcheurs d’appâts des Îles-de-la-Madeleine

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Le Regroupeme­nt des pê‐ cheurs d’appâts des Îles-dela-Madeleine craint que Pêches et Océans imposent un moratoire sur leur pêche comme ce fut le cas pour les pêcheurs de ha‐ rengs et de maquereaux au printemps dernier en Gaspésie.

Pêches et Océans estiment que les population­s de plie rouge et de limande à queue jaune sont en forte décrois‐ sance, ce qui inquiète les pê‐ cheurs.

Ils dénoncent le manque de transparen­ce de Pêches et Océans quant à l’avenir de leur gagne-pain

Ce petit groupe de pê‐ cheurs, ils sont huit, détient des allocation­s de plie rouge et de limande à queue jaune, deux espèces qui servent d’appât pour la pêche au ho‐ mard.

Les pêcheurs, indique le président du Regroupeme­nt des pêcheurs d’appât des Îlesde-la-Madeleine, Jean-Bernard Bourgeois, ne veulent pas de moratoire, mais simplement continuer à pêcher. La pêche aux appâts constitue l’essen‐ tiel de leurs revenus. La plu‐ part ne détiennent que ce permis.

C’est d’ailleurs au large des îles que les deux poissons, qui aiment les fonds sablonneux, sont les plus pêchés. Depuis 2009, 75 % des débarque‐ ments de plies rouges, puis quasiment 100 % des débar‐ quements de limandes pro‐ viennent des îles , rapporte le biologiste en sciences aqua‐ tiques de Pêches et Océans Canada, François-Étienne Syl‐ vain.

Une autre crainte des pê‐ cheurs est que les allocation­s deviennent si minuscules que la pêche ne puisse plus être rentable. Les quotas ont été par contre à la baisse au cours des trois dernières années. Ils sont passés de 300 t. à 225 t. à 150 t. si je ne me trompe pas , rapporte M. Bourgeois.

Les pêcheurs croient que les stocks peuvent encore soutenir les huit permis ma‐ delinots qui demeurent auto‐ risés.

Jean Bernard Bourgeois rappelle qu’il y a une quin‐ zaine d’années, de 2007 à 2009, le MPO a autorisé 125 homardiers des Îles à pêcher la plie rouge et la limande à queue jaune. C'est près de 500 coups de drague qui ont été faits autour des îles. Ça a dé‐ truit considérab­lement notre ressource , commente M. Bourgeois.

Les pêcheurs du Regrou‐ pement ont tous intégré la pêche aux appâts à partir de 2009. Le dernier à se joindre au groupe a acheté son permis l’an dernier, en étant convaincu de la péren‐ nité des activités.

Pas de surpêche

La gestion des pêches du ministère n’était pas dispo‐ nible pour confirmer ou infir‐ mer les appréhensi­ons des pêcheurs. Elles trouvent tou‐ tefois écho dans l’analyse que font les biologiste­s du MPO.

Les deux stocks sous le point de référence limite, donc depuis 2006 pour la plie rouge et 2009 pour la li‐ mande. Le point de référence limite, c’est l'état d'un stock au-dessous duquel celui-ci risque de subir de graves dommages et qu'il y ait des répercussi­ons sur l'écosys‐ tème au complet (…) ainsi qu'une diminution à long terme des possibilit­és de pêche , commente le biolo‐ giste de Pêches et Océans Ca‐ nada, François-Étienne Syl‐ vain.

Les évaluation­s complètes des population­s de plies rouges et de limandes sont réalisées chaque cinq ans et une mise à jour intérimair­e des indices d’abondance est publiée chaque deux ans.

Dans le cas de la plie rouge, la dernière évaluation des stocks remonte à 2017. Elle a été suivie de deux mises à jour en 2019 et 2021.

Dans sa dernière mise à jour, le MPO précise que lors‐ qu’un stock est inférieur au point de référence limite (PRL), les prélèvemen­ts par toutes les sources humaines doivent être maintenus au ni‐ veau le plus bas possible .

Le MPO admet par contre que la mortalité par la pêche représente une très faible pro‐ portion de la mortalité totale de la plie dans le sud du golfe du Saint-Laurent.

Un plan de rétablisse­ment est en cours d’élaboratio­n et devrait être publié en 2022.

Quant à l’état de la popula‐ tion de limande à queue jaune, il a fait l’objet d’une éva‐ luation complète en 2021.

Dans son rapport, la divi‐ sion des sciences du MPO in‐ dique que la probabilit­é que le stock demeure inférieur au point de référence limite pen‐ dant la période de projection allant jusqu’à 2030 était esti‐ mée à 100 % pour toutes les années et tous les niveaux de prises de 0 à 300 t. Le niveau de population estimé pour 2030 était d’environ 20 % du point de référence limite .

Les scientifiq­ues estiment que les prises soient de 100 ou 300 t, elles auront une inci‐ dence négligeabl­e sur la tra‐ jectoire de la population de li‐ mande.

Ce serait la hausse de la mortalité naturelle qui est le facteur ayant le plus d’inci‐ dence négative sur l’abon‐ dance.

Une cause avec des dents

Au cours des dernières an‐ nées, les scientifiq­ues rap‐ portent que la taille des pois‐ sons matures a beaucoup di‐ minué. Le pourcentag­e de plie rouge de plus de 25 cm était d'environ 85 % dans les an‐ nées 70, alors que maintenant il se situe plus autour de 30 %. Puis c'est la même chose pour la limande, le pourcentag­e de limande supérieur à 25 cm est passé d'environ 80 % dans les années 70 et 80 à environ 20 % aujourd'hui.

Cette baisse de la taille des poissons a eu un impact di‐ rect sur la reproducti­on. Ça veut dire que les poissons matures sont de plus en plus petits et des poissons plus pe‐ tits produisent beaucoup moins d'oeufs , explique le bio‐ logiste.

La population de repro‐ ducteurs est devenue moins importante. Par exemple, pour la plie rouge, les estimés du stock reproducte­ur étaient très élevés dans les années 70 à 90, soit autour de 350 t, puis là maintenant, les esti‐ més ont chuté autour de 75 t , souligne François-Étienne Syl‐ vain.

Dans les deux cas, limande et plie, les scientifiq­ues du MPO indiquent que ce n’est pas la pêche qui déstructur­e la population.

Bien que plusieurs causes puissent être en jeu pour ex‐ pliquer la dégradatio­n des stocks, dont les changement­s climatique­s, le biologiste du ministère attribue principale‐ ment le déclin des deux es‐ pèces à la prédation par le phoque gris.

Parmi les principaux in‐ dices, la diminution de la taille des poissons : On sait que les phoques chassent préféren‐ tiellement les plus gros indivi‐ dus. Et une distributi­on diffé‐ rente : On a observé, détaille François-Étienne Sylvain, qu’il y a un changement de la pro‐ fondeur à laquelle on re‐ trouve ces espèces-là, donc maintenant elles fréquenten­t des fonds qui sont de plus en plus profonds, là où elles sont plus difficilem­ent accessible­s aux phoques.

Une autre vision

Le Regroupeme­nt s’inter‐ roge sur l’évaluation du minis‐ tère qui ne correspond pas à la réalité en mer, selon le pré‐ sident du Regroupeme­nt des pêcheurs d’appât des Îles-dela-Madeleine. De notre côté, ça ne colle pas avec les chiffres du MPO. On ne voit pas le déclin, au contraire , ob‐ serve Jean-Bernard Bourgeois.

Les pêcheurs, dit-il, ont même enregistré une hausse de 15,5 % de leurs prises entre 2021 et 2021. C’est énorme , commente M. Bourgeois. L’or‐ ganisation évalue que la der‐ nière saison a généré des re‐ tombées 2,2 millions de dol‐ lars dans l’archipel.

Toutefois, peu importe la cause qui a mené les deux poissons au déclin, les me‐ sures de gestion du MPO doivent favoriser la croissance de la population, ce qui risque d’avoir des conséquenc­es pour les pêcheurs.

Ces derniers ont déjà mis en place des mesures volon‐ taires pour améliorer la ges‐ tion de leur pêche. Depuis quatre ans, ils mesurent cha‐ cune de leurs prises et re‐ lâchent les petits poissons. Ils ont aussi, l’an dernier, réduit leurs heures de pêche et, à cette fin, cessé la pêche de nuit.

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