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Raviver la voix du géant Sandy Burgess

- Laurence Gallant

Il est toujours étonnant de constater comment des personnage­s plus grands que nature, qui ont occupé une place importante dans la sphère publique à une certaine époque, peuvent tomber dans l’oubli rapide‐ ment, sans cérémonie. L’éditoriali­ste et journa‐ liste rimouskois Sandy Bur‐ gess est de ceux-là, mais, désormais, sa voix toni‐ truante résonne à nou‐ veau, dans une biographie signée Denis Dion.

Certes, le temps qui passe nourrit l’oubli, affirme d’em‐ blée Denis Dion, qui a connu Sandy Burgess dans sa jeune vingtaine. En écrivant San‐ dy Burgess : La voix d’un géant, fruit d’un grand travail de recherche, l’auteur a voulu éviter que la trace laissée par son ancien patron à CFLP se limite au nom d’une rue de Ri‐ mouski.

Je voulais que cet hommelà, qui a été si important - j’uti‐ lise le mot géant de façon ex‐ trêmement réfléchie - je vou‐ lais que ce géant-là laisse une trace quelque part.

Denis Dion, auteur La biographie ravive ainsi la mémoire de cet homme ob‐ sédé par le développem­ent de sa région, qui a fait tonner sa voix forte sur les ondes ré‐ gionales, dans des éditoriaux très écoutés pendant des dé‐ cennies, et qui était connu pour prendre la défense des gens ordinaires.

Il a également été le men‐ tor de plusieurs journalist­es et animateurs qui sont deve‐ nus des figures phares dans les médias nationaux : de jeunes Bernard Derome, Pierre Nadeau et Mi‐ chel Keable sont passés par la station-école de CJBR à Ri‐ mouski et y ont fait leurs pre‐ mières armes, sous l’aile du di‐ recteur des programmes ra‐ dio Sandy Burgess.

Burgess, disparu en 1983 à l'âge de 52 ans, a également signé plus de 1800 chroniques dans les hebdomadai­res du Progrès du Golfe et du Pro‐ grès Écho. Ses envolées ont marqué de nombreuses per‐ sonnes de l’époque, et pour‐ tant, peu d’écrits permettant

d’en savoir plus sur l’homme ont été conservés, ironique‐ ment.

Denis Dion, qui dit luimême avoir été mis au monde profession­nellement par Sandy Burgess, en 1978, garde un souvenir assez flou de l’homme à la voix de sten‐ tor. J’avais vingt ans, j’étais un peu niaiseux, explique-t-il en rigolant. J’ignorais, à l’époque, quel monstre il était.

Celui qui a fait carrière pendant 40 ans en communi‐ cations se rappelle toutefois que Sandy, comme tout le monde l’appelait, l’encoura‐ geait à se faire confiance, lui intimant de projeter sa per‐ sonnalité dans son travail.

S’il ne pouvait compter sur sa propre mémoire pour rédi‐ ger cette biographie, De‐ nis Dion a su convoquer les souvenirs de nombreuses personnes ayant côtoyé Bur‐ gess. Il y a beaucoup d’amour dans ce livre-là, résume M. Dion.

Il y a l’émetteur, qui a pour armes ses idées et sa parole, et le récepteur, avec qui San‐ dy avait réussi à établir un lien affectif et crédible, une popu‐ lation qui avait besoin qu’on la soutienne et qui aspirait, bien normalemen­t, à un mieux-être. Son sens des mots minutieuse­ment soupe‐ sés, son langage simple mais singulier, bonifié par cette voix porteuse, avaient de quoi faire réfléchir des institu‐ tions insensible­s à des états de fait soi-disant immuables. Un influenceu­r avant l’ère des réseaux sociaux, écrit Ber‐ nard Derome dans la préface.

L’affection de l’homme de radio pour Rimouski et les hauts-pays du Bas-SaintLaure­nt sont soulignés à grands traits dans cet ou‐ vrage, qui devient une vitrine fascinante sur l’histoire de la région, à travers ses médias et certains de ses événements phares. On n’a qu’à penser à la période de grands boulever‐ sements qu’ont été les Opéra‐ tions Dignité, nées du projet du Bureau d’aménagemen­t de l’Est du Québec (BAEQ) de fermer de nombreux villages et de déraciner des milliers de personnes.

Sandy Burgess s’est fait grand critique du BAEQ dans ses éditoriaux. Il s’est senti in‐ terpellé par la réalité des agri‐ culteurs et des forestiers, qui selon lui ne demandaien­t qu’une chose : vivre décem‐ ment et pouvoir espérer en son propre avenir dans son milieu social. Est-ce trop sou‐ haiter? Est-ce trop attendre? Non!, écrit notamment San‐ dy Burgess dans un éditorial publié en amont du mouve‐ ment de protestati­on dont il sera témoin plus tard.

Burgess n’hésitait pas à commenter certaines situa‐ tions ou certains agissement­s comme son coeur le comman‐ dait. Même s’il était libéral et fédéralist­e, il critiquait, ap‐ prouvait, encensait ou atta‐ quait très honnêtemen­t tous les partis politiques, tous les groupes sociaux, écono‐ miques ou culturels, tous les bien-pensants ou mal-pen‐ sants, décrit l’ex-député de Ri‐ mouski et ex-ministre pé‐ quiste Alain Marcoux.

Sans surprise, sa grande gueule n’a pas que donné des moments glorieux. Si le grand patron de CJBR Jules-A. Brillant avait été, aux dires de De‐ nis Dion, assez audacieux de lui offrir une aussi grande li‐ berté de parole –et la grande popularité de ses éditoriaux lui donnait toutefois raison–, certains des propos de San‐ dy Burgess, au fil des ans, ont fait un esclandre.

Les patrons n'étaient pas toujours contents… Quand le maire de la ville qui était ven‐ deur d’autos se faisait ramas‐ ser, il appelait M. Lecomte [di‐ recteur de CFLP] pour lui dire : "Écoute, j’achète de la pub chez vous, vas-tu laisser ton gars me planter en éditorial comme ça?", relate l’auteur.

Sandy Burgess est même allé beaucoup trop loin à un certain moment, tenant des propos sexistes à l’égard des femmes. Réalisant à quel point il avait dépassé les bornes, il a présenté ses plus sincères excuses en ondes le lendemain, peut-on lire dans la biographie.

Même si le livre rapporte abondammen­t toute l’estime qu’inspirait le grand commu‐ nicateur et régionalis­te convaincu, il était important pour l’auteur de ne pas taire ces épisodes moins reluisants. S’il avait fallu que je n’aie pas cette honnêteté-là, je serais gêné d’aller en public pour en parler, affirme Denis Dion, sans ambages.

Selon lui, la place d'édito‐ rialiste à la radio et à la télévi‐ sion qu'a occupée Sandy Bur‐ gess était par ailleurs unique dans la région, créneau qui est disparu de l'espace média‐ tique en même temps que s'est fermé le micro du Ri‐ mouskois.

N’empêche, on retiendra surtout, à la lecture de cette biographie, que Sandy Bur‐ gess inspirait droiture, intégri‐ té, justice et justesse, pour re‐ prendre les mots de Da‐ niel Giasson, l’une des nom‐ breuses personnes à avoir of‐ fert ses souvenirs du journa‐ liste.

Le lancement de la biogra‐ phie Sandy Burgess : La voix d’un géant se tiendra à l'hôtel Rimouski jeudi soir, dans le cadre du Salon du Livre de Ri‐ mouski.

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