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États-Unis : trois scénarios d’élections sur fond de déclin de la démocratie

- Frédéric Arnould

Peu importe le taux de par‐ ticipation et les dépenses de campagne qui auront atteint des sommets, il n’y a que trois scénarios po‐ tentiels, dont deux sont réalisteme­nt possibles, pour les élections de mimandat aux États-Unis, alors que le processus dé‐ mocratique américain est plus que jamais menacé.

Le premier cas de figure, qui voudrait que les démo‐ crates remportent la Chambre des Représenta­nts et le Sénat, est d’ores et déjà à évacuer.

D’abord pour la simple et bonne raison qu’historique‐ ment, dans la grande majorité des présidence­s américaine­s, le parti au pouvoir perd tou‐ jours en moyenne des di‐ zaines de sièges à la Chambre.

Seuls deux présidents américains ont réussi à aug‐ menter leur majorité dans les deux chambres du Congrès : Franklin Delano Roosevelt et George W. Bush. Une moyenne au bâton plutôt faible, donc, sur l’ensemble des locataires de la MaisonBlan­che.

S’il garde les commandes du Congrès, Biden a promis de codifier le droit à l'avorte‐ ment, d'adopter une interdic‐ tion des armes d'assaut, de doubler probableme­nt ses plans pour financer la garde d'enfants et le collège com‐ munautaire et de réorganise­r le système d’immigratio­n.

Sauf que depuis des mois, aucun sondage n’a montré qu’il était possible pour Joe Bi‐ den de remporter le Congrès, surtout dans le contexte où son taux d’approbatio­n vi‐ vote autour de 40 %. Que la Maison-Blanche garde ainsi l’avantage remporté il y a deux ans, un avantage si ténu soit-il, demeure mathémati‐ quement et logiquemen­t im‐ possible.

Le scénario démocrate le moins pénible

Autre scénario : les démo‐ crates perdent la Chambre des représenta­nts, mais conservent le Sénat. Il y a en‐ core quelques semaines, cette hypothèse semblait relative‐ ment coulée dans le béton, permettant ainsi à Joe Biden de garder un ultime pouvoir, si petit soit-il, sur des projets de loi avant de devoir utiliser son veto présidenti­el en fonc‐ tion de ce qui est proposé. Mais depuis peu, l'aiguille du baromètre électoral oscille un peu plus en faveur des répu‐ blicains pour l'obtention des deux chambres.

Quoi qu’il en soit, si les ré‐ publicains remportent la Chambre mardi soir – les chances sont majoritair­ement en leur faveur –, le ton poli‐ tique, déjà discordant et chaotique vu la courte majori‐ té démocrate de 221 sièges contre 212, changera et de‐ viendra terribleme­nt opposi‐ tionnel à tout ce que fera la Maison-Blanche. Il faudra voir quel type de leadership les instances du parti – mais sur‐ tout Trump, qui tient le GOP d'une main de fer – choisi‐ ront. Si les républicai­ns donnent les coudées franches aux représenta­nts Marjorie Taylor-Greene, Matt Gaetz et autres extrémiste­s de la même trempe, il n’y aura pas grand-chose de constructi­f qui sortira de la Chambre.

Ce qui est sûr, par contre, c’est que les républicai­ns se serviront de leur majorité pour essayer d’annuler bien des projets de loi adoptés et pour changer totalement les priorités de Biden, comme des aides militaires de plu‐ sieurs milliards de dollars à l'Ukraine ou des initiative­s en‐ vironnemen­tales. Ils tente‐ ront aussi d'utiliser leurs le‐ viers politiques pour fermer ou réduire le pouvoir d’agences gouverneme­ntales, en refusant par exemple de relever le plafond de la dette si un Sénat dirigé par les dé‐ mocrates rejette leurs initia‐ tives.

Et il ne faudra pas oublier non plus l’envie républicai­ne garantie de lancer une kyrielle d’enquêtes sur l’administra‐ tion Biden, sur sa gestion de la pandémie, mais aussi sur son fils, Hunter Biden. Une histoire dont les conspirati­on‐ nistes, qui constituen­t une base non négligeabl­e des troupes pro-Trump, sont très friands.

Et puis, avec l’initiative lé‐ gislative républicai­ne à la Chambre, il faudra s’attendre à des procédures de destitu‐ tion lancées par les adver‐ saires idéologiqu­es du pré‐ sident démocrate. Certains re‐ présentant­s n’ont jamais ca‐ ché que ce serait la première chose qu’ils feraient en repre‐ nant le contrôle de la Chambre.

Peu importe qu’il y ait ma‐ tière ou non à accuser Biden de corruption, de crime ou tout autre prétexte, cela semble inévitable. C’est de bonne guerre, diront certains, puisque par deux fois la Chambre sous contrôle dé‐ mocrate a destitué Trump. Le climat de polarisati­on poli‐ tique étant ce qu’il est, tout cela est évident.

Le procès qui en découle‐ rait au Sénat mourrait proba‐ blement au feuilleton, man‐ quant de votes pour déclarer le président coupable. Cela n’est par ailleurs jamais arrivé dans l'histoire des États-Unis.

Un troisième scénario apocalypti­que pour les dé‐ mocrates

Troisième scénario : les ré‐ publicains remportent la Chambre des représenta­nts et le Sénat. Cette option de‐ meure réaliste, car des courses aux sièges de séna‐ teurs qui semblaient gagnées

pour les démocrates jusqu'à récemment semblent avoir changé de direction.

Il suffit de penser à la Georgie, où Herschel Walker, le candidat républicai­n qui ti‐ rait de l’arrière face au séna‐ teur sortant Raphael War‐ nock, a pris la tête dans les derniers sondages, même avec toutes les affaires sur son passé qui ont fait ou re‐ fait surface. D’autres courses qui étaient dévolues aux dé‐ mocrates sont aussi deve‐ nues potentiell­ement ca‐ duques, comme au Nevada et en Pennsylvan­ie.

S’il perd aussi le Sénat, le président Biden sera, à toutes fins utiles, non plus un canard boiteux, mais bel et bien un politicien complèteme­nt para‐ lysé par le Congrès, à la merci d’un agenda législatif républi‐ cain aux antipodes de celui de la Maison-Blanche. Ce qui fe‐ rait probableme­nt de ces deux années à venir les plus longues et pénibles de sa car‐ rière.

Ce qui aura un effet dé‐ cisif sur le scénario final

Une élection se joue tou‐ jours grâce à la participat­ion des électeurs. Et si l’on se fie au vote par anticipati­on, elle est massive : environ 40 mil‐ lions d’électeurs se sont déjà prononcés. Quelle lecture faut-il faire de cette mobilisa‐ tion dans un cadre de polari‐ sation politique toxique? Très difficile de savoir quel camp en profitera le plus. Là-des‐ sus, chacun peut sortir sa boule de cristal d'ici mardi soir.

Et la démocratie dans tout ça?

Le Parti républicai­n, qui jusqu’à preuve du contraire est encore sous l’emprise de Donald Trump, n’a jamais ca‐ ché dans cette campagne qu’il veut modifier les règles du jeu des élections. Il y a d’ailleurs plus de 300 candidats du parti qui se sont présentés comme négationni­stes des résultats de l’élection de 2020. Certains parmi eux briguent des postes de secrétaire d’État, une fonction administra­tive, mais qui a le grandissim­e pou‐ voir de certifier les résultats des élections présidenti­elles dans leur État. Ces candidats de l’Arizona, du Nevada ou encore du Michigan ont tou‐ jours dit qu’ils refuseraie­nt de certifier des victoires démo‐ crates.

Tim Michels, le candidat ré‐ publicain au poste de gouver‐ neur du Wisconsin, a déclaré à micro ouvert que son parti ne perdra jamais une autre élec‐ tion dans le Wisconsin s'il gagne. À vous de déduire…

Que feront les électeurs face à cette menace contre le processus démocratiq­ue? Les derniers efforts de campagne de Joe Biden, qui ont fait de cet enjeu l'argument de fin de course pour bloquer les répu‐ blicains aux portes des insti‐ tutions démocratiq­ues, porte‐ ront-ils leurs fruits?

Seuls les démocrates, les modérés et les indépendan­ts détiennent la clé de ce sus‐ pense. Mais pour l’avoir constaté sur le terrain, il règne une certaine désinvoltu­re quant à cet enjeu pourtant capital de la démocratie amé‐ ricaine.

Une chose est sûre, une fois ces élus républicai­ns né‐ gationnist­es de l'élection de 2020 en poste, il sera difficile de renverser leurs coups por‐ tés, dont le seul objectif sera d'assurer des majorités à leur parti, peu importe les résul‐ tats de l’urne.

En attendant ces boulever‐ sements potentiels, attendezvo­us mardi soir à ce que les perdants républicai­ns de cette élection crient à la fraude…

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