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De Roxham à l’Ontario, un trajet parfois fait à contrecoeu­r

- Vincent Rességuier

Depuis le mois de juin der‐ nier, plus de 2000 deman‐ deurs d'asile, arrivés par le chemin Roxham, ont été transférés par le gouverne‐ ment fédéral vers l'Onta‐ rio.

Selon Immigratio­n, Réfu‐ giés et Citoyennet­é Canada (IRCC), entre le 30 juin et le 6 octobre, 1178 demandeurs d’asile ont été envoyés à Nia‐ gara Falls, 720 à Cornwall et 293 à Ottawa, soit un total de 2191 transferts.

Pour cette période, IRCC évalue le coût des opérations à près de 10 770 000 $, soit en‐ viron 4900 $ par personne.

Cette pratique a été mise en place à la suite de de‐ mandes répétées du gouver‐ nement Legault, Québec sou‐ tenant que ses services ne peuvent plus répondre à la demande, en forte hausse de‐ puis la réouvertur­e du chemin Roxham en novembre 2021.

Entre janvier et septembre 2022, 26 846 dossiers de de‐ mandes d’asile ont été traités par l’Agence des services fron‐ taliers au Québec, la très grande majorité concernant des personnes passées par le chemin Roxham.

C’est bien au-delà du pré‐ cédent record établi en 2017, où 18 836 demandes avaient été enregistré­es au Québec. Ce bilan s’élevait à 18 518, en 2018 et à 16 136 en 2019, avant de chuter à 3189 en 2020 pendant la pandémie.

Dans un courriel, IRCC as‐ sure que les transferts se font sur une base volontaire. Ils sont offerts aux personnes qui veulent s’établir en Onta‐ rio ou dans l’ouest du pays.

IRCC affirme que des de‐ mandeurs d’asile peuvent également être transférés temporaire­ment en Ontario, afin de libérer de l’espace dans les sites d’hébergemen­t temporaire au Québec. Par la suite, ils peuvent retourner au Québec dès que de l’héberge‐ ment est disponible.

Un ultimatum monter dans un bus pour

Plusieurs organismes montréalai­s ont cependant constaté que des deman‐ deurs d’asile ont subi des pressions pour embarquer dans les bus, avec parfois un ultimatum de quelques heures, voire de quelques mi‐ nutes.

C’est ce que nous a confié Juan, un demandeur d’asile qui est arrivé par le chemin Roxham, au cours de l'été, avec sa femme et leurs deux enfants. Ils ont fui leur pays dans l'urgence pour se proté‐ ger de la violence.

À leur arrivée, ils ont dû observer une quarantain­e dans un hôtel réquisitio­nné par le gouverneme­nt fédéral. Tout s'est bien passé, jusqu'au jour où un gestionnai­re a dé‐ boulé dans leur chambre pour les inviter à plier bagage.

Juan n'était pas présent, il faisait des démarches en ville en vue de leur installati­on à Montréal. Il a reçu un appel de sa femme, paniquée. Elle comprenait seulement qu'il fallait partir... et vite.

Tous deux ne parlent ni français ni anglais. Coup de chance, Juan se trouvait alors en compagnie d'une tra‐ vailleuse sociale qui a pu faire la traduction au téléphone.

La situation était simple : ils avaient 30 minutes pour trouver une adresse d'accueil au Québec. Dans le cas contraire, ils devaient embar‐ quer dans un bus en direction de l'Ontario.

Leur niveau de stress était alors à son maximum. Je sa‐ vais que l’Ontario était loin d’ici et donc je ne voulais pas aller là-bas, nous confie Juan, encore ébranlé par cet épi‐ sode, des semaines plus tard.

Par miracle, grâce à la tra‐ vailleuse sociale, en quelques minutes, ils ont trouvé une place en urgence dans un foyer d'hébergemen­t pour demandeurs d'asile.

On ne peut pas traiter ces personnes comme des numé‐ ros. Il y a des personnes qui sont assez résiliente­s pour le prendre, mais on a beaucoup d'enfants traumatisé­s par leur histoire migratoire, énormé‐ ment de femmes aussi.

Arthur Durieux, cofonda‐ teur, centre Le Pont

La famille a été accueillie par le centre Le Pont. C’est le cofondateu­r Arthur Durieux qui leur a ouvert les portes, comme il le fait pour des di‐ zaines de familles chaque an‐ née.

Cette famille a eu de la chance parce qu’une chambre était prête, dit-il, tout en invi‐ tant les gouverneme­nts à faire preuve d’humanité.

Par la suite, Juan et sa fa‐ mille ont trouvé un apparte‐ ment. Avec sa femme, ils suivent désormais des cours de francisati­on, leur fille va à l'école et le couple a la ferme intention de travailler et de s'intégrer au Québec.

Un poids additionne­l

Selon le Collectif Bienve‐ nue et le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), ce genre de situation a été ob‐ servé à plusieurs reprises au cours de l’été, lorsque la pres‐ sion sur le système d'accueil était à son maximum.

Même constat chez Foyer du monde, qui offre un héber‐ gement temporaire aux mi‐ grants. Sa coordonnat­rice, Eva Gracia-Turgeon s’oppose au transfert des personnes qui veulent s’installer définiti‐ vement au Québec.

Selon elle, un transfert est un poids supplément­aire pour les demandeurs d’asile qui ont déjà fait leur demande d'asile au Québec.

Ils doivent faire ensuite des changement­s complexes pour faire suivre la demande dans une autre province. Cela complique la gestion du par‐ cours migratoire, déplore-telle.

IRCC assure que des ren‐ seignement­s sont fournis aux demandeurs d’asile pour les aider à modifier leur dossier et qu'ils peuvent avoir accès un service de soutien, mais, selon Eva Gracia-Turgeon, la situation est loin d'être idéale.

Ça crée un poids addition‐ nel sur des gens qui ne connaissen­t pas l'Ontario, des gens qui ont quitté leur pays parce qu'ils ont probable‐ ment eu des problèmes de violence, s’exclame Mme Gra‐ cia-Turgeon.

Une communicat­ion cri‐ tiquée

Les organismes montréa‐ lais que nous avons consultés dénoncent en bloc le fait que les demandeurs d’asile trans‐ férés ne comprennen­t pas toujours les enjeux de ce voyage.

Manque de communica‐ tion, court délai de réflexion, barrière de la langue, accom‐ pagnement déficient… selon eux, la prise en charge est loin d’être optimale, dans un contexte où les différents ser‐ vices d’accueil gouverneme­n‐ taux sont débordés.

Certains n'ont pas confiance dans les forces de l'ordre ou dans le gouverne‐ ment. Quand ils arrivent ici, ce n'est pas ce genre d'action qui va les sécuriser. Ce n'est pas répondre à leur questions que de les forcer à faire quelque chose sans leur dire ce qu'il se passe.

Eva Gracia-Turgeon, coor‐ donnatrice, Foyer du monde

De son côté, IRCC nous a écrit que les demandeurs d’asile reçoivent un document expliquant où ils seront trans‐ férés avec des réponses aux questions les plus courantes, notamment sur l’aide finan‐ cière.

Toujours selon IRCC, ce do‐ cument est offert dans plu‐ sieurs langues, dont le créole, l’espagnol, le turc et l’arabe. Le ministère soutient qu’un four‐ nisseur de services est égale‐ ment disponible sur place pour répondre aux interroga‐ tions des demandeurs d’asile.

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