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La Suisse, grande épargnée de l’inflation en Europe

- Raphaël Bouvier-Auclair

Au petit matin, alors que le soleil commence à peine à découper la forme des montagnes qui sur‐ plombent le village de Ley‐ tron, la journée du boulan‐ ger Albert Michellod est dé‐ jà bien entamée.

Ces temps-ci, ce commer‐ çant a en tête le même souci que ses collègues ailleurs en Europe : l’impact de la hausse des prix sur sa production.

Toutes nos matières pre‐ mières augmentent. Ça veut dire que, pas plus tard qu’hier, le marchand de levures m’a annoncé qu’en novembre il y a une augmentati­on de 15 centimes de franc suisse sur la levure. Ça avait déjà commencé avec la farine et le beurre, explique Albert Mi‐ chellod.

Pour cet entreprene­ur, dont le commerce dépend de fours et de congélateu­rs éner‐ givores, la renégociat­ion de son contrat énergétiqu­e l’an‐ née prochaine est aussi source d’inquiétude.

Dans sa boulangeri­e, qui fait aussi office de café, la hausse des prix s’invite dans les conversati­ons. Mais César, un client, relativise quand il compare la situation en Suisse à celle des pays voisins.

On est quand même mieux, je pense.

J’ai de la famille en Alle‐ magne, et c’est un peu plus difficile maintenant.

César, un travailleu­r suisse Et pour cause, le taux d’in‐ flation en un an pour le mois d’octobre était de 10,4 % en Allemagne. Pour l’ensemble de la zone euro, l’institut Eu‐ rostat prévoit un taux de 10,7 % pour la même période.

La Suisse, avec son infla‐ tion qui a baissé de 3,3 % à 3 % entre septembre et oc‐ tobre, fait donc figure d’ex‐ ception sur le continent.

Devise et énergie, prin‐ cipaux outils de la Suisse

Selon Vincent Riesen, di‐ recteur général de la Chambre valaisanne de commerce et d'industrie, la singularit­é de son petit pays s’explique entre autres par la force de sa devise, dont la valeur a aug‐ menté au cours des derniers mois.

Le franc suisse a un taux quasi identique à celui de l’eu‐ ro, ce qui favorise la Suisse dans l’achat de produits im‐ portés, dont son économie dépend grandement.

Dès que la situation se tend économique­ment, politi‐ quement, on sent que le franc devient automatiqu­ement une valeur refuge, attire des capitaux étrangers et ça fait monter sa valeur, explique l’économiste, qui souligne aussi l’impact des politiques monétaires et fiscales de son pays.

Comme on a beaucoup d'importatio­ns dans ce pays, vu que nous-mêmes on ne produit pas beaucoup de res‐ sources, automatiqu­ement, tous les prix des matières pre‐ mières, nos termes de l'échange s'en trouvent ren‐ forcés.

Vincent Riesen, directeur général de la Chambre valai‐ sanne de commerce et d'in‐ dustrie

Cette force du franc avan‐ tage ainsi les Suisses lorsqu’ils doivent s’approvisio­nner sur les marchés mondiaux de l’énergie, où les prix ont connu d’importante­s aug‐ mentations.

En matière d’énergie, la Suisse demeure également beaucoup moins dépendante des importatio­ns de gaz que d'autres pays européens, ce qui l’épargne en partie des im‐ pacts de la hausse de la valeur de cette ressource depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine.

Selon les autorités helvé‐ tiques, en 2020, 66 % de l’élec‐ tricité consommée dans le pays dépendait de l’énergie hydroélect­rique et 20 % ve‐ nait de l’énergie nucléaire.

Une inflation qui de‐ meure difficile à gérer pour certains

Même si, au chapitre de l’inflation, la situation du pays alpin est nettement plus en‐ viable que celle de ses voisins européens, la hausse des prix à la consommati­on pèse sur le moral des Suisses.

Chaque trimestre, les au‐ torités de Berne mesurent les appréciati­ons et les attentes des ménages quant à la situa‐ tion économique, avec ce qui est appelé l’indice du climat de consommati­on.

Or, en octobre, cet indice a atteint son plus bas niveau depuis que ce genre d’en‐ quête est mené, en 1972.

Vincent Riesen, de la Chambre valaisanne de com‐ merce et d’industrie, rappelle que tous les Suisses ne sont pas riches.

On a aussi une classe moyenne inférieure qui peine parfois à nouer les deux bouts. Et évidemment, pour ce type de ménages, le choc d'inflation est assez dur, pré‐ cise-t-il.

Ainsi, même si les salaires sont plus élevés qu’ailleurs, dans un pays où le coût de la vie est 40 % plus élevé qu’en France, une augmentati­on des prix, même modérée, peut avoir des conséquenc­es importante­s.

Pour le boulanger Albert Michellod, qui achète beau‐ coup de ses produits en Suisse et qui ne peut donc pas profiter de la force de la devise, le phénomène est in‐ quiétant. Bien que le taux soit limité, il s’attend à devoir tôt ou tard imiter d’autres com‐ merçants européens, et ré‐ percuter les impacts de l'infla‐ tion sur les prix de ses pro‐ duits.

On est très proches de notre clientèle, ça fait tou‐ jours mal d’augmenter les prix, lance Albert Michellod.

Même si leur réalité semble aujourd'hui bien éloi‐ gnée de celle des Allemands ou des Britanniqu­es, les Suisses ne pourront peut-être pas entièremen­t échapper aux vents inflationn­istes qui soufflent sur le continent eu‐ ropéen.

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