Les Canadiens soulignent le jour du Souvenir avec des cérémonies d’un océan à l’autre
D’un océan à l’autre et sans restrictions sani‐ taires, les Canadiens com‐ mémorent vendredi le jour du Souvenir en rendant hommage à celles et ceux qui ont combattu et donné leur vie sous le drapeau du Canada.
Plusieurs rassemblements sont prévus près des monu‐ ments commémoratifs, comme à Ottawa, où la Ville a hissé le drapeau du coqueli‐ cot dans certaines de ses ins‐ tallations municipales dans le cadre de la Semaine des an‐ ciens combattants, qui va du samedi 5 novembre au ven‐ dredi 11 novembre.
Le défilé traditionnel des anciens combattants, qui re‐ prend sa place lors de la céré‐ monie nationale, verra la par‐ ticipation de plusieurs digni‐ taires, dont la gouverneure générale Mary Simon, qui est aussi commandante en chef.
Dans une déclaration ren‐ due publique vendredi matin, Mary Simon a mis l’accent sur le rôle joué par les Forces ar‐ mées aussi bien sur le champ de bataille que dans les ef‐ forts de reconstruction de communautés dévastées au Canada et dans le monde en‐ tier, après des incendies de fo‐ rêt, des ouragans ou des guerres.
Le premier ministre Justin Trudeau ne sera pas présent, puisqu'il doit s'envoler pour un sommet international au Cambodge.
Dans les arénas de hockey, les gymnases d'école, les centres-villes et les maisons de retraite de toutes les com‐ munautés du pays, nous pro‐ mettons de ne jamais oublier les sacrifices que les membres des Forces armées cana‐ diennes et nos anciens com‐ battants ont faits pour nous.
Justin Trudeau, premier mi‐ nistre du Canada
Le gouvernement fédéral sera représenté par le mi‐ nistre des Anciens Combat‐ tants, Lawrence MacAulay.
Le jour du Souvenir nous rappelle que notre liberté n’est pas gratuite. Elle a été achetée à un prix terrible, payé par les braves hommes et femmes qui ont répondu à l’appel pour défendre la liber‐ té et faire respecter la paix et la justice, a déclaré de son cô‐ té Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada et de l’opposition officielle.
Dans une publication ap‐ puyée d’une vidéo sur son compte Twitter, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh a rendu lui aussi hommage à ceux qui ont consacré leur vie au ser‐ vice des Canadiens.
En ce jour, nous nous te‐ nons aux côtés de nos an‐ ciens combattants, de nos soldats et de leurs familles en préconisant le soutien qu'ils méritent, a-t-il écrit.
Pour marquer le tragique dénouement de l'opération menée dans le port français de Dieppe, le 19 août 1942, un drapeau du Red ensign qui aurait été porté par l'un des 5000 soldats canadiens pré‐ sents sur le champ de bataille sera exposé. Le drapeau avait été légué à la Légion royale canadienne.
Combattre la solitude chez les vétérans
Le jour du Souvenir est aussi l’occasion de penser aux membres des Forces armées, aux anciens combattants, et à leur santé physique et men‐ tale.
À la demande des organi‐ sations de défense des an‐ ciens combattants, le recense‐ ment canadien de 2021 a in‐ clus des questions liées aux personnes qui ont déjà servi dans les rangs des Forces ca‐ nadiennes.
On y apprend que près d’un quart des anciens com‐ battants vivent seuls, ce qui est un taux beaucoup plus élevé que celui de la popula‐ tion globale.
En entrevue à Tout un ma‐ tin, Dave Blackburn, vétéran, chercheur spécialisé en santé mentale chez les militaires et les anciens combattants, confirme que beaucoup de vétérans souffrent de solitude et d’isolement social.
M. Blackburn, qui s’est penché sur le sujet dans le cadre d’une recherche pour mieux cartographier les ser‐ vices de santé mentale pour les vétérans, constate un manque de données sociodé‐ mographiques sur ces vété‐ rans dispersés à travers le pays, alors que les services qui leur sont destinés sont es‐ sentiellement concentrés au‐ tour des bases militaires.
Difficultés de tion réinser‐
L’organisation militaire est une famille, où l’on passe par de nombreuses délocalisa‐ tions et un mode de vie parti‐ culier. Lorsque vient la pé‐ riode de transition pour re‐ tourner à la vie civile, ce n’est pas simple, explique M. Black‐ burn.
Pour beaucoup de vété‐ rans qui ont vécu 10 ans, 15 ans au sein de l’organisa‐ tion, les points de repère sont très difficiles à retrouver.
Dave Blackburn, vétéran, chercheur spécialisé en santé mentale chez les militaires et les anciens combattants
De militaire à vétéran, le changement de statut est parfois difficilement vécu, ex‐ plique M. Blackburn. Après avoir bénéficié d’excellents services de santé de la part du ministère de la Défense en qualité de militaire actif, la si‐ tuation change complète‐ ment en quittant les Forces armées.
Lorsque l’uniforme est ran‐ gé et que l’on n’est plus consi‐ déré comme militaire actif, tout cela disparaît. Le soutien qui vient du ministère des An‐ ciens Combattants du Canada n’est pas du tout le même.
Dave Blackburn, vétéran, chercheur spécialisé en santé mentale chez les militaires et les anciens combattants
La journée du Souvenir pourrait être une occasion pour faire connaître cette pro‐ blématique. L’image du vété‐ ran a changé depuis les 50 dernières années. Ce n’est plus cette personne âgée des deux grandes guerres mon‐ diales, fait remarquer Dave Blackburn.
Ce sont essentiellement des vétérans qui ont participé à des missions de maintien de la paix aux quatre coins du Canada et, dernièrement, des militaires qui ont participé à des missions en Afghanistan, ajoute-t-il. Un vétéran peut avoir 40 ans et avoir fait deux ou trois missions en Afghanis‐ tan et occuper un emploi civil aujourd’hui.
Il s’agit aussi de com‐ prendre qui sont les vétérans
aujourd’hui. Le ministère des Anciens Combattants a un rôle à jouer pour comprendre qui sont les vétérans et mieux comprendre l’homme et la femme derrière l’uniforme pour renforcer le pont entre la vie civile et celles et ceux qui ont contribué à l’organisa‐ tion militaire M. Blackburn.
,
estime
qu'elle les accepte dans ses rangs.
À ce jour encore, le gouver‐ nement canadien ne recon‐ naît pas leur existence et ne leur octroie aucune pension.
Ça a été la même chose aux États-Unis. Ça leur a pris près de 25 ans pour se faire reconnaître là-bas, souligne Keith Tracy.
C’est toutefois aux ÉtatsUnis que les anciens combat‐ tants canadiens trouvent du soutien. De la part d’autres anciens du Vietnam, mais aus‐ si du gouvernement qui les prend en charge, notamment pour couvrir leurs frais médi‐ caux.
Mais beaucoup ignorent leurs droits.
Les seuls qui le savaient sont ceux qui avaient été gra‐ vement blessés, mais la plu‐ part n’étaient pas blessés physiquement, mais psycho‐ logiquement et ne savaient pas où aller, explique Keith.
J’ai rencontré des gens qui étaient près de mourir à qui j’ai appris qu'ils pouvaient ob‐ tenir de l’aide du gouverne‐ ment américain. Mais ils de‐ vaient aller s'inscrire, mais ils ne l’ont jamais fait et n’ont ja‐ mais rien eu.
Keith Tracy
Un monument guérir pour
Plus de 50 ans après son retour du Vietnam, Mike garde un goût amer de cet épisode de sa vie. Il semble toutefois avoir pansé ses bles‐ sures.
Après des années difficiles où il a sombré, comme tant d'autres, dans la drogue et l'alcool, il raconte qu’il est par‐ venu à remonter la pente en grande partie grâce à sa mère qui l’a encouragé - ou plutôt forcé - à se prendre en main au nom de tous ceux qui ne sont jamais revenus du théâtre d'opérations.
Mais, ce qui a été vraiment thérapeutique pour lui, c’est la construction du monument commémoratif dédié aux an‐ ciens combattants canadiens du Vietnam inauguré à Wind‐ sor en juillet 1995.
Quand le mur a été construit, ça a été le moment pour moi de sortir et de dire que j’étais fier de qui j’étais. Mike Lepine
Financé par d’anciens com‐ battants américains, The North Wall devait initialement être construit à Ottawa, rap‐ pelle Greg Maev.
Selon Keith Tracy, la créa‐ tion du mémorial a eu un ef‐ fet bénéfique sur plusieurs anciens soldats qui ont com‐ mencé à se fréquenter après avoir ignoré pendant des dé‐ cennies l’existence des uns et des autres.
Le mémorial a ouvert les portes. Avant, uniquement les familles savaient ce qui s'était passé, constate-t-il.
Une idée partagée par Mike Lepine. Lui aussi a don‐ né un nouveau sens à sa vie en allant à la rencontre d’autres anciens soldats.
En m’engageant avec l’As‐ sociation des anciens combat‐ tants du Vietnam j’ai réalisé ce que je voulais être, que je voulais aider; ce qui m’a aidé encore plus parce que main‐ tenant je peux en parler. Je ne pouvais pas le faire avant, confie celui qui est au‐ jourd'hui président de la North Wall Riders Association, chapitre de Windsor et viceprésident national.
Le Mémorial comprend ac‐ tuellement le nom de 169 Ca‐ nadiens qui ont été tués au combat.
Ce devoir de mémoire est toutefois loin d’être terminé, puisqu’on ignore encore le nombre exact de Canadiens qui se sont engagés dans l’ar‐ mée américaine, tout comme le nombre de ceux qui ont perdu leur vie sur le champ de bataille. C’est pourquoi, de‐ puis plus de deux ans, Keith Tracy fait des recherches pour savoir combien de Canadiens ont effectivement servi sous le drapeau américain au Viet‐ nam.
On a les noms de huit [sol‐ dats] qui étaient de Windsor et qui sont morts au Vietnam, mais il faut comprendre qu’ils venaient de partout au Cana‐ da, précise Keith.
Petit à petit, il rassemble aussi les informations sur cha‐ cun des 169 hommes du mur pour raconter leur histoire et leur rendre leur visage. De nouveaux noms s’ajoutent aussi au fur et à mesure de ses recherches et des langues qui se délient.
À l’avenir, il espère que ces morts ne seront pas oubliés et que les générations à venir prendront soin du mémorial des Canadiens morts au Viet‐ nam, et que celui-ci sera aussi bien entretenu que ceux des autres guerres.
Pour l’heure, Keith et Mike veulent avoir le sentiment qu’ils ont fait quelque chose et sont heureux de pouvoir parler de ce qu’ils sont et de ce qu'ils ont fait.
Vendredi, ils feront partie des cérémonies organisées par la Légion royale cana‐ dienne, au Monuments aux Morts au centre-ville de Wind‐ sor. Ils seront aux côtés d’an‐ ciens combattants des guerres auxquelles le Canada a pris part, mais aussi ceux de la guerre du Vietnam.