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Hubert Lenoir, un artiste polarisant, comme Charlebois ou Leloup avant lui

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Le triomphe d’Hubert Le‐ noir au Gala de l’ADISQ di‐ manche soir a été suivi d’un déluge de réactions, parfois épidermiqu­es, sur les réseaux sociaux, comme souvent depuis que l’artiste s’est révélé au grand public en 2018. Pour‐ tant, on tend à oublier que d’autres artistes qui font aujourd’hui consensus, comme Robert Charlebois ou Jean Leloup, ont eux aussi bousculé le Québec à leur époque, même s’ils n’ont jamais tenté d’avaler un Félix sur scène.

Provocateu­r – bien qu’il re‐ jette cet adjectif –, atypique, foncièreme­nt libre, se jouant des codes du masculin et du féminin dans son apparence… Depuis quatre ans, Hubert Le‐ noir déploie un univers artis‐ tique bien à lui qui détonne, polarisant les esprits avec ses coups d’éclat et son franc-par‐ ler.

La provocatio­n qui choque, mais qui finit par se confondre dans les critères admis par le grand public, ça existe depuis très longtemps en musique pop, explique Alain Brunet. Ce chroniqueu­r et critique en musique, mais aussi fondateur et chef des opérations de la plateforme musicale PAN M 360, cite no‐ tamment l’exemple des Beatles, mais aussi de Robert Charlebois.

Hubert Lenoir, un nou‐ veau Charlebois?

Si le chanteur de Lind‐ bergh est aujourd’hui consi‐ déré comme une légende au Québec, sa musique nova‐ trice, son style à la fois vesti‐ mentaire et capillaire ainsi que ses chansons truffées de jurons ont fait polémique à la fin des années 1960.

On oublie à quel point Ro‐ bert Charlebois a choqué à l’époque.

Félix B. Desfossés, journa‐ liste musical

Les éditoriali­stes et les cri‐ tiques culturels le détruisaie­nt sur la place publique, beau‐ coup de gens le détestaien­t et lui-même adoptait une atti‐ tude très provocatri­ce en utili‐ sant des sacres dans ses chansons, souligne-t-il.

D’ailleurs, Robert Charle‐ bois a louangé Hubert Lenoir lors du Gala de la Fondation SPACQ (Société profession‐ nelle des auteurs et composi‐ teurs du Québec) en sep‐ tembre.

Je pense que tu vas t’illus‐ trer encore longtemps, tu es un révolution­naire, lui a décla‐ ré l’artiste de 78 ans, inscri‐ vant Hubert Lenoir dans la li‐ gnée de Trenet, Aznavour et de Ferré, qui ont bousculé l’ordre établi, selon lui, avant de s’imposer comme des clas‐ siques.

Pour Félix B. Desfossés, il n’y a pas de doute : Hubert Lenoir est le Robert Charle‐ bois de notre génération.

Ces deux personnage­s ont le même impact sur leur géné‐ ration, précise-t-il. Charlebois a été un émancipate­ur pour des jeunes qui se sentaient mal à l’aise dans un Québec qui était très hermétique et, dans une société qui devient plus conservatr­ice, Hubert Le‐ noir et son éclectisme total ar‐ rivent comme une contrepar‐ tie pour une jeune généra‐ tion, qui essaie de se défaire des étiquettes, de genre entre autres.

Hubert Lenoir n’est pas non plus sans rappeler David Bowie, et Prince, notamment par son androgynie, mais aus‐ si Pierre Lapointe à ses dé‐ buts. Lui aussi arrivait avec une personnali­té affirmée et un humour particulie­r, sou‐ ligne Philippe Rezzonico, chro‐ niqueur musical pour RadioCanad­a.

Banni des ondes par cer‐ taines radios québécoise­s lors du lancement de Menteur en 1989 notamment en raison des gros mots chantés, l’ex‐ centrique Jean Leloup était lui aussi loin de faire l’unanimité au départ. Sans qu’il soit aussi provocateu­r que Hubert Le‐ noir, beaucoup de gens trou‐ vaient que Jean Leloup était un hurluberlu, explique Félix B. Desfossés. Il a créé beau‐ coup de réactions à l’époque dans sa manière d’être libre et assumé.

Une voix moyenne, mais un gros talent

Si Hubert Lenoir déplaît à une bonne partie du grand public par son attitude, son talent musical reste égale‐ ment incompris par certains et certaines. La faute en partie à sa voix alors que un ou une artiste est souvent jaugé à ses capacités vocales. Hubert Le‐ noir n’est pas un grand chan‐ teur, affirme Alain Brunet. Sa voix est assez moyenne.

D’ailleurs, ce dernier n’a pas immédiatem­ent succom‐ bé à la musique d’Hubert Le‐ noir. Il lui trouvait plus de dé‐ fauts que de qualités lors de la sortie de Darlène en 2018. C’était une erreur, reconnaît-il aujourd’hui. Il faut rester ou‐ vert.

Si on s’en tient à notre per‐ ception originelle, on est sou‐ vent à côté de la plaque. Il faut rester à l’écoute, voir de quelle manière l’artiste évolue, aller le voir en concert, l’écou‐ ter attentivem­ent au-delà de nos agacements superficie­ls.

Après un premier album plus pop, Hubert Lenoir a lan‐ cé PICTURA DE IPSE : mu‐ sique directe en 2021, pour le‐ quel il a reçu 7 Félix cette an‐ née. Un disque sur lequel il mêle des sons hip-hop, RnB et électros à de la pop dans une démarche avant-gardiste ar‐ tistiqueme­nt parlant et très intégrée, explique Félix B. Des‐ fossés, qui n’hésite pas à qua‐ lifier l’artiste de génie.

Il est arrivé avec un cou‐ rage et une ambition totale. Il nous a emmenés complète‐ ment ailleurs. C’était très ris‐ qué!

Malgré une allure irrévé‐ rencieuse, et même je-m'enfoutiste parfois, Hubert Le‐ noir est loin de faire de la mu‐ sique en dilettante. Il a beau‐ coup d’inspiratio­n et de curio‐ sité, il travaille très fort, ex‐ plique Alain Brunet. Son beat‐ making est très puissant.

C’est un vrai directeur ar‐ tistique de lui-même, pour‐ suit-il. Il est capable de faire évoluer l’idée qu’on se fait de la pop québécoise dans son ensemble.

À son audace musicale, s’ajoute une capacité à faire exploser son talent sur scène.

Ceux qui n’aiment pas Hu‐ bert Lenoir devraient aller le voir en spectacle. Il ne se re‐ fuse rien sur scène, c’est là que l’artiste et son person‐ nage prennent tout leur sens, dit Philippe Philippe Rezzoni‐ co.

C’est une bête de scène, il veut détruire le quatrième mur qui existe entre le public et lui, renchérit Félix B. Des‐ fossés. Il est dans une pers‐ pective de création artistique de A à Z, de l’album à la livrai‐

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