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Comment les démocrates ont utilisé l’extrémisme de droite à leur avantage

- Lila Dussault

WASHINGTON - Même si certains résultats des élec‐ tions de mi-mandat se font toujours attendre, les dé‐ mocrates ont beaucoup mieux fait que prévu mardi dernier. Et l’une des rai‐ sons pourrait être une tac‐ tique controvers­ée mise en oeuvre il y a des mois, pen‐ dant les primaires républi‐ caines, au cours desquelles les militants choisissen­t leurs candidats.

Dans neuf États, les démo‐ crates ont dépensé plus de 50 millions de dollars, selon le Washington Post, pour favori‐ ser l’élection de candidats ex‐ trémistes qui leurs semblaient plus facile à battre aux élec‐ tions générales.

Comment? En faisant cir‐ culer des publicités où ils les attaquaien­t publiqueme­nt, leur donnant par le fait même plus de visibilité et galvani‐ sant la base républicai­ne au‐ tour d'eux.

Ils ont ainsi renforcé la po‐ pularité de ces candidats radi‐ caux au sein de leur propre parti… tout en réduisant leurs chances d’être élus dans ces États réputés plus modérés.

Une stratégie hypocrite

Cette stratégie démocrate est hypocrite, estime David Azerrad, professeur de science politique au Collège Hillsdale à Washington, dont les recherches portent sur le libéralism­e classique et la pen‐ sée politique conservatr­ice.

Parce qu’il y a des chances que ce candidat-là finisse par être élu, rappelle-t-il.

Ça veut dire que le parti qui prétend vouloir défendre la démocratie contre l’extré‐ misme est lui-même prêt à ris‐ quer de mettre au pouvoir des extrémiste­s!

David Azerrad, professeur de science politique au Col‐ lège Hillsdale

L’histoire lui donne raison, notamment parce que la tac‐ tique n’a rien de nouveau aux États-Unis.

Dans les années 1960, un gouverneur démocrate de la Californie est intervenu dans les primaires républicai­nes pour faire élire un opposant plus extrémiste, cite en exemple Daniel Hopkins, pro‐ fesseur de science politique à l’Université de Pennsylvan­ie, spécialist­e en politique améri‐ caine. Le nom de ce candidat : Ronald Reagan.

Une stratégie efficace

Mardi, la stratégie semble avoir porté ses fruits. Les six candidats républicai­ns qui ont été dans la mire des démo‐ crates durant les primaires ont largement perdu leur course, selon une compilatio­n de la chaîne américaine CNN.

C’est le cas de Douglas Mastriano, candidat fer‐ mement antiavorte­ment qui avait transporté en autobus des partisans pro-Trump lors de l’assaut du Capitole et qui voulait devenir gouverneur dans l’État-pivot de la Penn‐ sylvanie. Il a perdu la course par plus de 14 points face à son opposant démocrate,

Josh Shapiro.

Même chose pour Dan Bolduc, candidat au Sénat pour le New Hampshire, qui embrasse la théorie du Grand mensonge concernant les élections de 2020. Il a perdu par une grande marge face à la démocrate Maggie Hassan, pourtant considérée comme vulnérable en début de cam‐ pagne.

Il y a une contradict­ion im‐ portante ici avec, d’une part, les démocrates qui ont fait leur campagne sur l’impor‐ tance de protéger la démocra‐ tie – ce qui, pour eux, signifiait de voter pour des démo‐ crates – et, d’autre part, ceux qui intervenai­ent pour mettre en avant des candidats extré‐ mistes, observe M. Hopkins.

Dans cette élection, ça semble avoir aidé les démo‐ crates à gagner quelques sièges, ajoute-t-il.

Pour David Azerrad, une telle façon de faire met en lu‐ mière certaines contradic‐ tions chez les démocrates. Il me semble que le Parti démo‐ crate est plus intéressé à res‐ ter au pouvoir et à marginali‐ ser l’opposition qu'à sauver la démocratie, analyse le cher‐

cheur.

Plus de 170 adeptes du Grand mensonge élus

Au cours des derniers mois, l’utilisatio­n de cette technique a créé des divisions au sein même du Parti démo‐ crate, tel que rapporté par le Washington Post.

Certains estimaient que la stratégie était trop risquée. D’autres pensaient que tous les moyens étaient bons pour éviter que les républicai­ns aient une vaste majorité au Congrès.

Notamment parce que des dizaines de candidats à divers postes aux États-Unis ne croyaient pas aux résultats électoraux de 2020. Et que nombre d’entre eux allaient être élus, de toute façon, parce qu’ils se présentaie­nt dans des bastions rouges.

Jusqu’à présent, selon un décompte du Washington Post, 173 élus républicai­ns, qui remettent publiqueme­nt en question les résultats de 2020, ont remporté leur course à l'échelle nationale.

Par contre, comme le rap‐ pelle M. Hopkins, les républi‐ cains plus radicaux qui ont tenté leur chance dans des États-pivots – c’est-à-dire des États qui ne sont acquis ni à l’un ni à l’autre des partis – n’ont pas si facilement gagné leur pari.

Dans tous les cas, le Parti démocrate, comme le Parti ré‐ publicain, n’est pas un bloc monolithiq­ue, rappelle Daniel Hopkins.

Peut-être que quelques tacticiens de campagne élec‐ torale ont voulu utiliser l’ex‐ trémisme républicai­n à l’avan‐ tage des démocrates, recon‐ naît-t-il. En même temps, d’autres démocrates sont sin‐ cèrement alarmés par la pos‐ sibilité que l’extrémisme répu‐ blicain fasse une trouée dans les normes traditionn­elles de la démocratie américaine.

Reportage réalisé dans le cadre d'un stage au bureau de Radio-Canada à Washing‐ ton, grâce à une bourse de la Fondation de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

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