Radio-Canada Info

Le Québec a-t-il vraiment besoin de l’argent d’Ottawa?

- Gérald Fillion

Il est étonnant de voir tous les efforts consentis par le gouverneme­nt Legault pour aller chercher 6 mil‐ liards de dollars supplé‐ mentaires en transferts en santé, alors que ce même gouverneme­nt multiplie les remises spéciales à la population et prévoit bais‐ ser les impôts, des mesures qui coûtent des milliards de dollars en dépenses et en revenus perdus.

On peut se demander s’il est cohérent pour le gouver‐ nement de réclamer des transferts fédéraux supplé‐ mentaires pour les soins de santé, alors qu’au même mo‐ ment Québec donne des mil‐ liards à sa population. On peut aussi se demander, dans les circonstan­ces, si le Québec a vraiment besoin de recevoir plus d’argent du gouverne‐ ment fédéral.

Les trois versements effec‐ tués en 2022 au Québec pour aider la population à faire face à l’inflation, soit une somme additionne­lle sur le crédit d'impôt pour solidarité en janvier, un montant ponctuel en mai, puis un autre en dé‐ cembre, représente­nt des dé‐ penses de plus de 7 milliards de dollars. Québec prévoit également une baisse d’impôt à partir de 2023 et une bonifi‐ cation du montant de soutien aux aînés, des mesures totali‐ sant plus de 3 milliards de dol‐ lars par année.

Je ne dis pas que la bataille que mènent les provinces pour augmenter la part du fi‐ nancement fédéral dans les soins de santé n’est pas légi‐ time. Au contraire, la part d’Ottawa ne cesse de baisser, tandis que les besoins et exi‐ gences en santé ne font qu’augmenter dans les pro‐ vinces. Il est normal qu’elles réclament un plus grand en‐ gagement du gouverneme­nt du Canada.

Tout le monde a raison, mais il n’y a pas d’entente

À propos de cet enjeu des transferts en santé, on com‐ prend clairement que le gou‐ vernement fédéral, sur le plan politique, ne trouve pas beau‐ coup d’intérêt à céder aux de‐ mandes des provinces. Otta‐ wa montre de l’ouverture à leur envoyer plus d’argent, mais à certaines conditions. Les provinces répondent que ces conditions représente­nt une intrusion dans leurs champs de compétence.

Tout le monde a raison à la fin, mais il n’y a toujours pas d’entente. La dernière ren‐ contre des ministres de la Santé des provinces avec leur homologue fédéral s’est mal terminée, les parties s'éloi‐ gnant davantage. Le finance‐ ment de la santé n’est donc pas amélioré, alors que tous les Canadiens savent très bien que nos réseaux ont, plus que

jamais, besoin d’un soutien massif.

Alors, face à cet état des choses, s’il est tout à fait ap‐ proprié de remettre en ques‐ tion l’interventi­on du gouver‐ nement fédéral dans les com‐ pétences des provinces, en particulie­r dans le secteur de la santé, il est aussi permis de s'interroger sur la gestion budgétaire du gouverneme­nt du Québec. L’argent réclamé à Ottawa servira-t-il à financer les baisses d’impôt au Qué‐ bec, ainsi que les remises ponctuelle­s ou les bonifica‐ tions de soutien à la popula‐ tion?

Ces remises faites à plus de 90 % de la population en mai et en décembre 2022 au Québec sont-elles bien appro‐ priées sur le plan écono‐ mique? Il est essentiel et né‐ cessaire d’aider les personnes moins nanties à faire face à l’inflation, comme le gouver‐ nement Legault l’a fait en dé‐ but d’année en bonifiant le crédit pour solidarité. Le gou‐ vernement Trudeau a aussi bonifié le crédit pour les tra‐ vailleurs à faible revenu dans son énoncé économique du début de novembre.

Mais, donner de 400 $ à 600 $ à des gens qui gagnent 70 000 $, 90 000 $ ou 100 000 $, comme le gouver‐ nement Legault l’a fait en mai et comme il s’apprête à le faire en décembre, est-il bien ap‐ proprié et nécessaire? N’est-ce pas une mesure inflation‐ niste?

Un choix politique infla‐ tionniste?

Pour la plupart des écono‐ mistes qui sont venus com‐ menter le dossier à Zone éco‐ nomie, injecter des milliards de dollars dans l’économie en ce moment peut alimenter la demande, et donc l’inflation. Ce choix politique stimule la consommati­on, alors que la banque centrale essaie de la ralentir afin de calmer la hausse des prix.

C’est une tempête dans un verre d’eau, m’écrit toutefois l’économiste Pierre Fortin. Ces 3,5 milliards de dollars ont un impact maximum à la hausse de 0,15 point de pourcentag­e sur le taux d'inflation de l'IPC [indice des prix à la consom‐ mation] québécois en 2022.

Il détaille son explicatio­n : 3,5 milliards, c’est 0,6 % du PIB québécois de 2022. Si l'effet multiplica­teur est de 1 pour 1, l'effet à la hausse sur le PIB est justement de 0,6 milliard. Par la loi d'Okun, l'impact à la baisse sur le taux de chômage est alors de 0,3 point de pour‐ centage, soit la moitié du 0,6 %. Par la relation de Phil‐ lips, l'effet sur le taux d'infla‐ tion de l'IPC est au maximum égal à la moitié de ce 0,3 point, soit de 0,15 point. Bref, avec les mesures de Gi‐ rard, le taux d'inflation de l'IPC de 2022 par rapport à 2021 au Québec sera par exemple de 6,65 % plutôt que de 6,5 %.

Pierre Fortin a raison : la mesure n’aura qu’un faible ef‐ fet sur l’inflation. Bien sûr, les montants ponctuels du gou‐ vernement Legault ne sont pas, à eux seuls, responsabl­es de l’inflation actuelle au Qué‐ bec. Mais on peut se deman‐ der pourquoi des gouverne‐ ments posent des gestes qui ont l’effet contraire de ce qu’essaie de réaliser la banque centrale.

Des questions sur la po‐ litique anti-inflation

François Legault a été pi‐ qué au vif par Justin Trudeau qui a déclaré que si un gou‐ vernement est en train de faire le choix d’envoyer des chèques aux citoyens plutôt que d’investir dans le système de santé, c’est un choix qu’il va falloir justifier aux citoyens. Le premier ministre du Qué‐ bec a rétorqué : J’en reviens pas que M. Trudeau vienne dire qu’on ne devrait pas aider les Québécois à faire face à l’inflation.

C’est ici que le bât blesse pour M. Legault. Si le premier ministre du Québec a raison de dire que le gouverneme­nt fédéral n’a pas à se mêler des choix des provinces, il est tout de même approprié de re‐ mettre en question le choix du gouverneme­nt Legault d’envoyer de l’argent à presque tout le monde, qu’on soit un parent de famille mo‐ noparental­e qui gagne 40 000 $ par année ou un couple sans enfant, dont les deux membres font 100 000 $ chacun.

La politique anti-inflation du gouverneme­nt du Québec est sujette à des questionne‐ ments. Dans un contexte de négociatio­n avec le gouverne‐ ment fédéral pour avoir da‐ vantage d’argent pour finan‐ cer les très essentiels besoins en santé, ne serait-il pas ap‐ proprié de mieux cibler les soutiens à la population, de mieux diriger l’argent vers les gens qui ont besoin d’aide et de tout faire pour obtenir un financemen­t plus juste du gouverneme­nt fédéral pour les soins de santé?

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