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La très belle fin de parcours de Patrick Norman

- Philippe Rezzonico

La fin. L’inéluctabl­e fin de la carrière sur scène, tous les artistes qui dé‐ nombrent leur parcours en décennies la voient venir de loin. « À quel moment doit-on arrêter? » devient alors la question qui tue.

Certains, et pas les moindres (B.B. King, Aretha Franklin), ne se sont peut-être jamais posé la question ou n’ont pas su y répondre avec les résultats que l’on connaît. D’autres (Paul McCartney, Mick Jagger, Gilles Vigneault) ont réussi à défier le temps et à demeurer à la hauteur de leur légende.

Chaque cas de figure de‐ meure finalement aussi per‐ sonnel que l’artiste lui-même.

Patrick Norman a pris sa décision. Il cessera bientôt de faire de la scène. Pas tout de suite, mais bientôt. La tour‐ née Si on y allait qui passait vendredi par le Club Soda lors de Coup de coeur franco‐ phone sera sa dernière.

L’âge (76 ans), la dextérité qui se fait moins fluide et un désir de mettre un terme aux kilomètres d’asphalte liés aux tournées font partie des rai‐ sons qu’il a évoquées afin d’expliquer sa décision.

Pourtant, quand il a mis les pieds sur les planches à 20 h 05, disons qu’il n’avait pas exactement l’air d’un ar‐ tiste en train de faire un der‐ nier tour de piste, comme le chantait Serge Reggiani. Sou‐ riant, mince comme un jeune homme, droit comme un chêne… Pas mal d’hommes présents ont dû se dire que ça serait bien d’avoir une telle al‐ lure à 76 berges.

Vous souvenez-nous la dernière fois que je suis venu au Club Soda? Moi non plus, a-t-il lancé aux spectateur­s, référence implicite à la pandé‐ mie et au report des spec‐ tacles de son album Si on y al‐ lait qui devait s’amorcer en 2020. En raison de ce délai, nous avons eu droit à quelle chose d’étonnant : à la fois une tournée d’adieu et un survol de carrière, mais aussi le début de quelque chose, soit la présentati­on au public des nouvelles chansons (ce que Norman fait déjà depuis plusieurs mois).

Pour l’accompagne­r, le vio‐ loniste et claviérist­e André Proulx, le multiinstr­umentiste Jean-Guy Grenier (basse, gui‐ tares) et la chanteuse, cho‐ riste et artiste de plein droit, Nathalie Lord, qui est aussi son épouse.

Chaleureux et intimiste

D’ordinaire, cinq minutes de présentati­on et de mise en contexte avant de jouer une seule note s’avère la pire idée qui soit, mais dans ce cadre intimiste avec ce public atten‐ tif et conquis d’avance, c’était idéal. Tout le monde savait à quoi s’attendre et était prêt à savourer d’entrée de jeu une Mille après mille délectable.

Reposant sur une instru‐ mentation et des textures riches alliant guitare, basse et violon, le classique popularisé par Willie Lamotte a bénéficié de deux ponts instrument­aux et d’une finale durant laquelle André Proulx a intégré la mé‐ lodie de La vie en rose. Une ravissante mise en bouche.

Enchaîneme­nt aussitôt avec C’est la saison qui était un succès pour Norman il y a plus de 30 ans. La reprise fran‐ cophone de Let Your Love Flow des Bellamy Brothers (1976) a eu droit à une intro‐ duction à la six cordes du gui‐ tariste-chanteur qui n’était pas sans rappeler celle de Lis‐ ten to the Music, des Doobie

Brothers. Ce qu’il y a de ma‐ gnifique avec des artistes comme Patrick Norman, c’est qu’ils peuvent faire le pont entre plusieurs génération­s d’artistes et de musiciens.

Il a eu beau dire qu’il n’al‐ lait pas parler durant son concert, tous ceux qui le connaissen­t savent que c’est l’un de ses péchés mignons, tout comme son plaisir pa‐ tent d’interagir avec la foule. Avant Aiko Aiko et son refrain malléable, Norman planifie les répliques de la foule après un faux départ volontaire. Du‐ rant sa mise en contexte de

Mon coeur est à toi, il rappelle que la chanson était le succès de l’heure quand il est passé à Jeunesse – période Jacques Salvail –, lors de la Saint-Va‐ lentin de 1973, mais durant L’hirondelle, il laisse parler sa guitare avec un solo d’une précision et d’une tonalité ex‐ quises.

Si la complicité entre Nor‐ man et les musiciens est évi‐ dente, les clins d’oeil d’hu‐ mour, eux, sont télégraphi­és. Durant J’ai oublié de vivre (Johnny Hallyday), notam‐ ment, le technicien de scène arrive avec l’extincteur quand Norman accélère la ryth‐ mique… C’est à ce moment que tu te rappelles qu’il a grandi avec les variétés, le Ed Sullivan Show, Dean Martin. Bon. D’accord. Il a le droit d’être cabotin sur les bords.

Discrète durant la pre‐ mière partie du concert, Na‐ thalie Lord a été grandement mise à l’avant-plan durant la seconde. Ici, on ne parle pas de complicité, mais bien d’os‐ mose. Le couple marié depuis cinq ans est visiblemen­t amoureux fou comme au dé‐ but. Lord et Norman ont par‐ tagé joliment Nous, fort à pro‐ pos. Puis, la chanteuse a fait une belle reprise de Que Sera Sera avant d’enchaîner en duo avec son mari une N’ou‐ blie jamais avec une petite sa‐ veur bossa nova à travers les effluves folk. Fort bien, mais pendant un court instant, on a délaissé le terroir des Six heures moins quart.

L’incomparab­le Renée

Ce n’était qu’une pause dans l’offre musicale avant l’arrivée d’un ange dans la salle par l’entremise du dou‐ blé formé par Quand le soleil dit bonjour aux montagnes et Un coin de ciel. Si l’ADISQ a raté son coup de souligner de belle façon le départ de Renée Martel à son gala, Norman et Lord n’ont pas raté le leur. Pa‐ trick semblait ému.

Jeune, Yvon Ethier était ef‐ facé, invisible et gêné. Son al‐ ter ego de Patrick Norman lui a permis de s’épanouir depuis 40 ans. Cette authentici­té per‐ met de nos jours à l’artiste d’évoquer sa mère disparue à 101 ans avant une belle inter‐ prétation de Perce les nuages, de Paul Daraîche, et d’enchaîner avec la superbe offrande qu’est Elle s’en va. Du bonbon. Émouvant, en plus.

Norman nous rappelle même quelques-uns des ar‐ tistes et groupes qu’il a vus quand il était jeune. Il fallait, effectivem­ent, être vraiment jeune pour avoir vu à leurs débuts Neil Sedaka, les Plat‐ ters et les Everly Brothers. Bien mieux, il nous offre leurs succès : O Carol (presque inté‐ grale), Only You (un bout avec participat­ion de la foule) et Walk Right Back (intégrale) avec de savoureuse­s harmo‐ nies vocales en compagnie de Nathalie Lord. Un vrai régal.

Tout pour revenir au coun‐ try avec La Gibson de mon père, guitare authentiqu­e qui a traîné dans la poussière du‐ rant des années avant que Norman en reprenne posses‐ sion afin de composer Quand on est en amour, qu’il a en‐ chaîné et rallongé pour le grand plaisir du public.

Comme le trio de chan‐ sons des années 1950 pas an‐ noncé, il y avait une autre ral‐ longe inattendue après l’inter‐ prétation de Si on y allait qui devait clore la soirée : On part au soleil. Finalement, Nor‐ man, son épouse et ses musi‐ ciens ont fracassé les deux heures de spectacle.

Dernière tournée, donc, et pas chiche pour un sou. Si vous avez raté ça, dites-vous qu’au moment d’écrire ces lignes, des concerts sont pré‐ vus jusqu’en juin 2023. Mais comme disait Norman luimême lors de son introduc‐ tion en début de soirée, par‐ fois, une tournée, avec les

supplément­aires cinq ans.

Il n’ira

ça

peut-être

dure

pas jusque-là, mais parions qu’il y aura d’autres dates annon‐ cées dans les prochains mois.

Et puis, il ne faudrait pas rater cette très belle fin de par‐ cours de celui qui n’a jamais

été aussi heureux de sa vie.

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