L’armée canadienne ouvre la porte aux résidents permanents
Devant une pénurie de main-d'oeuvre sans précé‐ dent, le chef d'état-major de la Défense, le général Wayne Eyre, a décidé d'ou‐ vrir ses rangs à des rési‐ dents permanents qui n’ont pas encore obtenu la citoyenneté canadienne. C'est une première pour l'armée canadienne, qui refusait de le faire jusqu'à maintenant en invoquant des motifs de sécurité.
Dans une directive interne signée le 18 octobre dernier par le général Eyre, dont Ra‐ dio-Canada a obtenu copie, le plus haut gradé des Forces ar‐ mées canadiennes (FAC) auto‐ rise le commandant du per‐ sonnel militaire et celui du re‐ crutement à enrôler des re‐ crues ayant le statut de ré‐ sident permanent, à trois conditions.
D'abord, la recrue doit s'engager à demander sa ci‐ toyenneté dès qu'elle y sera admissible. Ensuite, elle doit répondre à un besoin particu‐ lier de main-d'oeuvre à com‐ bler. Finalement, les recru‐ teurs doivent s'assurer que le candidat ne portera pas at‐ teinte à l'intérêt national.
Auparavant, seul le chef d'état-major de la Défense était autorisé, dans des cas exceptionnels, à enrôler des non-Canadiens.
Le commandement du personnel militaire n'a pas tardé à se prévaloir de son nouveau pouvoir. À peine quatre jours après avoir reçu le feu vert du quartier général, les recruteurs de l'armée se sont déployés au salon des nouveaux arrivants, à Toron‐ to, pour tenter de séduire de potentielles recrues.
On commence au moins à faire des petits pas.
Grazia Scoppio, profes‐ seure titulaire au Collège mili‐ taire royal du Canada
Professeure titulaire au Collège militaire royal du Ca‐ nada, Grazia Scoppio constate que les FAC sont arrivées à la croisée des chemins. Selon elle, si elles n'effectuent pas ce virage, le Canada ne pourra pas maintenir son armée telle qu'on la connaît. C'est plus vrai que jamais avec les don‐ nées du dernier recensement, qui démontrent que le Cana‐ da a atteint un record histo‐ rique du nombre de Cana‐ diens nés hors du pays, soit un Canadien sur quatre, pré‐ cise-t-elle.
L'exemple américain
Grazia Scoppio, qui, depuis une vingtaine d'années, tente de convaincre les FAC d'as‐ souplir leurs règles d'enrôle‐ ment et d'ouvrir leurs portes aux résidents permanents, se réjouit de ce premier pas. Mais selon elle, l'armée ne doit pas s'arrêter là. Par la suite, il faut rendre le proces‐ sus de citoyenneté plus ra‐ pide. C'est quelque chose qui existe déjà aux États-Unis : lorsque des immigrants se joignent à l'armée, leur pro‐ cessus de citoyenneté est plus expéditif, explique la pro‐ fesseure.
Il y a d'autres pays qui le font. Même aux États-Unis, la citoyenneté n'est pas requise et ils la donnent de façon plus rapide, explique Grazia Scop‐ pio.
Aux États-Unis, un résident permanent qui sert dans l'ar‐ mée pendant au moins un an devient admissible à la ci‐ toyenneté. Pour faciliter le processus d'immigration, le candidat n'a pas à payer les frais normalement exigés pour déposer une demande et les membres de sa famille immédiate bénéficient égale‐ ment d'un traitement accélé‐ ré de leur demande d'immi‐ gration.
En contrepartie, la recrue doit être capable de lire, d'écrire et de parler l'anglais. Elle doit aussi avoir une bonne connaissance de l'his‐ toire des États-Unis et mon‐ trer son attachement aux principes de la Constitution américaine.
Le département américain de la Défense estime qu'en moyenne chaque année 8000 résidents permanents viennent gonfler les rangs de l'armée.
Cette politique ne date pas d’hier. L'armée américaine a toujours accueilli dans ses rangs des résidents perma‐ nents, si bien qu'en 2019, le nombre de vétérans nés à l'extérieur des États-Unis était évalué à 530 000, soit 3 % des 18,6 millions de vétérans que comptait le pays.
Au Canada, la nouvelle di‐ rective ne fait pas état d'une voie rapide pour l'obtention de la citoyenneté canadienne pour les résidents perma‐ nents qui décideraient de s'enrôler.
Au bureau du commande‐ ment du personnel militaire, on nous précise par courriel [être] actuellement en train
de finaliser les plans concer‐ nant la mise en oeuvre et l'opérationnalisation de cette autorité désignée afin d’élar‐ gir et de faciliter l’enrôlement de candidats ayant le statut de résident permanent.
Améliorer la diversité
Outre la pénurie de maind'oeuvre, l'assouplissement des règles d'enrôlement pour les résidents permanents ré‐ pond à un autre besoin de l'armée, observe Grazia Scop‐ pio. Les bureaux de recrute‐ ment doivent aussi être plus représentatifs de la diversité du Canada, et tout ça n'est pas vraiment encore en place, dit-elle.
Les FAC peinent en effet à diversifier leurs effectifs et n'arrivent pas à atteindre leurs objectifs de recrutement au sein des communautés culturelles. En 2016, les mino‐ rités visibles représentaient 6,7 % des membres des FAC. L'objectif est d'augmenter cette proportion à 11,8 % d’ici 2026.
Il manque actuellement 10 000 militaires au sein des Forces armées canadiennes, ce qui représentent 10 % des effectifs totaux. Dans ce contexte, le chef d'état-major a ordonné au début du mois d'octobre de mettre en pause toutes les activités non essen‐ tielles pour se concentrer sur les efforts de recrutement.