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Migrants bloqués en Serbie : « Nous voulons sortir de cette terrible situation »

- Xavier Savard-Fournier

SRPSKI KRUSTUR et MAD‐ JAN, Serbie - Il faut près de trois heures depuis la capi‐ tale Belgrade pour at‐ teindre le triangle fronta‐ lier entre la Hongrie, la Roumanie et la Serbie. Un trajet que font quotidien‐ nement Vuk, Adam, Milica et Miodrag, de l’organisme KlikAktiv, offrant du sou‐ tien juridique et venant en aide aux personnes mi‐ grantes.

Dans ce secteur du pays, la population locale, fatiguée des passages depuis 2015, ne souhaite plus côtoyer les per‐ sonnes migrantes. Les exilés doivent donc se tourner vers les bâtiments abandonnés au fil du temps par les villageois, comme près de Majdan, à quelques kilomètres des fron‐ tières hongroises et rou‐ maines.

La situation ici est misé‐ rable. C’est la faim. C’est la soif. Quand on essaie de partir, ils nous renvoient ici, explique Kamel*, un jeune syrien d’à peine 20 ans, en référence aux refoulemen­ts aux frontières hongroises et roumaines.

Une pratique d’ailleurs maintes fois documentée dans la région et pourtant illé‐ gale aux yeux du droit inter‐ national et de l’Union euro‐ péenne.

La police serbe nous pousse aussi [à partir]. Donc, notre avenir est incertain, ajoute Moaz*, un autre des vingt jeunes hommes attrou‐ pés près du feu qui réchauffe le groupe dans un hangar abandonné. On a tellement souffert en Syrie, pendant notre périple en Turquie, en Grèce. On veut juste vivre nos vies dans la paix.

Pratiqueme­nt sans argent, la vingtaine de jeunes Syriens dépend des quelques denrées alimentair­es offertes par les organismes comme KlikAktiv. Mais depuis quelques se‐ maines, le nombre de deman‐ deurs d’asile dépasse large‐ ment la capacité d’aide du pe‐ tit organisme.

Selon l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX), 128 438 passages ont été ré‐ pertoriés jusqu’à présent

cette année sur la route des Balkans, dont plus de 22 000 en octobre seulement.

Plus de pression, plus de violence aux frontières

Dans le village de Srpski Krstur, à 30 minutes de Maj‐ dan, le camion de KlikAktiv prend un virage dans un petit rang qui semble inhabité.

Plus le camion se rap‐ proche de la forêt bordant la rivière Tsiza, frontière natu‐ relle entre la Hongrie et la Ser‐ bie, plus la situation est ten‐ due. En fait, la confiance est inexistant­e chez les exilés et ils craignent que la présence de l’organisme n’attire la po‐ lice.

Ici, une quarantain­e de personnes, surtout des jeunes hommes, mais aussi des familles, vivent sous des tentes faites de bâches.

Il y a également des bles‐ sés. Un homme avec un ban‐ dage à l’avant-bras droit ac‐ cueille d’ailleurs l’équipe d’une poignée de main de la gauche.

Je me suis fait [ce bandage] moi-même. En tentant de tra‐ verser, les policiers hongrois m’ont attrapé et m’ont tabas‐ sé pendant que les autres [mi‐ grants] s’enfuyaient, explique l’homme d’une vingtaine d’an‐ nées originaire du Maroc.

Les policiers hongrois m’ont frappé pendant que je traversais la barrière fronta‐ lière. Je suis tombé d’environ deux ou trois mètres de haut et je me suis cassé la jambe, raconte un autre exilé maro‐ cain en béquilles présent dans le campement.

Une mère de famille tuni‐ sienne a elle aussi subi le même sort. Les Hongrois les ont tous deux emmenés à l’hôpital avant de les renvoyer en Serbie.

Les passeurs pour pallier le désengagem­ent éta‐ tique

Pour Adam Harbutli, mé‐ diateur culturel pour KlikAk‐ tiv, ce triangle d’incertitud­e, de violence et de désespoir dans le nord de son pays semble être volontaire de la part de l’Europe pour décou‐ rager les personnes migrantes à continuer leur chemin vers les pays européens plus pros‐ pères, où l’avenir semble meilleur.

Par contre, rester en Ser‐ bie n’est pas plus simple. Les lois existent, mais dans la pra‐ tique, les policiers refusent parfois de prendre les de‐ mandes d’asile des personnes migrantes.

Et même lorsqu’ils par‐ viennent à faire la demande, les procédures prennent du temps. Alors, même s’ils veulent rester, après six mois sans progrès, ils décident de partir et de tenter de traver‐ ser, affirme Milica Svabić, avo‐ cate et conseillèr­e juridique avec KlikAktiv.

Ils vont être repoussés. Mais ils vont essayer encore et encore et encore. Tôt ou tard, ils réussissen­t à passer. La question, c’est de savoir combien de temps ça leur prendra, ajoute-t-elle.

L’Europe se plaint d’ailleurs depuis des semaines du laxisme migratoire de la Ser‐ bie. L’Union européenne ci‐ blait notamment le régime de voyage sans visa du pays, qui a finalement récemment été modifié pour ne plus offrir d’entrée sans visa aux ressor‐ tissants burundais et tuni‐ siens sur le territoire serbe.

Paradoxale­ment, cette pression sur la Serbie, ajoutée à la répression autour des clô‐ tures et des murs érigés le long de la frontière euro‐ péenne, ne fait que pousser les personnes migrantes vers les passeurs. Ceux-ci n’ayant que profité du retrait des aides étatiques aux per‐ sonnes migrantes pour prendre plus de place sur la route migratoire.

Les réseaux de passeurs sont ceux qui profitent de ce‐ ci. Maintenant, les gens uti‐ lisent des passeurs non seule‐ ment pour traverser la fron‐ tière vers la Hongrie ou un autre pays de l’Union euro‐ péenne, mais aussi pendant qu’ils sont en Serbie. C’est eux qui fournissen­t la nourriture et tout. Ce n’était pas le cas avant, raconte Milica Svabić.

Une situation qui ne fera qu’augmenter la tension dans les campements de migrants et qui pourrait éventuelle‐ ment rendre le travail de Kli‐ kaktiv sur le terrain encore plus complexe.

D’autant plus que l’hiver arrive et que rien ne laisse croire que l’Union euro‐ péenne laissera passer plus de demandeurs d’asile dans le secteur.

*Noms fictifs donnés aux personnes migrantes pour protéger leur identité

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