Le soccer, au coeur de la stratégie diplomatique du Qatar
« Jamais dans mon enfance j’aurais pu rêver ou penser que des joueurs comme ceux-là viennent dans le club », lance Maxime quand on lui demande de décrire la composition du PSG, le Paris Saint-Ger‐ main.
Ce supporteur de l’équipe parisienne, rencontré dans un bar sportif de la capitale, s’est réjoui de l’acquisition des Messi, Neymar ou Mbappé, dont les contrats sont évalués à plusieurs millions d’euros.
Depuis qu’un fonds d’in‐ vestissement du Qatar est de‐ venu actionnaire majoritaire de la franchise, en 2011, l’équipe a amplement les moyens de se payer ces ve‐ dettes. J’ai vu une différence stratosphérique, constate Maxime, à propos de l’argent dépensé par le PSG depuis l’arrivée des propriétaires qa‐ taris.
Selon Kévin Veyssière, au‐ teur du livre Mondial Football Club Geopolitics, le rachat de l’équipe de la capitale fran‐ çaise s’inscrit dans une straté‐ gie plus large du petit émirat du Golfe, qui, depuis les an‐ nées 1990, a fait du sport un outil de diplomatie.
Il s’agit de faire exister le Qatar, ce petit pays de trois millions d’habitants. Et cela participe à cette stratégie, le Paris Saint-Germain, de faire exister le Qatar et de l’as‐ socier à une ville mondiale‐ ment connue, explique-t-il.
C’est un petit pays, coincé entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui avait besoin de trouver des niches pour exis‐ ter, renchérit Pascal Boniface, directeur de l’Institut des rela‐ tions internationales et stra‐ tégiques, l’IRIS, qui se spécia‐ lise dans les questions de di‐ plomatie sportive.
Les dirigeants qataris se sont dit que le sport, c’est po‐ pulaire et rassembleur, contrairement à la politique ou la géopolitique.
Pascal Boniface, directeur de l’IRIS
D'autres pays du Golfe s'intéressent au soccer
En 2008, des intérêts des Émirats arabes unis ont ache‐ té la majorité de l'équipe de Manchester City, au Royaume-Uni. En 2021, un fonds saoudien a participé à l'achat du Newcastle United F.C. au Royaume-Uni.
Au-delà du PSG
Il n’y a pas que le club pari‐ sien mondialement reconnu qui est tombé dans la mire d’investisseurs qataris.
En 2012, la fondation spor‐ tive Aspire, basée à Doha, a racheté le KAS Eupen, en Bel‐ gique.
Cette équipe de la petite ville de 20 000 habitants, si‐ tuée non loin de la frontière avec l’Allemagne, était alors confrontée à d’importants problèmes financiers.
Quand ils ont repris le club ici, on était mort. On est très contents, car on est venu re‐ prendre le club pour nous donner l’occasion de rester compétitifs, explique le direc‐ teur général de l’équipe Mi‐ chael Radermacher.
Dans un tout autre niveau de compétition que le PSG, le KAS Eupen a une mission dif‐ férente. Au cours des der‐ nières années, l’équipe a été l’hôte de nombreux jeunes ta‐ lents, dont certains ont évo‐ lué sur différents terrains eu‐ ropéens.
Les joueurs recrutés sont venus de différentes régions du monde. Ainsi, certains joueurs de l’équipe nationale de soccer du Qatar, qui pren‐ dra part aux compétitions de la Coupe du monde, ont foulé le stade du KAS Eupen.
Des joueurs africains, for‐ més dans les installations mises sur pied par la fonda‐ tion Aspire au Sénégal, ont aussi fait partie de l’équipe belge.
En Belgique, c’est facile, on peut reprendre un club à 100 %. [...] Et en plus, en Bel‐ gique, il y a moyen de laisser jouer beaucoup d’étrangers, explique le directeur général du KAS Eupen, Michael Rader‐ macher, pour expliquer pour‐ quoi la fondation qatarie a je‐ té son dévolu sur son équipe.
Pascal Boniface, de l’IRIS, voit dans ce type d’investisse‐ ment une autre manière pour le Qatar d’utiliser le sport à des fins diplomatiques.
De donner des équipe‐ ments sportifs ou de prendre des jeunes en stage pour les former, ça crée des liens, dit-il
À travers le sport, vous dé‐ veloppez des liens écono‐ miques. S’il y a un joueur qui devient une vedette après avoir été formé au Qatar, ça va avoir un impact positif sur l’image du Qatar dans ce pays.
Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.
Des critiques en Europe
Cette stratégie d’investis‐ sements dans le sport culmi‐ nera avec la tenue, dès la se‐ maine prochaine, de la Coupe du monde à Doha, la capitale du Qatar.
Plus encore que l’implica‐ tion qatarie dans des équipes européennes, cet événement sportif majeur attire l’atten‐ tion du monde sur le petit pays du Golfe, et pas seule‐ ment pour les bonnes rai‐ sons.
Je pense que le Qatar a voulu miser sur la visibilité du sport, mais qu'ils n'ont peutêtre pas calculé, au départ, que cette visibilité allait aussi s'exercer sur les aspects les plus critiquables, analyse Pas‐ cale Boniface.
Doha fait l’objet de cri‐ tiques sur le plan environne‐ mental, en raison de la clima‐ tisation des stades qui ac‐ cueilleront les compétitions.
Le Qatar est aussi montré du doigt pour les conditions de travailleurs étrangers qui ont contribué à la construc‐ tion des infrastructures spor‐ tives. Selon une enquête du journal britannique The Guar‐ dian, 6500 travailleurs étran‐ gers seraient morts dans l’émirat depuis l’obtention de la Coupe du monde.
C’est pour ces raisons que des villes françaises, comme Paris, Lille, Lyon, Marseille et Bordeaux, ont décidé de ne pas retransmettre les parties dans l’espace public et de ne pas dédier d’espaces aux sup‐ porteurs de l’équipe de France, comme cela avait été le cas lors d’événements pré‐ cédents.
C’est une abomination sur le plan des droits humains, ce sont des vies qui ont été sacri‐ fiées sur la Coupe du monde et c’est aussi une aberration sur le plan écologique parce qu’on va essayer de refroidir l’atmosphère, qui par ailleurs se réchauffe.
Gregory Doucet, maire de Lyon
Selon l’expert en géopoli‐ tique du sport Kévin Veys‐ sière, cette forme de boycot‐ tage est un peu hypocrite, particulièrement dans le cas de la capitale française.
Il rappelle que le Pa‐ ris Saint-Germain, qui fait la