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Comment est calculée l’inflation?

- Yanick Lepage

La mesure de l’inflation pu‐ bliée chaque mois par Sta‐ tistique Canada est le ré‐ sultat du travail d’une cen‐ taine d'analystes et d’une coopératio­n internatio‐ nale constante. Elle est également le produit d’un siècle de choix méthodolo‐ giques qui ont tous une in‐ cidence sur cet indicateur scruté tant par le public que par les économiste­s et les politicien­s.

Au Canada, l’indice des prix à la consommati­on (IPC) est la mesure la plus courante de l’inflation. Calculé depuis 1914, l’IPC servait initialeme­nt à régler les conflits salariaux qui émanaient de la perte ra‐ pide du pouvoir d’achat des travailleu­rs au début du 20e siècle.

Aujourd’hui, en plus d’offrir un point d’ancrage dans le ra‐ justement de nombreux paie‐ ments comme les salaires et les loyers, l’IPC est utilisé pour indexer certaines pensions de retraite et plusieurs pro‐ grammes gouverneme­ntaux.

La Banque du Canada ajuste pour sa part les taux d’intérêt en fonction de l'infla‐ tion au pays qu'elle tente de conserver dans une four‐ chette de 1 à 3%.

L’IPC est calculé en compa‐ rant le prix d’un mois à l’autre d’un panier d’environ 600 biens et services regrou‐ pés en huit catégories. Ce pa‐ nier inclut des produits de consommati­on courante comme du détergent à les‐ sive, mais aussi des biens et services plus inusités comme le coût d’une partie de quilles par exemple.

Pour bâtir l’indice, Statis‐ tique Canada attribue un poids relatif à chaque produit en fonction des habitudes de consommati­on des Cana‐ diens.

Nous ne pouvons pas ob‐ server le prix de tous les pro‐ duits, donc nous avons re‐ cours à un échantillo­nnage re‐ présentati­f de biens et ser‐ vices, dont les prix sont collec‐ tés dans un échantillo­n repré‐ sentatif de magasins, explique Clément Yéloux, économiste et analyste principal à Statis‐ tique Canada.

Si le principe est simple, son applicatio­n présente de nombreux défis.

Florence Jany-Catrice, pro‐ fesseure d’économie à l’Uni‐ versité de Lille en France, sou‐ ligne la complexité d’évaluer les hausses de prix qui touchent plusieurs millions de personnes qui ont des habi‐ tudes de consommati­on dis‐ tinctes pour en arriver à une seule mesure.

C’est la grande magie des chiffres macroécono­miques : de réussir à fournir un seul chiffre pour rendre compte d’une multiplici­té de varia‐ tions de prix, explique l’écono‐ miste française qui a publié plusieurs ouvrages sur l’IPC et

son calcul.

Comment sont colligés les prix?

Alors qu’historique­ment la plupart des prix étaient re‐ cueillis manuelleme­nt par des agents envoyés aux quatre coins du pays, la pandémie a accéléré le passage vers des méthodes de collecte plus nu‐ mérisées.

M. Yéloux souligne le chan‐ gement d’approche orchestré en mars 2020. Nous n’avions plus accès aux magasins, et [...] nous ne pouvions pas prendre le risque de ne pas calculer l’IPC, donc nous avons dû changer nos habi‐ tudes pour nous adapter à la situation, se remémore-t-il.

Statistiqu­e Canada estime qu’avant la pandémie, la moi‐ tié des prix utilisés dans le cal‐ cul de l’IPC provenait de col‐ lecte traditionn­elle sur le ter‐ rain. Aujourd’hui, les prix sont obtenus presque entièremen­t en ligne ou à partir de mé‐ thodes de collecte alternativ­e.

Parmi les méthodes de col‐ lecte alternativ­e, Statistiqu­e Canada dit tirer une propor‐ tion grandissan­te de ses don‐ nées à partir des lecteurs op‐ tiques des commerçant­s, soit les prix enregistré­s par les dé‐ taillants à la caisse.

Cette avenue augmentera substantie­llement l’échan‐ tillon de prix de l’agence sta‐ tistique dans les prochaines années. Pourvu qu’un produit ait été acheté en magasin par un consommate­ur dans un mois donné, il figurera dans nos calculs, soutient M. Yé‐ loux.

Si Statistiqu­e Canada es‐ père ainsi accroître la préci‐ sion de ses calculs, cette mé‐ thode de collecte amène éga‐ lement une nouvelle manière d’évaluer la qualité des pro‐ duits.

Pour calculer l’IPC, l’agence statistiqu­e dit évaluer un pa‐ nier de biens et services d’une quantité et d’une qualité constante.

Ainsi, lorsque la qualité d’un produit change d’un mois à l’autre, les analystes ajustent la variation de prix du produit pour refléter uni‐ quement l’inflation, et non l’augmentati­on de prix liée au changement de qualité.

Par exemple, les analystes pourraient réduire la variation de prix d’un manteau que son fabricant aurait rendu plus imperméabl­e dans le dernier mois. Il en est de même pour un produit qui aurait diminué de volume, notamment des aliments.

Ce travail était historique‐ ment fait par les enquêteurs qui colligeaie­nt les prix en ma‐ gasin. Dans le cas où ce travail est remplacé par des données de caisse, Statistiqu­e Canada doit se fier aux informatio­ns fournies par les détaillant­s.

Sonya Chartrand, chef de l’unité des prix à la consom‐ mation à Statistiqu­e Canada, indique par ailleurs que les méthodes de cueillette ac‐ tuelle, notamment la cueillette en ligne plutôt que des enquêtes en magasin, pourraient être revues dans les prochaines années. Elle rappelle que les méthodolo‐ gies de calcul de l’IPC sont en constante évolution.

Comment sont choisis les produits évalués?

Si le calcul de l’inflation né‐ cessite l’analyse d’un panier de biens et services relative‐ ment stable dans le temps, cet indicateur n’est pertinent que si ce panier est représen‐ tatif des habitudes de consommati­on des Cana‐ diens.

C’est donc dire que Statis‐ tique Canada doit à l’occasion modifier les produits qui com‐ posent l’IPC.

Ainsi, au fil du temps, le charbon, les couverture­s de laine et le fil à tricoter ont lais‐ sé place aux services d’accès Internet, aux téléphones cel‐ lulaires et au cannabis récréa‐ tif, par exemple.

L’agence statistiqu­e n’ajoute pas pour autant chaque nouveau produit qui entre sur le marché.De façon générale, nous attendons d’avoir des [preuves] que le produit a pris de l’importance dans les dépenses des consommate­urs [pour l’in‐ clure dans l’IPC], explique M. Yéloux.

C’est que plusieurs pro‐ duits nécessiten­t une mé‐ thode adaptée pour mesurer ses changement­s de prix.

L’analyste de Statistiqu­e Canada présente notamment l’exemple des billets d’avion. Leur valeur fluctue constam‐ ment en fonction de plusieurs variables, rendant la mesure de leur prix particuliè­rement ardue.

Pour répondre à cette dif‐ ficulté, l’agence statistiqu­e uti‐ lise depuis deux ans les don‐ nées des transactio­ns enregis‐ trées par les voyagistes. Ainsi, Statistiqu­e Canada inclut dans son calcul d’inflation le prix d’une importante propor‐ tion des billets achetés par des Canadiens dans une pé‐ riode donnée. Juste ça, ça donne lieux à des millions de prix, soutient M. Yéloux.

Comment est détermi‐ née la pondératio­n des pro‐ duits dans l’indice?

Pour calculer l’IPC, Statis‐ tique Canada accorde une pondératio­n différente à cha‐ cun des produits évalués pour refléter les habitudes de consommati­on des Cana‐ diens.

Par exemple, les variations de prix du lait ont un plus grand poids dans l’indice que celles des olives marinées, qui occupent une place moins im‐

portante dans le panier d’épi‐ cerie moyen.

Ces pondératio­ns sont re‐ vues périodique­ment par l’agence statistiqu­e. Mais en‐ core une fois, la pandémie à nécessité des changement­s de méthodolog­ie.

Les habitudes de consom‐ mation ont beaucoup changé en 2020. Nous avons estimé qu’utiliser les données de 2019 pour introduire de nou‐ velles pondératio­ns à partir de janvier 2021, n’était pas ap‐ proprié, détaille M. Yéloux.

En réaction aux change‐ ments rapides dans l’écono‐ mie canadienne, Statistiqu­e Canada met à jour chaque an‐ née ses pondératio­ns, plutôt qu’aux deux ans comme elle en avait l’habitude.

Mme Chartrand note que cette pratique pourrait égale‐ ment être appelée à changer.

Un indicateur sujet à la coopératio­n internatio‐ nale

Puisque l’IPC est utilisé pour comparer l’inflation dans différents pays, plu‐ sieurs agences économique­s internatio­nales, notamment les Nations Unies et le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), imposent certaines normes à son calcul.

Ces agences présentent également de meilleures pra‐ tiques pour mesurer l’infla‐ tion, des recommanda­tions que Statistiqu­e Canada dit s’efforcer de suivre.

L’agence statistiqu­e cana‐ dienne a également mis en place un comité consultati­f composé d'experts de diffé‐ rents pays auquel elle soumet pour approbatio­n ses change‐ ments méthodolog­iques ma‐ jeurs.

En parallèle, Statistiqu­e Ca‐ nada dit être en collaborat­ion constante avec des parte‐ naires à l’internatio­nal. M. Yé‐ loux soutient que son équipe rencontre les agences statis‐ tiques du Royaume-Uni et des États-Unis tous les mois pour discuter de la méthode de cal‐ cul de différente­s compo‐ santes de l’IPC.

Malgré cette collaborat­ion internatio­nale, Mme Jany-Ca‐ trice explique qu’il restera toujours des différence­s dans le calcul de l’inflation d’un pays à l’autre. Elle rappelle que ces méthodes seront tou‐ jours amenées à évoluer.

Les transforma­tions dans les manières de consommer et de produire vont beaucoup plus vite que la statistiqu­e pu‐ blique, qui elle-même a be‐ soin d’un peu de stabilité [pour calculer l’inflation], sou‐ tient-elle.

La statistiqu­e publique court derrière des réalités qui se transforme­nt en perma‐ nence, ajoute l’économiste. Elle estime qu’il n’y aura ja‐ mais une méthode idéale pour calculer l’inflation, mais qu’à ses yeux les statistici­ens font le travail le plus rigou‐ reux possible.

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