Les microbrasseurs ne veulent pas faire les frais de la consigne élargie
Les propriétaires de micro‐ brasseries craignent que l’élargissement de la consigne au Québec fasse dérailler le système privé de récupération des conte‐ nants à remplissage mul‐ tiple (CRM) – les fameuses bouteilles brunes –, un mo‐ dèle d’économie circulaire qui a fait ses preuves de‐ puis plus de 30 ans.
Jusqu’ici réservé aux conte‐ nants de bière et de boissons gazeuses, le système de consigne québécois sera élar‐ gi à compter du 1er no‐ vembre 2023 à tous les conte‐ nants de boissons prêtes-àboire de 100 ml à 2 litres.
Cela inclut les bouteilles de vin et de spiritueux, les bou‐ teilles d’eau ainsi que les contenants de jus et de lait. La modernisation du système vise à augmenter le taux de récupération d’une plus grande quantité de conte‐ nants et d’en faciliter la valori‐ sation. Selon Recyc-Québec, elle fera passer de 2,4 à 4,5 milliards le nombre de contenants consignés au Québec.
Pour éviter que les épice‐ ries et les dépanneurs se re‐ trouvent du jour au lende‐ main avec des volumes de matières retournées considé‐ rablement plus élevés, au moins 1500 nouveaux lieux de retour seront implantés à la grandeur de la province.
Cette multiplication des points de retour est l’une des principales préoccupations des microbrasseries, en parti‐ culier celles qui utilisent des contenants à remplissage multiple, c’est-à-dire les bou‐ teilles en verre ambré ayant une capacité de 500 ml.
Réutilisés 15 moyenne fois en
Un système de dépôt privé mis en place par les brasseurs permet de récupérer les CRM après usage en vue de les la‐ ver et de les remplir à nou‐ veau. Chaque CRM est utilisé en moyenne 15 fois durant son cycle de vie. Il est ensuite acheminé dans un centre de recyclage du verre.
Pour nous, la valeur envi‐ ronnementale d'un CRM se si‐ tue au sommet de la hiérar‐ chie des trois RV-E [NDLR : ré‐ duction à la source, réemploi, recyclage et valorisation], in‐ dique en entrevue à Radio-Ca‐ nada la directrice générale de l'Association des microbrasse‐ ries du Québec (AMBQ), Ma‐ rie-Ève Myrand.
Dans le système actuel, les détaillants de bières de micro‐ brasseries récupèrent les bou‐ teilles de 500 ml que leur rap‐ portent les clients en échange du remboursement de la consigne. Les bouteilles, ou CRM, sont amassées dans des boîtes de carton fournies à cet effet.
Quand on utilise des contenants CRM, au moment de la livraison chez un dé‐ taillant, on reprend les conte‐ nants vides, on les envoie se faire laver et on les réutilise, explique Mme Myrand.
Selon sa compréhension, une fois la modernisation du système de consignation im‐ plantée, les CRM pourront être envoyés dans n’importe lequel des 1500 lieux de re‐ tour appelés à voir le jour.
Traçabilité
À l’instar de toute autre entreprise qui met sur le mar‐ ché un produit ou une ma‐ tière visée par le nouveau rè‐ glement encadrant la consigne, les microbrasseries seront responsables de la ré‐ cupération de leurs conte‐ nants jusqu’à leur valorisa‐ tion.
Avec la multiplication des points de dépôt, assurer la traçabilité des CRM sera un défi de taille, croit Marie-Ève Myrand.
Ça veut dire qu'une phar‐ macie qui vend des bouteilles d'eau va peut-être se retrou‐ ver avec des contenants de bière [...]. Donc, là, nous, on va perdre la trace de nos conte‐ nants, si on veut. Ça, c'est une grande crainte, parce que si on ne peut pas remettre la patte sur les contenants, bien on n'est plus dans une boucle de réutilisation, fait valoir la présidente de l’AMBQ.
Elle estime que les CRM vont représenter moins de 1 % des contenants consignés dans le nouveau système.
Il va falloir qu'on rajoute dans nos routes de livraisons des points de dépôt qui vont recueillir des contenants. Pour nous, c'est une augmen‐ tation de coûts. Il y a de la manipulation. Donc, il y a des frais qui vont être liés à ça.
Marie-Ève Myrand, prési‐ dente de l’AMBQ
Le directeur général de l'Association des brasseurs du Québec (ABQ), Philippe Roy, a lui aussi quelques préoccupa‐ tions à l’égard de l’élargisse‐ ment de la consigne.
Travail titanesque
Il appuie la modernisation du système, mais constate que le travail à accomplir d’ici son entrée en vigueur, dans moins d’un an, est titanesque. M. Roy aimerait que le gou‐ vernement du Québec re‐ pousse de 12 mois le déploie‐ ment de la réforme.
Tout le monde est d'ac‐ cord [avec l’élargissement de la consigne]. Il faut juste se donner le temps et se donner les moyens de bien le faire, in‐ siste-t-il.
Le directeur général de l’ABQ craint lui aussi que la ré‐ forme, si elle n’est pas bien menée, nuise à la récupéra‐ tion des CRM, dont l’efficacité du système de réutilisation actuel n’est plus à démontrer.
Une bouteille a une durée de vie de 15, parfois 18, 19 [réutilisations] avant d'être tout simplement broyée. Alors, c'est un système qui est très, très efficace, environne‐ mentalement parlant, et on craint pour ce système-là dans la nouvelle consigne, confie Philippe Roy.
Retour en force des bou‐ teilles?
De son côté, le propriétaire de la Microbrasserie Charle‐ voix, Frédérick Tremblay, es‐ père que le nouveau système de consigne va permettre aux bouteilles de verre de retrou‐ ver leur place d’antan sur le marché.
Il raconte que pour rendre la tâche plus facile aux dé‐ taillants qui amassent les contenants consignés, des propriétaires de microbrasse‐ ries ont effectué un virage vers les canettes en alumi‐ nium au cours des dernières années.
Je suis peut-être un rêveur, mais moi, je pense que si on a un bon système, bien ça va revaloriser la bouteille, qui est un contenant dans lequel moi, je crois beaucoup, et peut-être que finalement notre part de ventes en bou‐ teilles va réaugmenter, lance Frédérick Tremblay.
Il s’attend à ce que la mo‐ dernisation de la consigne en‐ traîne des frais supplémen‐ taires aux embouteilleurs. Le microbrasseur n’y voit pas de mal, pourvu que ces coûts soient répartis équitablement à travers l’ensemble de l’in‐ dustrie.
Avec des informations de Louis-Simon Lapointe