« En Afrique, exploiter notre pétrole, c’est une question de survie »
Est-il légitime de demander aux pays africains de lais‐ ser leurs ressources en hy‐ drocarbures dans le sol au nom de la lutte contre les changements climatiques? Cette question est sur toutes les lèvres à la COP27.
Il n’aura jamais été autant question d’énergies fossiles lors d'une conférence des Na‐ tions unies sur le climat qu’à la COP27, à Charm el-Cheikh, en Égypte. Les lobbyistes de l’industrie y sont présents en masse (ils seraient 636, selon le décompte qu’en a fait l’ONG Global Witness) et des pays comme l’Iran et le Koweït uti‐ lisent la tribune offerte par l’ONU, pendant le segment de haut niveau de la conférence, pour vanter les vertus de leur pétrole.
Mais il y a un angle mort à cette histoire. Dans les négo‐ ciations menées à la COP27, plusieurs pays industrialisés demandent aux pays africains d’opérer eux aussi une transi‐ tion énergétique en évitant d’exploiter les énergies fos‐ siles.
Cependant, alors que les experts du GIEC et ceux de l’Agence internationale de l’énergie répètent qu’il faut cesser d’investir dans de nou‐ veaux projets de pétrole et de gaz si on veut éviter un ré‐ chauffement qui dépasse le seuil de 1,5 degré Celsius, l’Afrique demeure un terrain de prospection très actif.
Des projets d’exploration et d’exploitation de réserves d’énergies fossiles récemment découvertes sont en cours dans 48 des 54 pays du conti‐ nent.
Avec la crise énergétique en Europe, le Mozambique et l’Égypte deviennent des sources très importantes de gaz naturel liquéfié (GNL). À ce titre, le Mozambique est d’ailleurs en voie de devenir un des plus gros exportateurs de cette ressource au monde.
Des projets de pipelines naissent en République dé‐ mocratique du Congo, au Ni‐ ger, au Kenya ou en Angola. Environ 16 milliards de barils supplémentaires d’équiva‐ lents pétrole devraient être produits d’ici 2030.
Exploiter ou pas?
Dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques et de la nécessité bien reconnue d’opérer une transition énergétique mon‐ diale, ces pays devraient-ils re‐ noncer à exploiter ces res‐ sources? De nombreuses na‐ tions industrialisées le leur de‐ mandent.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, on a vu beaucoup de pays d’Europe se tourner vers l’Afrique [pour le gaz naturel], et, à cette COP, on a vu l’Union européenne presque signer un contrat avec l’Égypte sur le gaz, dit Se‐ na Alouka, qui préside l’ONG Jeunes volontaires pour l’envi‐ ronnement au Togo.
Est-ce qu’on est sérieux? On vient à la COP et on nous dit : "Gardez vos forêts tran‐ quilles, laissez le gaz dans le sous-sol, ne touchez à rien, au nom de la planète, et nous, on peut continuer à vivre comme d’habitude."
Sena Alouka, président de l’ONG Jeunes volontaires pour l’environnement au Togo
Sena Alouka est un envi‐ ronnementaliste très préoc‐ cupé par les effets dévasta‐ teurs des changements clima‐ tiques sur son continent. Mais son point de vue sur la ques‐ tion des énergies fossiles en Afrique dépasse la seule ques‐ tion environnementale.
M. Alouka pose la question du développement.
Six pour cent de Togolais ont accès à l’électricité, dit-il. Et 646 millions d’Africains cui‐ sinent encore avec du bois, et ça tue! Dans mon pays, le To‐ go, la cuisine mal faite tue 5000 personnes par année : c’est beaucoup plus que le si‐ da et le paludisme réunis! Alors, devant ce dilemme, qu’est-ce qu’on fait? On garde le pétrole sous terre ou on se dit : "Pour notre droit au dé‐ veloppement, on en consomme, mais un peu plus intelligemment"? C’est une question un peu délicate.
De nombreux projets
Selon un récent rapport de la fondation Rainforest UK, en tenant compte des permis d’exploration qui ont été al‐ loués, la superficie des terres allouées à la production de pétrole et de gaz sur le conti‐ nent africain est appelée à quadrupler.
Les projets se multiplient : le Mozambique est en voie de devenir le 10e plus grand ex‐ portateur de gaz naturel li‐ quéfié (GNL) au monde, un immense projet de pipeline qui traverserait la grande fo‐ rêt tropicale du bassin du Congo est sur les tables à des‐ sin et un autre grand projet de pipeline entre le Niger et le Bénin est en construction.
Lawali Malam Karami, du Niger, est bien conscient que les grands projets d’énergies fossiles, surtout ceux menés par les entreprises étrangères, ne sont pas souhaitables pour la lutte contre les chan‐ gements climatiques. Ce mili‐ tant, qui dirige l’ONG Plate‐ forme société civile nigérienne et qui travaille de près avec le gouvernement de son pays à la COP27, est d’avis que la question des hydrocarbures en Afrique ne doit pas être im‐ posée par les pays du Nord.
Il y a une certaine contra‐ diction entre ce que nous dé‐ fendons pour avoir recours à des énergies renouvelables afin d'assurer notre dévelop‐ pement. Mais est-ce que le Ni‐ ger va croiser les bras pour re‐ garder sa population et ses animaux périr? On la fait au‐ jourd’hui, cette exploitation du pétrole, pas par gaieté de coeur, mais par nécessité.
Lawali Malam Karami, diri‐ geant de l'ONG Plateforme société civile nigérienne
Malgré ses convictions en‐ vironnementalistes, M. Kara‐ mi est d’avis que pour le Niger comme pour de nombreux autres pays du Sahel, l’accès aux hydrocarbures n’est pas de la cupidité.
C’est pour survivre, dit-il. Parce qu’avec les ressources