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Jean Lapointe n’est plus

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Il a consacré sa vie à égayer celle des autres. Le comé‐ dien, chanteur et comique Jean Lapointe est décédé vendredi. Celui qui a aussi été sénateur et philan‐ thrope avait 86 ans.

Félix Leclerc disait de son grand ami Jean qu’il aura lais‐ sé des bouées : celles du rire, celles de ses chansons, celles de ses personnage­s, celles de ses engagement­s, personnels et politiques.

Jean Lapointe aurait eu du mal à les compter lui-même, tant il y en avait.

L'homme voit le jour à Price, dans le Bas-SaintLaure­nt, en 1935.

Déjà, à 10 ans, il imite Félix, son idole, pour faire rire fa‐ mille et copains. La magie opère, il se prend au jeu, ajou‐ tant Bourvil et d’autres per‐ sonnages à son numéro.

Il remporte les concours d’amateurs à Québec, puis à Montréal, et s’épanouit bien‐ tôt dans la fumée des glorieux cabarets de l’époque, comme le Caprice et le Casa Loma.

En 1955, il rencontre Jé‐ rôme Lemay, avec qui il fera la paire pendant près de 20 ans.

Les Jérolas remportent un énorme succès avec des chan‐ sons comme Charlie Brown, Méo Penché et Yakety Yak.

En 1963, avant même les Beatles, ils sont invités au Ed Sullivan Show. En Europe, ils se produisent à l’Olympia, fai‐ sant les premières parties de Monique Leyrac et de Dalida. Les années passent. Derrière le rideau, entre deux scènes, Jean Lapointe boit. De plus en plus souvent.

La descente et la ré‐ demption

Les Jérolas sont en perte de vitesse. Le fil se brise en 1974.

Sa conjointe, Marie, lui lance un ultimatum. Il entre en cure au centre Beaver, pour un séjour de six se‐ maines.

Il ira jusqu'au bout, à l'ex‐ ception de quelques rechutes, dont une survenue quelque 30 ans plus tard, à la mort de sa troisième épouse, Cécile, en 2001.

Il se relèvera. Encore.

Les Alcoolique­s anonymes solliciter­ont d'ailleurs son aide pour mettre sur pied un petit centre de traitement, rue Querbes, à Montréal. Il sera renommé Maison Jean La‐ pointe en 1982.

La Maison consolider­a son existence avec la création de la Fondation Jean Lapointe, en 1986.

Le chanteur

En 1976, c'est un Jean La‐ pointe sobre et solo qui sort son premier disque, Déma‐ quillé. L’album et le spectacle remportent beaucoup de suc‐ cès. Cette année-là, Jean La‐ pointe reçoit le prix Orange, décerné par la critique.

En 1977, il donne un spec‐ tacle intitulé Rire aux larmes et sort Chante-la ta chanson. Le disque a un énorme succès et la chanson, écrite avec Mar‐ cel Lefebvre, sera intronisée au Panthéon des auteurs et compositeu­rs canadiens, en 2016.

S’ensuit une cascade de succès, des chansons tendres, drôles, réconforta­ntes, comme C’est dans les chan‐ sons, Si on chantait en‐ semble, Mon oncle Edmond, Les fleurs malades, Rire aux larmes. En tout, il enregistre­ra une vingtaine d’albums.

L'acteur

Et il tournera dans 22 films et 6 téléséries, car le chanteur et comique (il ne se voyait pas comme un humoriste) était aussi un acteur redoutable.

Comme dans Duplessis, la télésérie scénarisée par Denys Arcand et réalisée par Mark

Blandford, en 1977.

Quand ils m’ont demandé de jouer Duplessis, ils ont dû me travailler deux mois avant de me convaincre. Je me suis étonné moi-même.

Jean Lapointe

Il y aura aussi YUL 871 de Jacques Godbout, OK la liber‐ té et Ti-Mine, Bernie pis la gang de Marcel Carrière, Les Ordres de Michel Brault, J.A. Martin, photograph­e de Jean Beaudin, L'eau chaude, l'eau frette et Une histoire inven‐ tée d'André Forcier.

En 2011, il reçoit le prix Ju‐ tra du meilleur acteur de sou‐ tien pour sa performanc­e dans le film À l'origine d'un cri du réalisateu­r Robin Aubert.

Il recevra aussi un prix d'Excellence pour l'ensemble de sa carrière et sera honoré par le Gala Juste pour rire et le Gala Les Olivier.

Il est également nommé chevalier de l'Ordre national du Québec et officier de l'Ordre du Canada.

Un rendez-vous manqué

Jean Lapointe retrouve brièvement Jérôme Lemay dans Le Grand retour des Jé‐ rolas, en 2011. Lors de la pre‐ mière à Montréal, Jérôme Le‐ may est victime d’un malaise. Hospitalis­é, il mourra trois se‐ maines plus tard.

À 75 ans, Jean Lapointe, lui, prenait tout juste sa retraite comme sénateur, un poste que le premier ministre Jean Chrétien lui avait offert en 2001.

Au Sénat, le néophyte s’est beaucoup investi dans la lutte contre les appareils de lote‐ ries vidéo. En vain.

Au micro de Daniel Lessard à l'émission Les Coulisses du pouvoir, en 2010, il évoque sa lassitude des magouilles et son constat des deux soli‐ tudes.

Réputé fédéralist­e – son père Arthur-Joseph Lapointe avait siégé pendant 10 ans comme député à Ottawa –, Jean Lapointe confie à Patrice Roy, en janvier 2022, avoir ce‐ pendant toujours eu un fond de Québécois. Il va même un peu plus loin.

Ça va venir un jour ou l’autre, l’indépendan­ce du Québec. Et je le souhaite, af‐ firme-t-il, semblant ainsi re‐ joindre le point de vue de son défunt ami Félix.

Jean Lapointe a connu plu‐ sieurs problèmes de santé au cours des dernières années, notamment un cancer du poumon.

Il a eu cette parole, en vue de la postérité peut-être.

Dans 25 ans, Jean La‐ pointe, ça ne voudra plus dire grand-chose, mais la Maison Jean Lapointe va continuer, la Fondation va continuer, et c’est ce que je pense que je laisserai de mieux à tous mes Québécois que j’aime telle‐ ment.

Jean Lapointe

Tous ces Québécois sont en deuil, comme ses proches et ses enfants, dont le comé‐ dien Jean-Marie Lapointe et sa soeur Anne Élizabeth, direc‐ trice générale de la Maison fondée par son illustre père.

À lire et à écouter :

Personnali­tés : Jean La‐ pointe Jean Lapointe : de la scène au Sénat Anne Eliza‐ beth et Jean-Marie Lapointe : nés avec le gène de l'empa‐ thie Jean Lapointe prend sa retraite de la politique

Sources : L'encyclopéd­ie canadienne, ADISQ, Ordre national du Québec

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