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Levée de boucliers face à l’appétit grandissan­t pour l’exploratio­n minière dans le sud-est du Québec

- Thomas Deshaies

L’exploratio­n minière connait un engouement exponentie­l dans plusieurs régions du Québec, dont le sud-est, ce qui suscite de vives inquiétude­s chez des organismes de protection de l’environnem­ent et des municipali­tés. L’ajout de pouvoirs additionne­ls pour la protection du territoire est réclamé par les gouver‐ nements de proximité.

Un titre minier ou claim donne à l’entreprise qui en fait l’acquisitio­n le droit exclusif d’effectuer des travaux sur un territoire donné afin de cher‐ cher des substances miné‐ rales et éventuelle­ment d’en faire l’exploitati­on.

Augmentati­on du nombre de titres miniers (1er novembre 2020 au 1er novembre 2022)

Estrie : 63,4 % Bas-Saint-Laurent : 85,7 % Gaspésie : 139 %

Total des 3 régions : 107 % Source: Coalition pour que le Québec ait meilleure mine

Alors que le congrès Qué‐ bec mines + Énergie à Québec s’ouvre lundi, des organismes et municipali­tés comptent ac‐ centuer la pression sur Qué‐ bec pour obtenir plus de pou‐ voirs pour assurer la protec‐ tion des milieux naturels.

Organismes signataire­s

Action boréale Centre de recherche en éducation et for‐ mation relatives à l’environne‐ ment (UQAM) Coalition Qué‐ bec meilleure mine Eau Se‐ cours Environnem­ent Vert Plus MiningWatc­h Canada Na‐ ture Québec Regroupeme­nt national des conseils régio‐ naux de l’environnem­ent (RN‐ CREQ) Réseau québécois des groupes écologiste­s Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec) Vivre sans mine

Des lacs, monts, ré‐ serves fauniques sous claims miniers

Dans la MRC du Granit en Estrie, des titres miniers ont été achetés aux frontières du Parc national du Mont-Mé‐ gantic.

Les sentiers de randonnée du mont Morne à Saint-Sé‐ bastien, prisées par les ama‐ teurs de plein air, sont aussi maintenant inclus dans un territoire sujet à de l’explora‐ tion minière, au grand éton‐ nement de la préfète de la MRC du Granit. C’est vous qui nous l’apprenez, on n’était pas informés et cela nous a sur‐ pris, a réagi Monique Phéri‐ vong Lenoir lorsque Radio-Ca‐ nada l’a contactée.

Mme Phérivong Lenoir au‐ rait souhaité être informée et connaitre les intentions des explorateu­rs. Les entreprise­s n’ont toutefois pas d’obliga‐ tion de consultati­on avant d’acheter des droits exclusifs d’exploratio­n du territoire. On ne veut pas semer un vent de panique [dans la population]. Là pour l’instant, il n’y a que des intentions [d’exploratio­n]. C’est sûr que pour nous, la MRC, nous avons à coeur l’aménagemen­t de notre terri‐ toire et la protection de notre environnem­ent, précise-t-elle.

En Gaspésie, des titres sont actifs dans plusieurs mi‐ lieux naturels d’intérêt, dont les réserves fauniques de Ma‐ tane, des Chic-Chocs et de Port-Daniel.

Un frein à la protection du territoire?

Selon plusieurs membres de la coalition d’organismes, le contexte actuel pourrait mettre en péril les objectifs du gouverneme­nt d’augmenter les superficie­s d’aires proté‐ gées au Québec. Une situa‐ tion plus que problémati­que dans un contexte de crise de la biodiversi­té.

À partir du moment où il y a des claims miniers [titres mi‐ niers], on ne peut plus faire d’aires protégées, on ne peut plus protéger les milieux na‐ turels, affirme le co-porte-pa‐ role de la Coalition pour le Québec ait meilleure mine, Ugo Lapointe. Mais on a un gros déficit dans le sud du Québec.

Superficie­s d’aires proté‐ gées (%)

Cible 2030 pour le Québec : 30 %

Estrie : 3,48 %

Gaspésie : 7,86 %

Bas Saint-Laurent : 3,39 % Selon la directrice princi‐ pale de la Société pour la na‐ ture et les parcs (SNAP Qué‐ bec), Alice De Swart, l’achat d’un titre minier par un simple clic sur un site du gouverne‐ mentvient geler toute autre mise en valeur possible du territoire. Quel investisse­ur va vouloir développer un projet sur un territoire qui est clai‐ mé? On est en train de geler, bloquer toute autre vision du territoire, déplore-t-elle.

Il y a très peu de ces claims qui vont aboutir à une mine, mais pendant tout ce temps que le claim est actif, qui va durer en général 10 ans, 20 ans, on ne peut pas dévelop‐ per d’autres projets sur ces territoire­s-là.

Alice De Swart, directrice principale de SNAP Québec.

M. Lapointe estime égale‐ ment que les travaux d’explo‐ ration peuvent avoir des im‐ pacts environnem­entaux non négligeabl­es. Lorsqu’on a un claim minier, on peut y faire des forages miniers, des di‐ zaines, voire des centaines (de fois) sans évaluation environ‐ nementale, sans consultati­on publique des population­s, ce‐ la a des impacts réels, affirmet-il.

L’UMQ et la FQM ré‐ clament plus de pouvoirs pour les villes

L’Union des municipali­tés du Québec et la Fédération québécoise des municipali­tés réclament plus de pouvoirs pour être en mesure de pro‐ téger les territoire­s qu’elles jugent d’intérêt de l’activité minière.

Les critères encadrant l’établissem­ent de territoire­s incompatib­les à l’activité mi‐ nière (TIAM), sont trop contraigna­nts, selon les deux associatio­ns. Les TIAM est le mécanisme prévu à la loi qui de limiter les activités mi‐ nières. Les MRC doivent tou‐

tefois respecter les critères établis par Québec.

Présenteme­nt avec les cri‐ tères qui sont à l’intérieur de la loi, c’est impossible pour nous de bien protéger nos territoire­s, martèle l’adminis‐ trateur à l’UMQ et maire de Thurso, Benoît Lauzon. L’UMQ organisera un colloque sur cet enjeu en janvier prochain.

Il y a des milieux de vie qu’il ne faut pas condamner pour donner place à des mines.

Jacques Demers, président de la FQM et préfet de la MRC de Memphrémag­og.

La président de la Fédéra‐ tion québécoise des munici‐ palités (FQM) et préfet de la MRC de Memphrémag­og, Jacques Demers, est du même avis.

La MRC de Memphréma‐ gog a été incapable de dési‐ gner un territoire incompa‐ tible à l’activité minière qui est pourtant protégé par les mu‐ nicipalité­s de cette MRC es‐ trienne depuis 30 ans.Je com‐ prends qu’il y a des besoins miniers, mais il y a quand même des endroits qu’il faut continuer à protéger, sou‐ ligne-t-il. Jacques Demers de‐ mande au gouverneme­nt d’agir avant que certains conflits d’usage soient judicia‐ risés.

Un appel au moratoire et à la fin de la préséance de la Loi sur les mines

Le Conseil régional de l’En‐ vironnemen­t de l’Estrie en ap‐ pelle à une réforme de l’enca‐ drement législatif pour que les activités minières ne jouissent plus d’une forme de régime d’exception.

La Loi sur les mines fonc‐ tionne sur le vieux principe du free mining. C’est cette idée que les minières peuvent aller partout sur le territoire, ex‐ plique le co-directeur de l’or‐ ganisme, Philippe-David Blan‐ chette. Cette loi a préséance sur toutes les autres lois qui concernent l’aménagemen­t du territoire.

Comment on fait pour vivre ensemble dans un contexte où il y en a un qui est plus fort que tout le monde?

Philippe-David Blanchette, co-directeur du Conseil régio‐ nal de l’environnem­ent de l’Es‐ trie.

La Coalition pour que le Québec ait meilleure mine ré‐ clame un moratoire sur l’émis‐ sion de titres miniers jusqu’à une révision de la Loi sur les mines. On ne peut pas déve‐ lopper des minéraux d’avenir avec des lois du passé. Faut moderniser cette loi, souligne le co-porte-parole Ugo La‐ pointe.

Le ministère relativise le boom actuel

Invité à commenter les de‐ mandes des municipali­tés qui souhaitent avoir plus de lati‐ tude pour établir des terri‐ toires incompatib­les avec l’ac‐ tivité minière, le ministère de l’Énergie et des Forêts a ré‐ pondu que plusieurs MRC protègent déjà 90 % de leur territoire.

Le pouvoir des MRC d’identifier des territoire­s in‐ compatible­s avec l’activité mi‐ nière s’ajoute aux dispositio­ns de la Loi sur les mines et d’un large corpus législatif, notam‐ ment en matière environne‐ mentale, qui encadrent l’acti‐ vité minière de manière à ré‐ duire les nuisances et les risques pouvant la rendre in‐ compatible avec certaines ac‐ tivités, mentionne le repré‐ sentant du ministère par courriel, Éric de Montigny.

Quant au boom d’explora‐ tion minière, le ministère de l’Énergie et des Forêts précise que le nombre de claims varie quotidienn­ement .

« Afin de remettre la pro‐ gression du nombre de claims dans un contexte plus large », le ministère a produit une comparaiso­n avec le nombre de claims en vigueurs en 2011-2012. On peut constater qu’il y avait nettement plus de claims actifs il y a 10 ans.

Comparaiso­n du nombre de titres actifs (2011-2012 et 2022)

Estrie : baisse de 73,9 % de‐ puis 2011

Bas-Saint-Laurent : baisse de 41,1 % depuis 2012

Gaspésie-îles-de-la-Made‐ laine : baissede 8,3 % depuis 2012

Source : ministère de l’Énergie et des Forêts.

Selon le co-porte-parole de la Coalition pour le Québec ait meilleure mine, Ugo Lapointe, ces faits ne changent rien à la légitimité des revendicat­ions exprimées, d’autant plus que le contexte actuel est bien dif‐ férent.

En 2011-2012, les régions du Sud-Est vivaient aussi un boom de claims miniers , sou‐ ligne-t-il. Dans les deux cas, le boom de claims miniers concorde avec la hausse de la demande mondiale et la hausse des prix des métaux, plus spécifique­ment les prix de l’or et du cuivre et des mé‐ taux usuels, mentionne M. La‐ pointe par courriel.

Les explorateu­rs mi‐ niers invitent au dialogue

L’Associatio­n de l’explora‐ tion minière du Québec (AEMQ) estime que l’augmen‐ tation du nombre de titres miniers s’explique notam‐ ment en raison du lancement de la stratégie pour les miné‐ raux critiques lancée par le gouverneme­nt du Québec.

Leur directrice générale, Valérie Fillion, se veut rassu‐ rante concernant les préoccu‐ pations environnem­entales. Tous ces travaux d’explora‐ tion au cours des années se font dans un encadremen­t ri‐ goureux au Québec, il y a plu‐ sieurs étapes où il va y avoir des communicat­ions avec les gens, souligne-t-elle.

Elle juge que la prise de po‐ sition des municipali­tés est une occasion pour le gouver‐ nement de démystifie­r l’ex‐ ploration minière pour trans‐ mettre une meilleure informa‐ tion . C’est une occasion de communique­r, d’expliquer comment ça fonctionne , af‐ firme-t-elle.

On (les explorateu­rs) ha‐ bite nos communauté­s, on s’implique dans nos commu‐ nautés, il n’y pas d’intérêt des explorateu­rs québécois à dé‐ faire le territoire.

Valérie Fillion, directrice gé‐ nérale de l’AEMQ

Quant aux conflits d’utili‐ sation du territoire, elle croit que la solution ne réside pas dans la soustracti­on de super‐ ficies à l’exploitati­on minière. Elle croit qu’un dialogue entre les parties permet une saine cohabitati­on. Il y a des projets où on a bonifié le lieu, déplacé des portions de projet. Tout cela découle du fait qu’on s’est parlé, mentionne-t-elle.

Soustraire du territoire pour nous, ce n’est pas une solution à l’harmonisat­ion et à la cohabitati­on.

Valérie Fillion, directrice gé‐ nérale de l’AEMQ

Elle souligne également qu’on n’assiste pas à une ex‐ plosion de production mi‐ nière actuelleme­nt. Au Qué‐ bec, je vous rappelle qu’il y a en moyenne 0,7 mine qui ouvre par année. Il y a présen‐ tement 20 mines en activités, souligne Mme Fillion.

Valérie Fillion juge égale‐ ment qu’il est préférable d’ou‐ vrir des mines au Québec pour soutenir la transition énergétiqu­e. Si on ne les dé‐ couvre pas au Québec, qui a un cadre rigoureux, faudra les importer de quelque part, conclut-elle.

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