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Soleil et vent, l’immense potentiel de l’Afrique : l’exemple du Maroc

- Myriam Fimbry

En gare de Tanger, le train Al Boraq en provenance de Casablanca vient d'arriver. C’est le TGV marocain, train à grande vitesse, le pre‐ mier qui a vu le jour en Afrique, inauguré en no‐ vembre 2018.

Le nom Al Boraq, choisi par le roi Mohammed VI, évoque un oiseau mythique au corps de cheval qui a transporté des prophètes dans les récits de la tradition islamique.

Les trains Al Boraq viennent de fêter leurs 10 mil‐ lions de passagers. Ils offrent des voyages écorespons­ables à l’énergie 100 % éolienne, se‐ lon le site de réservatio­n. Estce donc le vent qui fait rouler le TGV à des pointes de 320 km/h?

Pas tout à fait. En réalité, l’Office national des chemins de fer a signé un contrat avec un parc éolien pour qu’il pro‐ duise autant d’électricit­é que les TGV en consomment. Le parc éolien injecte cette élec‐ tricité sur le réseau national, lequel est approvisio­nné par plusieurs sources de produc‐ tion. Le réseau assure l’équi‐ libre et fournit de l’électricit­é aux trains de façon constante. Même si le vent faiblit…

Le vent, un atout du Ma‐

roc

Aujourd’hui le vent est par‐ fait et stable, à sept mètres par seconde, dit Amine Zrida, responsabl­e de la mainte‐ nance, en sortant du pied de l’éolienne numéro 40.

Dhar Saadane, c’est l’un des premiers parcs éoliens mis en service au Maroc, près de Tanger, en haut des mon‐ tagnes du Rif. Quelques mou‐ tons se promènent au bord d’une petite route tracée en zigzag sur la crête, jalonnée de 126 éoliennes, droites comme des piquets.

Inauguré en 2010 par le roi du Maroc Mohammed VI, le parc éolien a tracé la voie avec ses 140 mégawatts, qui per‐ mettent d’éviter annuelle‐ ment l’émission de 360 000 tonnes de CO2. Ce n’était qu’un début. Mainte‐ nant la puissance éolienne installée au pays totalise 1500 mégawatts et, avec les projets en cours, elle va plus que doubler dans les pro‐ chaines années.

Le vent est un atout natu‐ rel du Maroc, avec ses 3500 ki‐ lomètres de côtes, atlantique et méditerran­éenne. Cette si‐ tuation géographiq­ue lui oc‐ troie un potentiel exception‐ nel, estime Abdellah Saphar, directeur exploitati­on des énergies renouvelab­les, au sein de l’Office national de l’électricit­é et de l’eau potable (ONEE), l’Hydro-Québec ma‐ rocain.

Un avantage important de l’énergie éolienne, c’est qu’elle diminue la dépendance éner‐ gétique du Maroc, explique M. Saphar. Nous n’avons pas de ressources fossiles. On im‐ porte le fioul, le charbon. En évitant de recourir aux cen‐ trales thermiques, on réduit donc la dépendance énergé‐ tique à l’étranger.

Les campagnes électri‐ fiées à 99,8 %

C’est d’autant plus impor‐ tant que la demande en élec‐ tricité ne cesse d’augmenter au Maroc, conséquenc­e de l’industrial­isation du pays, mais aussi de la demande croissante de la population.

À l’échelle du continent africain, près de 600 millions de personnes, soit 43 % de la population, n’ont toujours pas accès à l’électricit­é. Mais l’Afrique du Nord se distingue par des taux d’électrific­ation très élevés : l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie arrivent en tête, avec des taux appro‐ chant les 100 %, devant le Ga‐ bon, le Ghana, l’Afrique du Sud (84 %), le Botswana, le Ke‐ nya et le Sénégal (70 %), selon le top 10 du rapport de la Banque mondiale The Energy Progress Report.

Au Maroc, l’électrific­ation rurale lancée intensivem­ent dans les années 1990 est presque terminée.

On atteint des taux qui dé‐ passent les 99,8 %, assure Nour Eddine Fetian, directeur central production à l’ONEE, responsabl­e de tous les ou‐ vrages de production d’électri‐ cité au Maroc, toutes sources d’énergie confondues.

Il faut savoir transforme­r la crise en opportunit­é, dit-il à propos de la hausse des prix du gaz et du pétrole. On ne peut plus être liés à une seule voie d’approvisio­nnement, qui est le combustibl­e fossile. Donc ces projets d’énergies re‐ nouvelable­s permettent au‐ jourd’hui d’avoir un mix éner‐ gétique complèteme­nt diver‐ sifié, ce qui diminue le risque [de manquer d’énergie].

Faire partie de cette quête, à fond!

Les énergies renouve‐ lables, c’est une passion pour Soukaina, une jeune ingé‐ nieure de 27 ans. Lorsqu’elle a choisi d’étudier en génie ther‐ mique industriel et énergies renouvelab­les, à l'École natio‐ nale supérieure d’arts et mé‐ tiers de Meknès, plusieurs personnes disaient que c’était une filière moins mature que le génie civil ou mécanique. Mais vraiment, j’avais cette passion de contribuer à quelque chose de plus grand, qui va sauver, en quelque sorte, le monde!

Soukaina El Idrissi Faouzi a obtenu son diplôme d’ingé‐ nieure en 2018. À cette date, la contributi­on des énergies renouvelab­les dans le mix énergétiqu­e du Maroc était d’environ 14 %.

Plusieurs projets solaires et éoliens ont permis d’at‐ teindre 37 % en 2021, s’en‐ thousiasme-t-elle. Et il y a des ambitions futures pour arri‐ ver à 52 % en 2030. Je veux faire partie de cette quête, à fond! dit-elle avec un grand sourire.

Diplôme en poche, la jeune femme originaire de Marra‐ kech s’est fait embaucher à l’immense complexe solaire Noor Ouarzazate, l’un des plus grands d’Afrique.

Un champ perte de vue solaire à

Noor veut dire lumière en arabe. Le terme s’imposait sur un site où le soleil brille plus de 300 jours par an. Un soleil qui tape fort, même en ce dé‐ but de novembre. La terre sèche et caillouteu­se est de la couleur des maisons rurales en terre crue, entre le rose saumon et l’ocre.

Cette chaleur, soit on peut la stocker pour produire le soir, ce qui donne beaucoup de flexibilit­é, soit on peut l’uti‐ liser pour produire de la va‐ peur pour faire tourner une turbine qui va entraîner un générateur et produire de l’électricit­é.

C’est exactement le même principe qu’une centrale ther‐ mique à charbon ou à gaz, sauf qu’ici, le carburant est le soleil, explique Abdelkader Himdi, un ingénieur méca‐ nique du secteur pétrolier, qui a travaillé en France et en An‐ gleterre. En 2015, il est revenu au Maroc avec l’envie d’aider à développer le pays.

Il est maintenant directeur exploitati­on et maintenanc­e à l’Agence marocaine pour l’énergie durable (MASEN). Cette agence est chargée par l’État marocain de gérer le complexe solaire Noor Ouar‐ zazate.

Les quatre centrales de Noor Ouarzazate (580 MW) permettent d’éviter, au total, le rejet de 900 000 tonnes de CO2 par an, selon la Masen.

L’impact local en ma‐ tière de développem­ent

La région d'Ouarzazate est réputée pour ses tournages de films, mais aussi pour être une région rurale très défavo‐ risée en matière d’infrastruc‐ tures et de services par rap‐ port à d’autres régions du Ma‐ roc, comme celles de Rabat ou de Casablanca.

La présence du complexe solaire a donné du travail à des milliers de personnes du‐ rant sa constructi­on, de 2013 à 2018. À présent, pour l’ex‐ ploitation, au moins 500 per‐ sonnes travaillen­t ici en per‐ manence, majoritair­ement de la région, dit Abdelkader Him‐ di.

Des routes ont été construite­s pour l’accès au site, mais aussi pour désencla‐ ver les villages environnan­ts. Certains ont été connectés à l’eau potable et à l’électricit­é dans la foulée des travaux pour Noor.

La Masen a travaillé aussi avec des instituts de forma‐ tion à Ouarzazate pour sélec‐ tionner et former des tra‐ vailleurs originaire­s de la ré‐ gion. C’est plus facile de gar‐ der des gens qui sont origi‐ naires de la région que des gens qui vont venir un certain temps et repartir. Donc, recru‐ ter localement, ça bénéficie à tout le monde.

Des inquiétude­s pour le manque d’eau

Le principal défi pour l’ave‐ nir du solaire thermique au Maroc ou plus largement en Afrique, c’est qu’il nécessite de l’eau. La centrale Noor récu‐ père la vapeur et la réutilise, mais elle doit quand même puiser 2 millions de mètres cubes d’eau par an dans le barrage local, Mansour Ed‐ dahbi, qui a une capacité lar‐ gement suffisante pouvant al‐ ler jusqu’à 400 mètres cubes.

Sauf qu’avec la sécheresse de cette année, le niveau du barrage a fortement baissé, jusqu’à aussi peu que 12 % de sa capacité.

Le niveau d’eau est vrai‐ ment très bas, s’inquiète la jeune ingénieure Soukaina El Idrissi Faouzi. On a besoin de cette eau pour nos centrales solaires, parce que c’est un cycle vapeur. Si un jour on n’a plus d’eau, il faut arrêter les centrales. Le manque d’eau, c’est une grosse probléma‐ tique qu’il faut vraiment que le Maroc intègre dans sa stra‐ tégie énergétiqu­e.

Pour nous, le souci, il est là, confirme Abdelkader Him‐ di, de l’Agence marocaine pour l’énergie durable. On es‐ saye de minimiser la consom‐ mation d’eau. On est en effet dans un environnem­ent où l’eau est une ressource cri‐ tique.

Une idée sérieuseme­nt à l’étude consiste à installer des panneaux photovolta­ïques flottants à la surface du bas‐ sin d’eau du barrage pour en réduire l’évaporatio­n tout en produisant de l’électricit­é. D’une pierre deux coups.

De son côté, Soukaina oc‐ cupe ses moindres temps libres à la poursuite d’un doc‐ torat qui porte sur l’efficacité de l’absorption de l’énergie so‐ laire dans une centrale solaire thermique. La réflexion des miroirs atteint déjà 93 %, mais comment réutiliser les pertes énergétiqu­es? se demande-telle.

Ambition : devenir un pays exportateu­r

En plus de répondre à ses besoins nationaux, le Maroc a l’ambition d’exporter vers l’Eu‐ rope une partie de son électri‐ cité produite avec les énergies éolienne et solaire. Notam‐ ment vers le Portugal, l’Es‐ pagne, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Il souhaite aussi servir de modèle à d’autres pays afri‐ cains désireux de développer les énergies renouvelab­les. Récemment, une délégation est venue de Namibie au complexe solaire Noor Ouar‐ zazate pour en apprendre plus sur les avantages et in‐ convénient­s des différente­s technologi­es, photovolta­ïque et thermique.

Le potentiel solaire de l’Afrique est immense, c’est le continent le plus ensoleillé au monde! fait remarquer Mos‐ tafa Nachoui, professeur à l’Université Hassan II de Casa‐ blanca et directeur de publica‐ tion de la revue Espace géo‐ graphique et société maro‐ caine. Et l’Afrique, on en parle moins, c’est aussi l’Afrique ma‐ ritime. L’Afrique du Sud pro‐ duit de l’énergie éolienne en mer, ce que le Maroc n’a pas encore osé faire.

Kenya, Tunisie, Égypte, Afrique du Sud… Une ving‐ taine de pays africains s’inté‐ ressent au potentiel inexploi‐ té du vent et du soleil, avec le soutien de bailleurs de fonds internatio­naux, tels que la Banque mondiale ou la Banque africaine de dévelop‐ pement.

L’Afrique se tourne vers l’énergie renouvelab­le et le monde se tourne vers l’Afrique, dit en souriant Mos‐ tafa Nachoui.

Potentiel énorme, défis énormes

Mais les défis sont énormes pour obtenir les fi‐ nancements nécessaire­s à la réalisatio­n de ces grands pro‐ jets. À titre d’exemple, la constructi­on du complexe so‐ laire Noor Ouarzazate a coûté une fortune : quelque 9 mil‐ liards d’euros (12,5 milliards de dollars canadiens).

Le manque d’infrastruc‐ tures de transport dans des espaces immenses, l’image de sous-développem­ent du continent et les problèmes de gouvernanc­e de certains États freinent les investisse­ments. Il y a actuelleme­nt un désiste‐ ment des organismes interna‐ tionaux de financemen­t pour soutenir le développem­ent de l’Afrique, observe le cher‐ cheur.

Les Africains doivent prendre leur destin en main, mais avec de l’aide internatio‐ nale et des politiques régio‐ nales. On a 54 pays très diffé‐ rents géographiq­uement, il ne faut pas une seule politique pour l’Afrique.

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