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À la fin du siècle, le tiers de l’humanité sera africaine

- Ximena Sampson

Le 15 novembre, le monde a passé le cap des 8 mil‐ liards d’habitants. Un sixième d'entre eux vivent en Afrique subsaharie­nne, une proportion appelée à doubler dans les pro‐ chaines décennies.

Si le taux de croissance ra‐ lentit un peu partout sur la planète, l'Afrique subsaha‐ rienne fait figure d'exception.

Dans cette région où la fécon‐ dité demeure la plus élevée au monde, la population de‐ vrait augmenter de 80 % d’ici 2050.

Les femmes y ont encore 4,6 enfants chacune, en moyenne, contre 2,3 pour l’ensemble du monde.

Aujourd’hui, l'Afrique, c'est un humain sur six; en 2050, ce serait un humain sur quatre; et à la fin du siècle, un humain sur trois. L’Afrique représente‐ rait plus du tiers de l’humani‐ té à cet horizon.

Gilles Pison, professeur émérite au Muséum national d'histoire naturelle à Paris.

Un tournant pour l’Afrique?

En plus d’être populeux, les pays subsaharie­ns sont également très jeunes : 40 % des habitants y ont moins de 15 ans et 60 % moins de 25 ans. La pyramide des âges est encore celle qui caractéri‐ sait les pays émergents il y a 50 ans.

Au Burkina Faso, 77 % de la population a moins de 35 ans, illustre Georges Guiel‐ la, enseignant-chercheur à l'Institut supérieur des sciences de la population de l'Université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougo­u. Et plus de la moitié de la population est composée de jeunes de moins de 15 ans, précise-t-il.

Beaucoup d'enfants, cela représente une charge impor‐ tante pour la population ac‐ tive, ce qui constitue un frein au développem­ent.

Cependant, les démo‐ graphes prévoient une dimi‐ nution du taux de fécondité, qui devrait descendre à trois enfants par femme en 2030 dans les pays au sud du Saha‐ ra.

Lorsque les couples au‐ ront moins d'enfants, l'Afrique subsaharie­nne pourrait prendre son envol et enfin profiter de sa richesse démo‐ graphique, souligne Gilles Pi‐ son.

On appelle dividende dé‐ mographiqu­e ce qui arrive dans un pays quand la fécon‐ dité diminue rapidement, donc la proportion d'enfants baisse, alors que, dans le même temps, la proportion de personnes âgées reste faible, explique-t-il.

Quand cette transition se produit, les ménages ont moins de personnes à charge et moins de dépenses, ce qui leur permet de faire des éco‐ nomies et d'investir.

Dans les décennies 19601970, les dragons asiatiques (Corée du Sud, Taïwan, Singa‐ pour et Hong Kong) ont profi‐ té de cette situation démo‐ graphique particuliè­re pour réaliser leur décollage écono‐ mique, notent les écono‐ mistes.

Mais si cette transition est envisageab­le dans plusieurs pays africains, notamment en Afrique australe, dans d’autres régions, on est encore loin du compte.

En effet, pour bénéficier du dividende démogra‐ phique, deux conditions sont nécessaire­s. Il faut que la fé‐ condité baisse rapidement, et donc que la part des jeunes à scolariser diminue, puis qu'il y ait des emplois qui soient créés pour occuper l’impor‐ tante population d'âge actif, précise M. Pison. Pour l'ins‐ tant, les deux situations ne sont pas réunies en Afrique comme elles l'ont été en Asie.

Oui, la fécondité diminue, mais le processus est lent. Les pays d'Afrique subsaharie­nne en général, et l'Afrique de l'Ouest en particulie­r, ont une transition démographi­que qui tarde à venir, souligne le dé‐ mographe burkinabé Georges Guiella.

L’accès à l’éducation n’est pas simple non plus.

Dans les pays d'Afrique subsaharie­nne, la proportion de la population d'âge sco‐ laire est très importante, donc ça demande des investisse‐

ments massifs dans la constructi­on d'écoles et le re‐ crutement d’enseignant­s, ex‐ plique Gilles Pison.

Lorsque la population s'ac‐ croît à des rythmes annuels de 3 %, c'est difficile de mener de front la diffusion de l'ins‐ truction et le développem­ent économique.

Gilles Pison, professeur émérite au Muséum national d'histoire naturelle à Paris Les États devraient égale‐ ment miser sur la formation profession­nelle, croit pour sa part Georgues Guiella. On peut former les gens de façon à ce qu’ils soient tout de suite employable­s et capables de faire quelque chose. Mais le problème, c'est que l'éduca‐ tion est incomplète et la for‐ mation n'existe pas. Donc, ce sont des bras valides, comme on les appelle, mais à qui on n'a rien à offrir. Si vous ne faites pas attention, ça de‐ vient un malus au lieu que ce soit un bonus, conclut-il.

En Afrique subsaharie­nne, près du tiers des enfants d’âge scolaire ne sont pas sco‐ larisés. Le Mali et le Niger font partie des pays où l’on trouve le plus de jeunes, mais où les taux d'achèvement du deuxième cycle du secondaire sont les plus faibles.

À peine 11 % des adoles‐ cents maliens et 2,1 % des ados nigériens terminent le deuxième cycle du secon‐ daire. Quelque 75 % des ado‐ lescents maliens et 87 % des ados nigériens ne fréquenten­t plus l’école.

Tous les États africains ne sont donc pas dans la même situation pour bénéficier de cette opportunit­é démogra‐ phique.

Les chercheurs ont identi‐ fié le Ghana, la Côte-d’Ivoire, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, l’Afrique du Sud et le Botswana comme ayant le potentiel pour profiter du di‐ vidende. Ces pays ont réussi à baisser leur taux de fécondité et les institutio­ns y sont relati‐ vement solides.

D’autres, comme le Séné‐ gal, le Cameroun, la Tanzanie, le Togo et le Nigeria, souffrent d’insuffisan­ces politiques et institutio­nnelles qui risquent de ralentir le processus.

Pour d’autres enfin, comme le Mali, le Niger ou le Burkina Faso, cette embellie semble encore bien loin.

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