Radio-Canada Info

Qui veut détruire la centrale de Zaporijia?

- François Brousseau

C’est reparti à la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus grande d’Europe et l’un des noeuds gordiens de la guerre d’Ukraine. Après des semaines d’accalmie lo‐ cale – la guerre ayant évo‐ lué sur d’autres fronts – les combats se rapprochen­t, les explosions ont repris et l’angoisse nucléaire re‐ vient.

La Russie et l'Ukraine se sont mutuelleme­nt renvoyé la responsabi­lité des bombar‐ dements et des explosions qui ont eu lieu près de la cen‐ trale, ou même dans son en‐ ceinte, au cours du week-end.

Un air connu, qu’on avait déjà entendu à la fin de l’été.

L'Agence internatio­nale de l'énergie atomique (AIEA) a re‐ trouvé ses accents de grande inquiétude. Elle avertit que les récentes explosions ont presque touché les principaux systèmes de sécurité de la centrale.

Le patron de l’AIEA, l’Argen‐ tin Rafael Grossi, a parlé d’une folie, en disant : les gens qui font ça savent où ils frappent. C’est absolument délibéré, ci‐ blé.

Il a renouvelé son appel à l'établissem­ent d’une zone de sécurité autour de l'installa‐ tion, affirmant que la commu‐ nauté internatio­nale doit tout faire en son pouvoir pour em‐ pêcher une éventuelle fuite radioactiv­e.

Un remake du mois de septembre?

La situation actuelle res‐ semble à ce qu’on avait vu lors de la précédente alerte, il y a trois mois : échange de tirs, accusation­s mutuelles, explosions autour et à l’inté‐ rieur de la centrale. Qui pou‐ vaient être responsabl­es de ces gestes ? Les Ukrainiens, depuis l’autre rive d’un large fleuve ? Ou les Russes, dans des actes de sabotage d’un lieu qu’ils occupent, afin d'ac‐ cuser l’ennemi ?

Tout est semblable au‐ jourd'hui, à l'exception du contexte. Depuis trois mois, les Ukrainiens ont réussi à re‐ conquérir deux régions im‐ portantes, en l'occurrence Kharkiv, en septembre, et Kherson, en novembre.

Les Russes sont entière‐ ment repoussés sur la rive gauche du fleuve Dniepr, où se trouve la fameuse centrale, dans le sud-est du pays. Les Ukrainiens sont de l’autre côté du fleuve, qui est très large à cet endroit – au moins cinq ki‐ lomètres.

Ces craintes et récrimina‐ tions familières autour d’un lieu stratégiqu­e et dangereux surviennen­t avec une Russie qui recule et une Ukraine pleine d’allant, ragaillard­ie par ses percées récentes.

Kiev voudrait pousser en‐ core vers le sud et traverser le fleuve en amont, où il est plus étroit. Et à partir de là, viser Melitopol – ce qui mettrait di‐ rectement en ligne de mire, par voie terrestre, la recon‐ quête de la centrale.

Petit détail : la centrale de Zaporijia est bien distincte de la ville du même nom, restée sous contrôle ukrainien, elle aussi riveraine du Dniepr, à une soixantain­e de kilomètres au nord-est.

Situation lourde et dé‐ tériorée

Dans l’usine même, on rap‐ porte une situation lourde et détériorée – physiqueme­nt, techniquem­ent, psychologi‐ quement. La société russe Ro‐ satom en a formelleme­nt pris le contrôle depuis septembre, mais on ignore ce que ça si‐ gnifie, au-delà d’une procla‐ mation de pure forme.

On ne sait pas exactement combien parmi les 11 000 em‐ ployés d’avant-guerre sont encore présents pour mainte‐ nir à flot des installati­ons es‐ sentielles, dans la terreur d’une occupation au bout du fusil. Certains dorment là, sous la surveillan­ce armée des soldats russes. À la fin de l’été, on parlait de 500 soldats d’oc‐ cupation; il y en a peut-être davantage aujourd’hui.

Sur les six réacteurs, quatre sont à l’arrêt et deux sont en désactivat­ion ou tournent au ralenti. Tous sont détachés du réseau ukrainien.

Une surveillan­ce compé‐ tente de tous les instants est nécessaire pour maintenir le système de refroidiss­ement du combustibl­e et pour em‐ pêcher les fuites. Il faut aussi maintenir la fourniture d’élec‐ tricité en amont pour faire tourner les installati­ons.

Les frappes (ou explo‐ sions) du week-end auraient eu lieu très près de certaines cuves, entre les blocs 4 et 5, touchant le toit d’un bâtiment spécial situé à proximité de ces blocs. Ce bâtiment abrite‐ rait un dépôt de combustibl­e nucléaire, du matériel radioac‐ tif usé, devant impérative‐ ment être confiné pour éviter le drame.

Citons les experts de l’AIEA sur place : les derniers bom‐ bardements enregistré­s ont endommagé un bâtiment de stockage de déchets radioac‐ tifs, les systèmes d’arrosage des bassins de refroidiss­e‐ ment, un câble électrique vers l’un des générateur­s diesel, les réservoirs de stockage des condensats et un pont entre un réacteur et ses bâtiments auxiliaire­s. Toujours selon l’AIEA, le niveau de radiation est resté normal.

Les spécialist­es disent avoir moins peur d’une explo‐ sion ou d’une désintégra­tion d’un réacteur (protégé par une épaisse couche de béton) que de fuites de matériaux ra‐ dioactifs, de combustibl­es en‐ treposés ailleurs – ce qui se‐ rait le vrai danger.

D’où frappes? viennent les

Le directeur de l’AIEA a par‐ lé de frappes très précises, au mètre près, mais tout en refu‐ sant de les attribuer à l’un ou l’autre camp. Pour reprendre les mots de Rafael Grossi for‐ mulés dimanche sur CNN : ce n’est pas mon mandat et on n’a pas les moyens de savoir.

On peut aisément imagi‐ ner que le président de l’AIEA s’autocensur­e et marche sur des oeufs, alors qu’il a des ob‐ servateurs sur place, lesquels peuvent être expulsés à tout moment.

Y a-t-il une façon de déter‐ miner l’origine de ces frappes ? Sans enquête de terrain, avec les informatio­ns dispo‐ nibles, on ne peut faire que des conjecture­s, sans certi‐ tude.

Grossi a parlé d’explosions. Il a employé ce terme plutôt que de référer à des frappes ou du pilonnage, faisant très attention de ne pas accuser un camp plutôt que l’autre. Car indéniable­ment, il y a des frappes ukrainienn­es aux alentours de la centrale contre les positions russes.

Mais ce choix de mots n’est peut-être pas innocent. Si ce sont des explosions, elles peuvent avoir été provo‐ quées sans projectile­s, ou par des tirs à bout portant par ceux qui sont sur place. Ce qui signifiera­it l’armée russe.

Il y a aussi l’extrême préci‐ sion de ces opérations – bien soulignée, et avec insistance, par le patron de l’AIEA. Lors de la première crise, il y a trois mois, certains témoins – no‐ tamment cités dans la presse française – avaient parlé d’ex‐ plosions sur le site (ou très près), non précédées de siffle‐ ments ou de traînées visuelles au-dessus du fleuve.

Donc, encore une fois, de provenance locale, vraisem‐ blablement russe puisqu’il n’y a pas de soldats ukrainiens de ce côté-là du fleuve.

Est-ce qu’on peut au‐ jourd’hui imaginer l’armée ukrainienn­e, située à cinq, voire dix kilomètres de l’autre côté du Dniepr, y aller de frappes précises au mètre près à l’intérieur même de l’enceinte ?

Le témoignage d’un em‐ ployé sur place

La chaîne France Info a in‐ terviewé lundi, par téléphone et de façon anonyme, un em‐ ployé ukrainien de la centrale. Il a déclaré être sûr que ce sont les Russes qui endom‐ magent délibéréme­nt les ins‐ tallations. Citation de cet em‐ ployé : Dans la salle du pre‐ mier et du deuxième réacteur, il y a de l'équipement militaire. Dans la salle des turbines aus‐ si. Et autour, tous les abords sont minés.

Une enquête sur ce mys‐ tère doit aussi considérer les mobiles de telles actions. Pourquoi les Ukrainiens ris‐ queraient-ils un accident ra‐ dioactif sur leur propre terri‐ toire ?

Alors que venant des Russes – qui depuis des se‐ maines bombardent les ins‐ tallations énergétiqu­es du pays ennemi – on peut aisé‐ ment imaginer que dans la phase actuelle de la guerre, ils aient pris une décision pré‐ cise. À savoir de laisser der‐ rière eux, en cas de fuite éven‐ tuelle, une centrale inutili‐ sable ou gravement dégra‐ dée, à défaut de l’avoir dé‐ tournée à leur profit.

Cela cadrerait parfaite‐ ment dans la stratégie ac‐ tuelle de l’armée russe, qui est de s’attaquer aux infrastruc‐ tures civiles ukrainienn­es pour les détruire.

rêtée là. C’est donc à l’école qu’il a dû l'approfondi­r davan‐ tage. Quand j’ai eu 14 ans, j'ai appris le français pendant quatre ans et, ici à Harvard, quatre ans aussi. C'est une connexion avec ma grandmère et la famille de ma mère, raconte-t-il.

Je suis une immigrée tibé‐ taine-américaine, dit Dekyi, l’autre étudiante, née au Né‐ pal. Elle n’a pas d'ancêtres francophon­es mais un amour pour le français. Elle étudie en histoire américaine. Comme sa professeur­e, tout au long de son parcours scolaire, on ne lui a jamais parlé des Fran‐ co-Américains.

Je ne l’ai pas appris dans mes cours avant ni même dans mes cours de français. Au lycée et à Harvard, on ne parle que de la France et de Paris.

Dekyi Tsotsong, étudiante Dans son cas, apprendre le français est simplement un choix. J’ai perdu ma langue né‐ palaise, mon tibétain n’est pas très bon, mais j’ai eu la chance d’apprendre le français. Je ne sais pas, j’ai eu une connexion, dit-elle dans un excellent français.

L'héritage des Cana‐ diens français en balado

À moins d’une heure de Boston, le Franco-Américain Jesse Martineau invite chaque semaine à son micro des his‐ toriens, des politicien­s ou des artistes pour parler de l’his‐ toire des francophon­es qui vivent aux États-Unis. Son ba‐ lado French-Canadian Legacy Podcast, qui existe de‐ puis 2019, est aussi une façon de s'approprier sa propre his‐ toire.

Je suis né à Manchester, au New Hampshire. Mes deux parents parlaient français à la maison quand ils étaient en‐ fants. Mon grand-père était de Saint-Apollinair­e, mon ar‐ rière-grand-père de Saint-Léo‐ nard-d’Aston, d'autres an‐ cêtres de Sainte-Monique ou de Saint-Georges-de-Windsor, raconte-t-il.

Tous mes ancêtres étaient du Québec, mais moi et ma soeur, nous sommes la pre‐ mière génération qui ne parle pas français.

Jesse Martineau, anima‐ teur du balado French-Cana‐ dian Legacy Podcast

M. Martineau, qui est aussi procureur à la Cour supé‐ rieure de Manchester, a déci‐ dé que la transmissi­on ne s’ar‐ rêterait pas ainsi. L’an dernier, il a passé six mois à Québec pour y suivre des cours de français.

À l’époque, dit Jesse Marti‐ neau, les parents ont arrêté de parler français à leurs en‐ fants entre autres parce qu'ils avaient peur qu'ils ne soient l'objet de discrimina­tion. Être francophon­es, explique-t-il, ça voulait dire qu’on était pauvres, qu'on était des ou‐ vriers d’usine. Ce n'était pas bien vu de parler français.

La professeur­e Claire-Ma‐ rie Brisson va plus loin. Les gens ont été obligés de parler anglais. Il y a beaucoup de gens qui ont raconté que si des élèves parlaient français à l'école, ils devaient copier : "I will not speak French in the school ground", c'est-à-dire : "Je ne parlerai pas français dans la cour d'école." Il y a eu de l'assimilati­on, de la xéno‐ phobie.

Écoutez le reportage de Karine Mateu diffusé à L'heure du monde

Une renaissanc­e?

Selon Jesse Martineau, de plus en plus de Franco-Améri‐ cains s'intéressen­t à leurs ori‐ gines. Des rencontres pour échanger et pour partager s'organisent.

Je pense que maintenant, c'est une renaissanc­e. Il y a une énergie, on le voit chez les plus jeunes que moi.

Jesse Martineau, anima‐ teur du balado French-Cana‐ dian Legacy Podcast

Engouement ou déclin? Les estimation­s diffèrent. Jesse Martineau pense qu'il y aurait plus de deux millions de descendant­s d’immigrants canadiens-français en Nou‐ velle-Angleterre. En 2010, par contre, environ 200 000 habi‐ tants de la Nouvelle-Angle‐ terre ont déclaré parler fran‐ çais à la maison, selon les données du recensemen­t.

Claire-Marie Brisson ne croit pas que ces chiffres soient représenta­tifs. Quand on dit "francophon­e", est-ce que ça veut dire que je parle 100 % français? Est-ce que ça veut dire que j'utilise des mots de temps en temps? C'est difficile de savoir vrai‐ ment combien nous sommes.

Par contre, le réseautage, lui, fonctionne. Je connais Jesse Martineau, dit-elle. J'ai aussi un balado intitulé The North American Franco‐ phone. J'ai même participé à son podcast. On se parle sur les réseaux sociaux. On est une communauté de partout en Nouvelle-Angleterre. Ça, c'est positif!

quêter sur les causes du dé‐ cès et, à l’employeur, de dé‐ dommager la famille. Quelque 60 % des décès de travailleu­rs au Qatar sont ainsi définis comme des morts naturelles.

Cela ne tient pas la route, selon des ONG qui défendent ces jeunes travailleu­rs. Me Devkota affirme qu’avant de quitter le Népal, ils sont certifiés être en excellente santé et en forme pour tra‐ vailler physiqueme­nt au Qa‐ tar et en Arabie saoudite. Et soudaineme­nt, ils meurent. De quoi, d’un arrêt du coeur? dit-il d’un ton sarcastiqu­e. Ce‐ la nous inquiète, parce qu’il est impossible que tous ces travailleu­rs soient morts d’un arrêt cardiaque.

La veuve de Ram Narayan, qui n’avait que 36 ans, est convaincue que la mort de son mari n’était pas naturelle, mais liée aux conditions de travail sur les chantiers. C’est le soleil, la chaleur qui l’ont tué. Et la nourriture, qui était mauvaise : il avait souvent des maux d’estomac. On a de jeunes enfants, il était allé à l’étranger pour leur donner une vie meilleure. En vain.

En suscitant l’indignatio­n mondiale, la mort de tous ces travailleu­rs n’aura peut-être pas été vaine. Ces décès ont forcé le Qatar à adopter des réformes pour améliorer les conditions de travail sur les chantiers de constructi­on. Un changement qui a eu lieu sous l’impulsion de l’Organisa‐ tion internatio­nale du travail (OIT) qui a reproché aux auto‐ rités qataries de ne pas analy‐ ser les causes de ces nom‐ breux arrêts cardiaques inex‐ pliqués, afin que les familles reçoivent des compensati­ons appropriée­s.

On a recensé plusieurs cas où des jeunes sont morts d’un arrêt cardiaque, confirme Marie-José Tayah, responsabl­e du dialogue so‐ cial de l’OIT au Qatar, jointe au bureau de Doha de l’orga‐ nisme. Il est important de faire plus d’investigat­ions pour établir des liens avec les conditions de travail et [dé‐ dommager] les familles, s’il y a lieu.

Plusieurs de ces arrêts car‐ diaques sont probableme­nt causés par un stress ther‐ mique, qui peut être fatal. Le Qatar a indirectem­ent recon‐ nu le problème en adoptant une loi qui interdit, depuis l’an dernier, le travail sur les chan‐ tiers de 10 h à 15 h 30 du 1er juin au 15 septembre. Le travail à l’extérieur est aussi illégal quand la températur­e est trop élevée, peu importe l’heure ou le mois de l’année.

Des inspection­s effectuées en vertu de cette loi ont fait suspendre ou fermer des chantiers 463 fois l’été dernier. Les admissions à l’hôpital de patients souffrant de troubles liés à la chaleur auraient bais‐ sé de 1520, en 2020, à 371, en 2022.

La liberté des travailleu­rs de changer d’employeurs ou de quitter le pays est aussi dé‐ sormais protégée par la légis‐ lation, mais certains em‐ ployeurs continuent d’impo‐ ser des représaill­es à ceux qui veulent quitter leur emploi.

Le salaire minimum a été augmenté, mais il demeure très bas, étant donné la ri‐ chesse du pays. Le paiement des salaires – il n’est pas inha‐ bituel au Qatar de rester im‐ payé pendant des mois – s’est aussi amélioré, mais demeure l’objet de milliers de plaintes chaque année. Des comités de travailleu­rs ont été créés pour permettre aux abus d’être dénoncés au sein d’une démarche légalement enca‐ drée.

La petite monarchie pétro‐ lière se vante aujourd’hui d’avoir les lois du travail les plus progressis­tes des pays du Golfe persique. Ces amélio‐ rations n’auraient probable‐ ment jamais vu le jour si le Qatar n’avait pas été l’hôte de la Coupe du monde de foot‐ ball.

La grande question qui se pose aujourd’hui, c’est de voir si ces réformes, qui sont en‐ core embryonnai­res, vont se poursuivre ou être abandon‐ nées quand les lumières des stades s'éteindront, dans un mois.

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