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À quoi aura servi la commission Rouleau?

- Christian Noël

On reproche souvent à Jus‐ tin Trudeau son passé de professeur d’art drama‐ tique. Cette semaine à la commission Rouleau, c’est un talent qui l’a bien servi.

Il a pris le contrôle de la scène, offert une performanc­e solide, tant sur la forme que sur le fond, pour détailler la position de son gouverne‐ ment en faveur de l’invoca‐ tion de la Loi sur les mesures d’urgence (LMU).

Les arguments du premier ministre étaient solidement présentés, en utilisant plu‐ sieurs mots-clés utilisés pour décrire la LMU et la loi sur les Services de renseignem­ent de sécurité.

En gros : le gouverneme­nt avait des motifs raisonnabl­es de croire qu’il y avait une me‐ nace de violence dans le but d’atteindre un objectif idéolo‐ gique, et que les provinces n'avaient pas la capacité ou le pouvoir d'intervenir.

La réponse du gouverne‐ ment était proportion­nelle à la menace, ajoute Justin Tru‐ deau, limitée dans sa portée géographiq­ue et dans le temps. Le premier ministre pouvait citer par coeur les ar‐ ticles de loi. Clairement, il avait fait ses devoirs.

Après la comparutio­n de sept ministres comme pre‐ mier acte, en début de se‐ maine, le témoignage de Jus‐ tin Trudeau était le clou du spectacle. Mais sa bonne per‐ formance ne réussit pas com‐ plètement à faire oublier qu’il y a eu quelques fausses notes qui n’ont toujours pas été ré‐

solues.

Zones d’ombres

D’abord, la commission Rouleau doit examiner et éva‐ luer le fondement de la déci‐ sion du gouverneme­nt de dé‐ clarer l’état d’urgence, mais n’a pas accès à un document cru‐ cial : l’avis juridique obtenu par le gouverneme­nt pour justifier la LMU.

Le document est frappé par la confidenti­alité ministé‐ rielle. Et les conseils qu’a pu ajouter le Procureur général David Lametti et son équipe sont frappés du sceau de confidenti­alité entre l’avocat et son client.

Ensuite, Justin Trudeau as‐ sure qu’il a dû invoquer la LMU en dernier ressort parce que les forces policières n’arri‐ vaient pas à faire leur travail. Pourtant, les forces de l’ordre affirment qu’elles avaient un plan prêt le 13 février, la veille de la LMU. Mais le premier mi‐ nistre estimait que ce plan était incomplet et insuffisan­t.

Or, il faut le croire sur pa‐ role. Car ce fameux plan dé‐ posé en preuve a été presque complèteme­nt caviardé.

À quoi sert une commis‐ sion d’enquête pour faire la lu‐ mière sur les décisions d’un gouverneme­nt si elle n’a pas un accès complet aux docu‐ ments pertinents?

Puis il y a les affirmatio­ns du ministre de la Sécurité pu‐ blique, Marco Mendicino, qui affirmait en février dernier que la Loi avait été invoquée à la demande des services de police. Or, tous les témoins des corps de police qui ont comparu devant le juge Rou‐ leau assurent qu’ils n’ont ja‐ mais fait cette demande.

Ensuite, la définition élar‐ gie de sécurité nationale invo‐ quée par le gouverneme­nt, basé non sur la lettre, mais l’esprit de la loi, a ouvert un débat qui n’est pas du tout clos.

À quoi a servi la commis‐ sion?

Les révélation­s faites à la commission, et la justificat­ion présentée par le gouverne‐ ment n’auront vraisembla­ble‐ ment que peu d’impact dans la sphère publique.

Les Canadiens continuent en grande majorité d’appuyer l’action du gouverneme­nt. Et ceux qui croyaient déjà ce printemps que le gouverne‐ ment avait abusé de ses pou‐ voirs n’ont fort probableme­nt pas changé d’opinion cet au‐ tomne.

De même, à moins d’une surprise, le rapport Rouleau en février prochain viendra sûrement cristallis­er les points de vue déjà existants. Mais ça ne veut pas dire que l’exercice aura été en vain.

Un des rôles de la commis‐ sion est de déterminer s’il y a lieu d’apporter des modifica‐ tions à la Loi sur les mesures d'urgence.

Les témoignage­s ont mis en exergue le fait que la Loi sur les mesures d’urgence n’est plus adaptée à son époque. Un peu comme la Loi sur les mesures de guerre, qu’elle a remplacée en 1988.

Il y a 36 ans, les réseaux sociaux n’existaient pas, la désinforma­tion qui alimente souvent l'extrémisme violent motivé par l’idéologie voya‐ geait plus lentement. Les campagnes de sociofinan­ce‐ ment et la cryptomonn­aie qui ont soutenu le mouvement de février dernier étaient in‐ existantes. L’ordre géopoli‐ tique et les menaces externes ont évolué.

À la lumière des témoi‐ gnages entendus au cours des six dernières semaines, il y a fort à parier que le juge Rouleau voudra se pencher sur la question de la moderni‐ sation de la Loi.

Et c’est ce qui risque de de‐ venir l’héritage le plus persis‐ tant de cette commission.

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