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Des immigrants paient jusqu’à 12 mois de loyer d’avance pour signer un bail

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Sans historique de crédit ni emploi, même s’ils ont des économies, de nouveaux arrivants font face à des re‐ fus catégoriqu­es lorsqu’ils tentent de louer des loge‐ ments. Des familles pro‐ posent de payer des mois de loyers, parfois de 6 à 12 mois d’avance, pour avoir accès à un loge‐ ment.

Maïmouna Bella Sane est arrivée en Ontario au mois de juin, avec son fils et son époux. Elle a payé 16 800 $ de loyer d’avance pour un bail d'un an.

Durant des semaines, de nombreuses offres de loca‐ tion sont refusées à l’agent immobilier qui représente la famille de Mme Sane. On nous disait non à chaque fois, explique-t-elle. J’étais complè‐ tement stressée. Il y a des jours où j’avais envie de repar‐ tir en France, ajoute-t-elle.

Mais les choses se sont ar‐ rangées. Dès qu’on a proposé de payer 12 mois de loyer d’avance, ça a été vite un oui.

Dès lors, la mère de famille sent un poids en moins sur ses épaules. Résignée, elle ex‐ plique qu’il fallait rassurer les propriétai­res.

Pour obtenir son permis vacances-travail auprès d'Im‐ migration et citoyennet­é Ca‐ nada Mme Sane ne devait jus‐ tifier que de 2500 dollars comme preuve de fonds pour les trois premiers mois.

Pour ceux qui s’établissen­t en tant que travailleu­rs quali‐ fiés avec une famille de trois personnes le gouverneme­nt fédéral requiert 20 371 $ comme preuve de fonds.

Dans la région de York, Gil‐ das Alladaye et sa famille, ori‐ ginaire du Cameroun, sont ar‐ rivés en Ontario il y a deux mois. Il a également eu beau‐ coup de mal à louer un loge‐ ment. Des propriétai­res exi‐ geaient [un bail de] 12 mois ou rien, affirme le père de fa‐ mille. Pour inciter les proprié‐ taires à me répondre [positi‐ vement], j’étais obligé de leur proposer quatre à six mois de loyers d’avance, ajoute-t-il.

Il explique que la situation a eu un impact sur sa santé mentale. Ça m’a touché psy‐ chologique­ment. J’ai eu des nuits blanches, confie-t-il.

Thomas Delespierr­e, un agent immobilier à Toronto, explique qu’il est illégal pour un propriétai­re d’imposer des mois de loyer d’avance à un locataire potentiel. En re‐ vanche, il n’est pas illégal, en tant que locataire, de propo‐ ser de payer des mois de loyer d’avance. Ça doit vrai‐ ment venir des locataires et pas des propriétai­res, ex‐ plique-t-il.

La vérité, c’est que si un lo‐ cataire ne le fait pas et qu’il n’a pas un dossier extrêmemen­t fort [...] au bout de la troi‐ sième, de la quatrième offre qui est rejetée [...] s’il veut être compétitif, il offre lui-même de payer des loyers d’avance.

Thomas Delespierr­e, agent immobilier

L’Associatio­n des franco‐ phones de la région de York (AFRY) observe aussi les diffi‐ cultés de sa communauté face au logement. Son direc‐ teur général, Jean Grenier Go‐ dard, affirme que les de‐ mandes illégales de paie‐ ments de loyer d’avance des propriétai­res sont courantes dans la région de York. Les propriétai­res sont très frileux et demandent beaucoup de garanties, dit-il.

Si l’on arrive et qu’on n’a pas les moyens financiers de payer six mois de loyer d’un coup au minimum, ça va être très compliqué.

Jean Grenier Godard, direc‐ teur général de l’Associatio­n des francophon­es de la région de York

Rose-Marie Nguyen, tra‐ vailleuse sociale en établisse‐ ment pour l’AFRY, explique qu’il est encore plus compli‐ qué pour les familles que pour les personnes seules d’obtenir un bail. Des familles avec des enfants sont discri‐ minées, affirme-t-elle. Ce n’est écrit nulle part sur les sites in‐ ternet, mais quand vous dites qu’il y a des enfants [...] on ne peut pas louer, dit-elle.

En effet, Gildas Alladaye ra‐ conte que certains proprié‐ taires ont refusé de lui louer un appartemen­t pour les mêmes raisons. Ils m’ont dit : nous, on n’accepte pas les enfants, raconte-t-il.

En Ontario, il est illégal de refuser l’accès à un logement à des familles avec enfants.

La crise du logement peut freiner un nouvel ar‐ rivant

Puiser une grande part de ses économies pour payer son loyer d’avance peut aussi pousser un nouvel arrivant à repenser son installati­on au Canada. C’est le cas de Yas‐ mine Malek Menasria qui, au bout de ses péripéties, re‐ tourne dans son pays natal, l'Algérie.

Mme Menasria a eu du mal à louer un logement dans la région de York lorsqu’elle avait un statut de résident temporaire. Ce n'est peut-être pas de la discrimina­tion mais en quelque sorte la discrimi‐ nation de statut de quel‐ qu'un.

Des propriétai­res [...] de‐ mandaient l’historique de cré‐ dit ou bien un an de loyer d’avance. [...] Finalement, j'ai dit : on peut vous payer juste six mois et le reste en chèque postdatés.

Yasmine Malek Menasria, Algérie

À la suite de ce compro‐ mis, la famille de trois per‐ sonnes a pu s’installer un cer‐ tain temps à Vaughan. Finan‐ cièrement, entre autres, la si‐ tuation se corse et Mme Me‐ nasria et sa famille re‐ broussent chemin vers l’Algé‐ rie. On a tout abandonné. On a vendu tous nos meubles, bradés.

Mme Menasria tente de rester stoïque, mais sa santé mentale en prend un coup. Je suis passée par un épisode de dépression quand je suis ren‐ trée parce que c’était un futur qui a été imaginé, confie-telle.

Autant j'étais sûre de moi, de mes compétence­s, de mes projets, de mes ambitions; au‐ tant maintenant, j’ai peur de faire quoi que ce soit en fait.

Yasmine Malek Menasria, Algérie

Mme Menasria souhaite que Immigratio­n et Citoyen‐ neté Canada informe davan‐ tage les nouveaux arrivants. Ce serait bien d’être informé sur nos droits au logement avant d’arriver au Canada, comme ils le font pour les per‐ mis de travail, dit-elle.

La famille de Mme Menas‐ ria se prépare à revenir au Ca‐ nada l’an prochain, mieux ou‐ tillée face à ce qui l'attend. Toutefois, la mère de famille confie avoir encore des ap‐ préhension­s.

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