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Jade Raymond, vétérane montréalai­se du jeu vidéo

- Stéphanie Dupuis

Sony, Electronic Arts, Ubi‐ soft Montréal et Toronto, EA Motive, Google Stadia, Haven… La feuille de route de Jade Raymond, souvent décrite comme une super‐ vedette internatio­nale du jeu vidéo, a de quoi impres‐ sionner. La Montréalai­se raconte son parcours, ses hauts et ses bas.

Jade Raymond est bel et bien née à Montréal, mais c’est à Knowlton, un petit vil‐ lage des Cantons-de-l’Est, qu’elle a grandi. C’est là qu’elle a eu son premier contact avec la programmat­ion, à l’École primaire francophon­e SaintÉdoua­rd.

Un prof avait décidé de créer un programme expéri‐ mental de robotique auquel deux enfants de l’école pou‐ vaient participer. J’ai été sélec‐ tionnée, et j’ai commencé à programmer, raconte-t-elle.

Cette initiation à la pro‐ grammation a fait naître une grande passion chez elle, qui n’a cessé de grandir depuis. Elle se souvient aussi de ces moments où, haute comme trois pommes, elle s’asseyait sur les genoux de ses cousins à New York pour jouer sur un vieil ordinateur Mac au jeu Adventure.

Quand j’étais toute petite, les jeux n’avaient pas de gra‐ phismes, seulement du texte. Mon plus vieux cousin me li‐ sait les dialogues, et je choisis‐ sais les actions. C’était in‐ croyable!

Jade Raymond

À la maison, l’accès à la té‐ lévision était limité chez Jade Raymond. Son beau-père, un médecin anglophone, et sa mère, une francophon­e tra‐ vaillant dans les centres d’em‐ ploi pour personnes handica‐ pées, n’étaient pas des adeptes de ce divertisse­ment, jugé passif. Les jeux vidéo, ça dérangeait moins. On essayait de résoudre des problèmes, note-t-elle.

En quête d’une carrière

Passionnée autant par les arts que par la technique, Jade Raymond avait d’abord envi‐ sagé une carrière en architec‐ ture. C’est ce que tout le monde me disait de faire avec mon profil, raconte-t-elle.

Une visite en Californie chez son oncle, qui a été consultant pour l’industrie du jeu vidéo, a changé le cours des choses : Je jouais à des jeux avec lui, et j’étais impres‐ sionnée de voir qu’on pouvait avoir comme carrière de les faire. C’était la première fois que je comprenais ça.

De retour à Montréal, elle s'est inscrite en Computer Science (science informa‐ tique) à l’Université McGill.

C’est seulement [en classe] que je me suis rendu compte que [les femmes] n’étaient pas majoritair­es [dans ce mi‐ lieu], note celle qui a aussi étudié en histoire de l’art, un programme qui, à l’inverse, est largement fréquenté par les étudiantes.

Encore là, parmi celles qui étaient inscrites au pro‐ gramme, très peu ont décidé de travailler en programma‐ tion par la suite. Elles ont pra‐ tiquement toutes fait un autre programme ou sont al‐ lées travailler dans d’autres in‐ dustries, se désole Jade Ray‐

mond.

Ses premiers pas

Même si les femmes n’étaient pas nombreuses dans l’industrie du jeu vidéo, elles ont tout de même été présentes tout au long de la carrière de Jade Raymond.

À son premier emploi dans l’industrie, à Sony Online En‐ tertainmen­t, la Montréalai­se recevait les ordres d’une femme. C’est aussi là qu’elle a fait ses premières armes comme productric­e, puis comme responsabl­e du contenu.

Pour son second emploi, cette fois-ci pour le studio Maxis, une filiale d’Electronic Arts, Jade Raymond travaillai­t comme productric­e tech‐ nique sur le jeu de simulation de vie Sims Online. À l’époque, le studio était dirigé par une femme : Lucy Brad‐ shaw. L’équipe était plutôt mixte, car le jeu était joué au‐ tant par des hommes que par des femmes, souligne-t-elle.

C’est toujours très inspi‐ rant d’avoir des femmes comme mentores. [...] Quand j’ai eu pour la première fois des positions de pouvoir, je me demandais quel style de leadership je souhaitais avoir, et comment le développer. C’est beaucoup plus difficile quand tu n’as pas eu beau‐ coup d’exemples, mentionnet-elle.

C’est important de voir des femmes en position de lea‐ dership [...], peu importe l’in‐ dustrie.

Jade Raymond

L’ascension de Jade Ray‐

mond

Se cherchant un nouvel emploi au tournant du millé‐ naire, à la suite d’un passage comme productric­e principale auprès d’une jeune pousse, There Inc., qui aspirait à créer le métavers et qui a fait faillite, les offres ont afflué de par‐ tout dans le monde pour Jade Raymond.

C’était l’arrivée imminente des consoles de nouvelles gé‐ nérations PS3 et la Xbox 360. À cette époque, la Montréa‐ laise caressait le rêve de parti‐ ciper à la création d’un nou‐ veau jeu pour ces engins. C’est ce que lui a offert Ubisoft Montréal, qui l’a recrutée comme productric­e.

Créer un univers au com‐ plet, c’est une opportunit­é en or, insiste Jade Raymond, qui a contribué à donner nais‐ sance à la série à succès As‐ sassin’s Creed.

L’ambition de Jade Ray‐ mond l’a conduite à se faire confier la direction de son premier studio, Ubisoft Toron‐ to, qu’elle a piloté de son ou‐ verture, en 2010, jusqu’en

2014.

Équilibre travail-famille

À l’époque, son mari avait fait le sacrifice de quitter Montréal pour suivre la car‐ rière de sa femme à Toronto. Leur fille avait alors 3 mois, le couple était dans une nou‐ velle ville, et Jade Raymond travaillai­t à bâtir un nouveau studio.

On a eu notre deuxième enfant à Toronto. Après six ans dans cette ville, les grands-parents, qui habitent Montréal, voulaient vraiment voir les enfants. On est reve‐ nus à Montréal pour ça. Pour la famille, explique-t-elle.

J’ai eu un beau parcours à Ubisoft, de superbes opportu‐ nités. Après 10 ans [auprès d’eux], je sentais que c’était le bon moment pour partir.

Jade Raymond

Jade Raymond a peut-être tourné le dos à ce pan impor‐ tant de sa carrière, mais ce qui l’attendait de l’autre côté était un défi encore plus grand dans la métropole québé‐ coise. Elle a ouvert Motive, une filiale d’Electronic Arts, où elle était non seulement res‐ ponsable d’un jeu de Star

Wars – la première fois qu’une compagnie tierce obtenait ces droits – mais aussi respon‐ sable de bâtir trois autres stu‐ dios.

Des personnes ont toute‐ fois décrit son passage à Elec‐ tronic Arts et Motive comme difficile. Son mode de gestion remis en question, elle a fait face à une vague de démis‐ sions.

Tout le monde doit se sen‐ tir bien soutenu, écouté et respecté. Je pense que c’est quelque chose que j’ai changé dans ma façon de gérer. S’il n’y a pas de respect mutuel sur le plancher, ça ne marche pas, avance-t-elle.

Stadia choisit Mont‐ réal… et Jade Raymond

Cette tache au dossier de Jade Raymond n’a pas refroidi le géant de l’informatiq­ue Google, qui l’a nommée viceprésid­ente l’année suivante. Son mandat : bâtir une struc‐ ture de plusieurs studios, dont un à Montréal, pour dé‐ velopper la technologi­e de jeux en nuage (cloud gaming) de Stadia, le nouveau service de Google.

L’entreprise m’a longtemps inspirée de l’extérieur, avec son histoire de croissance in‐ croyable. J’étais curieuse de voir comment ça se passait à l’intérieur.

Jade Raymond

Ce rêve s’est terminé abruptemen­t un an plus tard, quand Google a annoncé la fermeture de ses studios Sta‐ dia, et Jade Raymond a remis sa démission au même mo‐ ment. À l’automne 2022, c’est le service entier de Stadia qui a mis la clé sous la porte.

La vétérane de l’industrie n’est pas sortie amère de cette expérience. Elle en est même reconnaiss­ante. On a pu mettre en place une équipe incroyable, car Google attirait beaucoup de gens. On a donc pu assembler Haven [son nouveau studio] avec beaucoup de ces personnes, mentionne-t-elle.

Ce sont des gens que j’ai connus à différente­s étapes de ma carrière, rencontrés no‐ tamment sur Assassin’s Creed, Watch Dog, et d’autres à Electronic Arts. Nous avons des ambitions communes, ajoute-t-elle.

Le rêve Haven

Depuis 2021, elle tire donc les ficelles de son tout nou‐ veau studio à Montréal, Ha‐ ven, qui s’est fait confier un tout nouveau jeu, pas encore annoncé, par le géant PlaySta‐ tion, son nouveau proprié‐ taire.

On a pris le temps de choi‐ sir le bon partenaire. On vou‐ lait travailler sur le long terme. Sony n’offrait que des avan‐ tages pour l’équipe, avec l’op‐ portunité de faire partie de la famille, d'avoir accès à leur technologi­e et aux équipes centrales, détaille-t-elle.

On aime travailler en‐ semble. On veut créer un ex‐ cellent jeu. On veut créer une marque qui va avoir un effet dans l’industrie.

Jade Raymond

Haven est le premier stu‐ dio canadien de PlayStatio­n, qui a l’ambition d’y grandir.

Je trouve qu’on a une his‐ toire incroyable avec Haven; d'avoir bâti en un an un stu‐ dio de 115 personnes, men‐ tionne-t-elle. C’est une belle histoire pour Montréal et pour le Québec d’avoir une jeune pousse qui a du succès.

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