La récession qui n’inquiète pas (trop)
Jean Charest avait tiré par‐ ti de la crise financière et de la crainte d’une réces‐ sion pour déclencher des élections anticipées en no‐ vembre 2008. « On ne peut pas avoir trois paires de mains sur le gouvernail alors qu'il y a une tempête qui s'annonce », avait plai‐ dé le chef libéral, à la tête d’un gouvernement mino‐ ritaire à l'époque.
La récession, disait-il, me‐ naçait la prospérité écono‐ mique du Québec. Il s’était en‐ gagé, une fois réélu, à dimi‐ nuer les impôts des Québé‐ cois et à investir massivement dans les infrastructures.
Avant même que la réces‐ sion ne se confirme, on avait prévu des mesures d’aide pour les entreprises : un mil‐ liard de dollars avait été réser‐ vé pour consentir des prêts et des garanties de prêt aux en‐ treprises dans le besoin, tan‐ dis qu'un autre milliard devait permettre à la Société géné‐ rale de financement de prendre des participations dans des entreprises québé‐ coises.
Plus récemment, le gou‐ vernement Legault n’a pas hé‐ sité, dès les premiers signes de la pandémie, à annoncer qu’il soutiendrait généreuse‐ ment les particuliers comme les entreprises. L’argent ne se‐ rait pas un problème, avait as‐ suré le premier ministre.
Pas cette fois-ci
Il ne faut s’attendre à rien de tel cette année. Pas de grand plan de sauvetage en vue, pas d’investissements massifs à prévoir, du moins pour l’instant. Bien sûr, le scé‐ nario est bien différent de ce‐ lui de la crise de 2008, qui me‐ naçait l’intégrité du système financier. Et nous ne faisons pas face à autant d’inconnues que lors des premiers jours de la pandémie.
À l’instar de nombreux économistes, le ministre des Finances se veut rassurant. Il y a 100 % de probabilité que la croissance va être plus faible en 2023 qu'en 2022 [...] et je pense que c'est ça qui est le plus important, pas de sa‐ voir si la croissance va être à plus 0,2 % ou moins 0,2 % dans un trimestre donné, a expliqué Eric Girard en marge d’une annonce sur le bouclier fiscal il y a quelques jours.
Il n’a pas émis le moindre signal de vouloir rehausser les dépenses prévues au Plan québécois des infrastructures, qui a déjà été bonifié ces der‐ nières années. À l'instar de son collègue Pierre Fitzgib‐ bon, il a évoqué une aide ponctuelle pour certains types d’entreprises, sans plus. Il faut dire que le gouverneur de la Banque du Canada a luimême prévenu les gouverne‐ ments qu’il ne faudrait pas en faire trop.
L’engagement du gouver‐ nement, pour l’instant, c’est d’aider les Québécois avec la hausse du coût de la vie. Ce serait prématuré de penser à des gestes pour faire face à une récession qui n’est pas encore avérée, confie une source gouvernementale.
Personne ne parle d’une grosse récession qui dure dans le temps [comme en 2008 ou en 2020], ce n’est pas ça qu’on anticipe, ex‐ plique, en coulisses, un autre interlocuteur. Dans un contexte de plein emploi, la donne est différente cette an‐ née. Avec le taux de chômage qu’on a en ce moment, ce ne sera pas un problème. Pour les entreprises, il y a encore des liquidités dans le système. En 2008, il manquait de liqui‐ dités, et là, il y en a trop.
Il y a un scénario où une récession entraîne une baisse du nombre de postes vacants plutôt qu’une hausse du taux de chômage. Mais évidem‐ ment, ce n’est pas facile d’être sûrs qu’elle sera légère et courte. Il faut toujours être aux aguets, confirme notre premier interlocuteur.
Selon une autre source, si la récession se concrétise, elle aura des conséquences limi‐ tées et peut-être même des effets bénéfiques : Il y a des chaînes d’approvisionnement qui sont brisées, ça va être le temps de les réparer.
Dans un contexte de sur‐ chauffe de l’économie et d’in‐ flation, le gouvernement n’en‐ tend pas injecter de nouvel argent au-delà de ce qui a dé‐ jà été prévu. Il ne faudrait pas faire l’erreur de trop dépenser, explique-t-on.
En plein coeur de la pandé‐ mie, alors que le Québec tra‐ versait la pire récession de‐ puis la Deuxième Guerre mondiale, les gouvernements québécois et canadien n’avaient pas hésité à allonger les milliards.
Si l’aide était alors la bien‐ venue, des économistes – et même un ancien gouverneur de la Banque du Canada – se demandent aujourd'hui si les gouvernements occidentaux n’en ont pas trop fait, au point d’être partiellement respon‐ sables de l’inflation actuelle.
Pas d’inquiétude pour le trésor public
Sur le plan des finances publiques, on ne semble pas trop s’en faire non plus. Selon le rapport préélectoral validé par la vérificatrice générale, une récession d’ampleur moyenne priverait le gouver‐ nement québécois de reve‐ nus de 8,3 milliards en cinq ans, en plus d’entraîner des dépenses additionnelles qui n’ont toutefois pas été chiffrées.
Ce scénario vaut toutefois pour une récession qui cause‐ rait une contraction du PIB nominal de 2,8 points la pre‐ mière année et de 0,7 point la seconde. Or, le gouvernement semble tabler sur un scénario de récession moins profonde, s'il s'avère.
L’effet sur les revenus du gouvernement québécois de‐ vrait donc être limité. Et comme Québec n’entend pas hausser les dépenses de ma‐ nière substantielle, on peut penser que le déficit demeu‐ rera maîtrisé.
Depuis le début de l’année financière 2022-2023, le gou‐ vernement a enregistré un surplus de 1,3 milliard. Cela ne tient toutefois pas compte des 3,5 milliards qui seront envoyés aux Québécois sous forme de chèques d’ici la fin de l’année.
Bref, malgré les risques réels de récession, il ne faut pas s’attendre à voir le gou‐ vernement se mobiliser outre-mesure sur ce front et recommencer à dépenser.
Les années passent et l’im‐ minence ou la possibilité d’une récession n'inquiète pas comme cela a déjà été le cas. Du moins, pas pour l'instant.