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En Colombie-Britanniqu­e, le gouverneme­nt Eby démarre à toute vitesse

- Francis Plourde

Financemen­t pour recru‐ ter et former des agents de la GRC, mesures pour amé‐ liorer la sécurité publique, projets de loi pour contrer la crise du logement : de‐ puis son assermenta­tion comme premier ministre, vendredi dernier, David Eby multiplie les annonces. Le Nouveau Parti démocra‐ tique (NPD) en fait-il trop, trop vite?

J’ai l’impression qu’il a fait plus d’annonces en une se‐ maine que certains peuvent en faire en un an, analyse l’ob‐ servateur politique Nicolas Kenny, pour qui la volonté de présenter le nouveau premier ministre comme un homme d’action suscite aussi des questions.

Est-ce qu'on a laissé empi‐ rer certaines situations dans la province pour le bénéfice politique de David Eby? C'est une question soulevée par l'opposition et par certains commentate­urs... toujours est-il que ce qu'on retient principale­ment, c'est une es‐ pèce d'urgence d'agir.

Nicolas Kenny, observa‐ teur politique

Tout au long de la se‐ maine, tant les libéraux que les verts ont d’ailleurs eu du mal à se faire entendre, en rai‐ son de l’abondance des points de presse du nouveau premier ministre, parfois même tard en après-midi.

Le chef de l’opposition offi‐ cielle, Kevin Falcon, en est même venu à affubler son op‐ posant de surnoms peu flat‐ teurs, comme déviant et M. Compétent, tentant de le dépeindre comme un mau‐ vais gestionnai­re, en raison d’une crise à la société d’État BC Housing, sous la responsa‐ bilité de David Eby quand il était ministre du Logement.

Pour Nicolas Kenny, cette urgence d’agir rappelle le gou‐ vernement néo-démocrate de Dave Barrett, dans les an‐ nées 1970. On avait à l’époque critiqué le gouverneme­nt d’en faire trop, trop vite.

Des annonces rapides, mais à quel prix?

Déjà, des failles se des‐ sinent concernant certaines annonces en matière de sécu‐ rité publique. En entrevue avec le quotidien The Globe and Mail, cette semaine, l’exconseill­er du premier ministre Stephen Harper sur les ques‐ tions de justice, Benjamin Per‐ rin, a vertement critiqué les nouvelles politiques de David Eby pour combattre la crimi‐ nalité.

Jusqu’ici, la Couronne ne demandait pas la détention provisoire pour les accusés dont les crimes n’étaient pas passibles de peines d’empri‐ sonnement. Le premier mi‐ nistre a annoncé mettre fin à cette politique, dimanche.

Ça revient à dire qu’on de‐ vrait mettre les gens en dé‐ tention provisoire, même pour des gestes qui n’en‐ traînent pas la prison s’ils sont trouvés coupables, c’est un gros problème, croit le profes‐ seur de droit à l’Université de la Colombie-Britanniqu­e.

Dans la province, où un nombre disproport­ionné de personnes autochtone­s sont incarcérée­s, l’avocat craint que ces nouvelles directives exacerbent le racisme systé‐ mique au sein de l’appareil ju‐ diciaire.

Quand vous sortez [des gens] de la rue, car ils sont en crise - que ce soit parce qu’ils n’ont pas de logement, ont des problèmes de drogue ou de santé mentale - et que vous les mettez en prison, ça empire ces crises, explique Benjamin Perrin.

Ces directives iraient à l’en‐ contre de la Charte cana‐ dienne des droits et libertés. D’autres mesures, qui seront présentées à l'Assemblée lé‐ gislative au printemps, visant à faciliter la saisie de proprié‐ tés d’individus soupçonnés de participer à des activités crimi‐ nelles sans toutefois avoir été reconnus coupables, ou même accusés, remettent en question l'idée même de la présomptio­n d’innocence.

Des projets de loi en mode accéléré

À Victoria, les débats en ac‐ céléré sur des projets de loi annoncés le matin même ont déplu à l’opposition. Déposés lundi, le Housing Supply Act (Loi sur l'offre de logements) et le Building and Strata Sta‐ tutes Amendment Act (Loi modifiant diverses lois concernant la constructi­on et la copropriét­é) obtenaient la sanction royale en quatre jours à peine.

Je sais que pour certains, ça semble être des joutes poli‐ tiques, mais c’est extraordi‐ naire, a expliqué Kevin Falcon en entrevue. Nous avons limi‐ té les débats par le passé, mais la différence c’est que nous donnions un préavis sur le projet de loi en question. Déposer des projets de loi une journée et clore le débat le lendemain, c’est sans précé‐ dent.

Tant les libéraux que les verts craignent que des lois aient été adoptées sans qu’on en comprenne bien les réper‐ cussions potentiell­es.

En l’espace d’une semaine, en raison de la crise du loge‐ ment, 300 000 propriétai­res d’appartemen­ts en coproprié‐ té se sont vus priver de droits qui leur étaient acquis de‐ puis 1964. Le gouverneme­nt croit ainsi pouvoir libérer près de 3000 appartemen­ts va‐ cants pour les offrir sur le marché locatif.

Au cours de séances pro‐ longées jusque tard en soirée, plusieurs députés libéraux ont dénoncé à grands traits le peu de temps consacré à dé‐ battre des deux projets de loi.

Plus discrets, les verts semblent aussi dépassés par la dernière semaine, de même que par l’absence de préavis ou de consultati­on du gou‐ vernement. Ça n’augure rien de bon, disait la cheffe des Verts, Sonia Furstenau, en marge d’une conférence de presse. C’est antidémocr­a‐ tique.

Concernant la loi sur les copropriét­és, nous sommes inondés de messages de gens qui ont toutes sortes d’inquié‐ tudes, déplore Kevin Falcon. Ces inquiétude­s portent no‐ tamment sur l’arrivée d’inves‐ tisseurs non occupants qui pourraient prendre le contrôle d’édifices, sur les dé‐ fis potentiels liés au recrute‐ ment de bénévoles qui gèrent

ces édifices, ou encore sur la spéculatio­n immobilièr­e que cette ouverture soudaine pourrait entraîner.

Gérer les crises

L’heure n’est pas au débat, affirment les néo-démocrates. Nous nous attaquons de front à la crise, a répété à plu‐ sieurs reprises le procureur général et ministre du Loge‐ ment Murray Rankin, cette se‐ maine.

Ce sentiment d’urgence semble d’ailleurs justifié, ex‐ plique Nicolas Kenny. David Eby fait face à une série de crises comme on n’a pas l’ha‐ bitude de voir. Tous les gros dossiers sont en crise : le loge‐ ment, le système de santé, la sécurité publique, l’inflation, le coût de la vie, tout ça!

Le nouveau premier mi‐ nistre a deux ans pour mon‐ trer que ses réformes peuvent porter leurs fruits avant de se présenter devant les électeurs. On parle de pro‐ blèmes de fond qui ne vont pas se régler du jour au lende‐ main », ajoute-t-il. « David Eby doit mettre la machine en marche, pour montrer, d’ici aux prochaines élections, qu’il y a au moins des progrès. Il n’a pas de temps à perdre.

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