Les Offices de protection de la nature face à un nouveau bouleversement
Le gouvernement ontarien veut réduire drastique‐ ment l’implication des Of‐ fices de protection de la nature dans le développe‐ ment urbain. Ce ne serait que le dernier d’une série de bouleversements dans le fonctionnement de ces organismes au cours des quatre dernières années.
Sur la rive ouest de la ri‐ vière Don au coeur de Toron‐ to, un bouquet de bâtiments neufs grandit au milieu d’une zone inondable autrefois considérée impropre à l’habi‐ tation.
Le directeur de l’Office de protection de la nature (OPN) de la région de Toronto, John Mackenzie, explique que la Ville et l’agence Waterfront To‐ ronto ont consulté son orga‐ nisme dès le début du projet.
L’OPN a mené l’évaluation environnementale du déve‐ loppement immobilier des West Don Lands. Il a aussi proposé et créé le monticule de terre longitudinal qui le sé‐ pare de la rivière et qui inclut un parc de sept hectares.
Ce relief de protection contre les inondations est de‐ venu le catalyseur pour la construction de 6000 loge‐ ments [...] et il aide à protéger 500 acres de terre contre les inondations, affirme John MacKenzie.
Il ajoute que l’OPN travaille sur un projet similaire sur la rive est, afin d’y faciliter la construction sécuritaire de 4500 logements. Si le projet de loi 23 est adopté, ça pour‐ rait bien être la dernière fois.
En ce moment, nous me‐ nons des milliers d’évalua‐ tions environnementales par an pour nos partenaires mu‐ nicipaux dans le Grand Toron‐ to [...]. Le projet de loi 23 dit qu’on ne devrait pas être en train d’étudier ça.
John MacKenzie, directeur de l’Office de protection de la nature de la région de Toron‐ to
Le projet de loi visant à ac‐ célérer la construction de lo‐ gements, qui en est à sa troi‐ sième lecture à Queen’s Park, est une loi omnibus qui ap‐ porterait plus d’une vingtaine de modifications à la Loi sur les Offices de protection de la nature.
Elle empêcherait entre autres les municipalités de solliciter les OPN pour des commentaires ou des évalua‐ tions au sujet de propositions ou demandes de développe‐ ment qu’elle étudie.
Extrait du projet de loi 23
(1.1) L’office ne doit pas fournir, en vertu du para‐ graphe (1), dans sa zone de compétence, un programme ou service municipal consis‐ tant à examiner ou à formu‐ ler des observations au sujet d’une proposition, d’une de‐ mande ou d’une autre ques‐ tion présentée aux termes d’une loi prescrite.
Le bureau du ministre des Forêts et des Ressources na‐ turelles a affirmé par courriel que le projet de loi servira à concentrer les activités des Offices de protection de la na‐ ture sur leur but premier, qui est de protéger les gens et les propriétés des impacts des risques naturels.
Il assure également que les OPN pourront continuer à exercer ce mandat, mais n’a pas répondu aux questions de Radio-Canada concernant le vocabulaire du texte de loi et la signification de ce para‐ graphe.
Que font les Offices de protection de la nature?
Les OPN sont des institu‐ tions propres à l’Ontario, créées il y a 76 ans pour gérer les bassins versants de la pro‐ vince. Ce sont elles qui gèrent les permis pour construire en zone inondable en Ontario.
Elles conseillent également les municipalités sur les risques de catastrophes natu‐ relles, les risques environne‐ mentaux et la conservation de leur patrimoine naturel. Elles possèdent certaines terres, notamment des es‐ paces verts utilisés pour des activités récréatives.
Dès 2019, le gouverne‐ ment Ford avait signalé qu’il n’appréciait pas la latitude dont disposaient ces entités. Les changements aux rôles et fonctionnement des OPN se sont accumulés dans les an‐ nées suivantes.
Le ministre peut forcer les OPN à donner des per‐ mis
Depuis 2020, les OPNn’ont plus le droit de refuser un per‐ mis dans un terrain visé par un arrêté de zonage, peu im‐ porte les impacts environne‐ mentaux.
Le ministre du Logement et des Affaires municipales peut émettre un arrêté de zo‐ nage pour définir les règles entourant les activités per‐ mises dans un endroit donné, outrepassant ainsi les consul‐
tations habituelles et les rè‐ glements municipaux à ce su‐ jet.
Un des arrêtés de 2021 concernait des terres hu‐ mides dans la région de Picke‐ ring, où Amazone envisageait de faire construire un entre‐ pôt.
Nous avons été forcés de donner un permis dans cette situation, raconte John Mac‐ Kenzie, avec une note de frus‐ tration dans la voix.
Normalement, on aurait dit non, vous ne pouvez pas avoir de permis pour construire. C’est une terre hu‐ mide et elle est potentielle‐ ment critique.
Amazone a fini par aban‐ donner le projet, mais l’OPN dit que les terres humides ont tout de même été endomma‐ gées. Il songe d’ailleurs à des recours judiciaires contre le promoteur.
L’encadrement munici‐ pal a été resserré
En 2020, le gouvernement a redéfini le mandat principal des OPN, pour le restreindre à la prévention des inonda‐ tions, de l’érosion, et à la pro‐ tection de l’eau potable.
Pour continuer à offrir n’importe quel autre service, les offices doivent mainte‐ nant conclure des protocoles d’entente avec les municipali‐ tés concernées. Ces derniers doivent être conclus avant la fin de 2023.
Les changements appor‐ tés par le gouvernement Ford ne se sont pas arrêtés là.
Les OPN ont notamment été forcés à avoir 70 % de conseillers municipaux parmi leurs membres, quitte à se priver de personnel avec des compétences environnemen‐ tales. Les pouvoirs du mi‐ nistre de la Forêt pour renver‐ ser les décisions liées aux per‐ mis ont été élargis. Le finance‐ ment provincial a connu d’in‐ quiétants soubresauts.
Pour la directrice de l’Asso‐ ciation canadienne de droit environnemental, Me Theresa McClenaghan, toutes ces me‐ sures sont destinées à affaiblir les OPN petit à petit. Ces changements lui semblent toutefois bien mineurs com‐ parés à ce qui s’en vient.
C’était [des changements] importants, mais pas dévasta‐ teurs. [...] Le projet de loi 23 et les politiques qui ont été an‐ noncées simultanément pourraient être catastro‐ phiques.
Me Theresa McClenaghan, Association canadienne de droit environnemental
Des protocoles d’en‐ tente bientôt caduques?
La directrice de Conserva‐ tion Ontario, Angela Coleman, souligne que les protocoles d’entente sur lesquels les mu‐ nicipalités et les OPN tra‐ vaillent depuis 2020, incluent bien des services qui seraient interdits par le projet de loi 23.
Nous avons fait des négo‐ ciations, nous avons été là pour trouver des solutions, pour faire de la collaboration [...] Nous avons travaillé en‐ semble et travaillé fort et c’est comme si c’était annulé.
Angela Coleman, directrice de Conservation Ontario
John MacKenzie est aussi confus:
C’est difficile de com‐ prendre pourquoi, quand nous progressions si bien dans la direction qu’on nous a donnée et étions en train de conclure des accords avec toutes les municipalités, il y a ce soudain revirement.
Encore moins de pouvoir sur les permis en zone inondable
Par ailleurs, si le projet de loi 23 est adopté, les OPN ne pourront plus refuser des per‐ mis pour des raisons liées à la pollution ou à la conservation des terres. Ils ne pourront prendre en compte que les risques pour les inondations et la stabilité du sol.
Angela Coleman estime toutefois que c’est inti‐ mement lié, puisque la pro‐ preté et la conservation des terres humides influencent la trajectoire de l’eau dans un bassin versant et servent de tampon en cas d’inondation.
De notre point de vue, c’est vraiment quelque chose de connecté et c’est quelque chose qu’on doit s’assurer de considérer au début, pas juste à la fin des développements, dit-elle.
Le gouvernement a de son côté défendu l’ensemble du projet de loi 23 comme un grand pas en avant dans son plan pour faire construire 1,5 million de logements en Ontario, tout en réduisant la paperasserie et les frais de dé‐ veloppement. Il n’a pas direc‐ tement répondu aux ques‐ tions de Radio-Canada concernant les impacts sur les Offices de protection de la na‐ ture.
Les débats en chambre sur le projet de loi se sont termi‐ nés vendredi. Le vote a été déferré à lundi.