Des organismes LGBTQ craignent une libération de la parole haineuse
Incompréhension, colère, tristesse… Les attentats dans un club gai à Colorado Springs, aux États-Unis, préoccupent des orga‐ nismes québécois qui viennent en aide à la com‐ munauté LGBTQ+.
Samedi dernier, un tireur est entré avec une arme semiautomatique de type AR-15 dans le Club Q lors d’une per‐ formance de drag queen, tuant 5 personnes et en bles‐ sant 25 autres. Les victimes auraient été plus nom‐ breuses, n’eût été la réaction rapide de clients qui ont su maîtriser le tireur.
Si les problèmes liés à la circulation des armes à feu sont particuliers aux ÉtatsUnis, des organismes québé‐ cois notent une augmenta‐ tion des discours homo‐ phobes et transphobes au Québec.
Il y a une libération de la parole haineuse à l'endroit des minorités visibles. On le sent, on le voit, on est en train tranquillement de glisser, sou‐ ligne Marie Houzeau, direc‐ trice générale du Groupe de recherche et d’intervention sociale (GRIS), dont la mission est de favoriser une meilleure connaissance des réalités LGBTQ+.
Cette radicalisation, Mme Houzeau la constate dans des discours véhiculés dans cer‐ tains grands médias et sur les réseaux sociaux au Québec comme ailleurs. De plus en plus, certaines personnes par‐ viennent à mener ces ques‐ tions sur le terrain de l’opinion et non des droits de la per‐ sonne. On perd les gardefous, ajoute-t-elle.
En juin dernier, la drag queen Barbada, qui présente depuis longtemps des contes destinés aux enfants dans les bibliothèques publiques, a es‐ suyé une vague de commen‐ taires méprisants lors de son passage à Dorval. Quelques semaines plus tard, l’arrondis‐ sement de Saint-Laurent a en‐ visagé d'annuler cette activité dans ses bibliothèques.
La lecture à Saint-Laurent a finalement eu lieu, après que de nombreuses voix, dont des résidents de l’arron‐ dissement et la direction des bibliothèques, se furent éle‐ vées pour appuyer l’artiste Sé‐ bastien Potvin, de son vrai nom. La mairesse de Mont‐ réal, Valérie Plante, s’est ellemême prononcée contre l’an‐ nulation.
Il faut faire attention aux amalgames, estime la direc‐ trice générale du GRIS-Mont‐ réal depuis 2005. On glisse vers le terrain du prosély‐ tisme et de penser [que les drags ou les gais] vont vouloir laver le cerveau des enfants, dit-elle.
Pascal Vaillancourt, direc‐ teur général du service d’écoute téléphonique Inter‐ ligne, constate un recul de‐ puis deux ans. Oui, il y a de l’ouverture, oui, il y a de plus en plus d'initiatives. Mais c'est aussi en corrélation avec de plus en plus de commentaires haineux sur les réseaux so‐ ciaux, dit-il.
Chez Interligne, ancienne‐ ment Gai écoute, les appels n’ont pas augmenté autant cette fois qu’au lendemain de la fusillade dans une boîte de nuit gaie d'Orlando en 2016, qui a fait 50 morts. Ses inter‐ venants ont néanmoins ob‐ servé ces derniers jours plus d'appels portant sur la dys‐ phorie de genre.
Sans doute une consé‐ quence des événements de Colorado Springs ou encore de la Journée du souvenir trans qui avait lieu la semaine dernière, estime Pascal Vaillancourt. C'est difficile à dire, convient-il cependant. Reste qu’il ne faut pas banali‐ ser ou penser que [la vio‐ lence] ne nous affectera ja‐ mais.
Même si les actes de vio‐ lence à l’encontre de la com‐ munauté LGBTQ+ sont mal documentés (et peu déclarés à la police), Statistique Cana‐ da rapportait 259 crimes hai‐ neux ciblant l'orientation sexuelle en 2020 au pays, le deuxième nombre en impor‐ tance enregistré depuis 2009.
Aux États-Unis, des lois anti-LGBTQ+
Aux États-Unis, les dis‐ cours anti-LGBTQ+ sont inti‐ mement liés à la rhétorique du Parti républicain. Plus de 300 lois anti-LGBTQ+ ont été introduites cette année, selon l’organisme américain Human Rights Campaign.
Au Tennessee, des élus ré‐ publicains ont présenté ré‐ cemment un projet de loi qui criminaliserait l’art de la drag en présence d’enfants. L’Ar‐ kansas est devenu le premier État à bloquer la transition médicale aux mineurs trans‐ genre. Le Sénat de Floride a voté en mars une loi qui inter‐ dit les enseignements sur l'identité de genre et l'orienta‐ tion sexuelle dans les écoles primaires publiques.
Les médias de droite, de même que les comptes sur les réseaux sociaux, sont accusés d’inciter à la haine depuis des mois. Libs of TikTok, un compte sur Twitter qui repu‐ blie des vidéos et cible parti‐ culièrement la communauté LGBTQ+, est suivi par plus d’un million de personnes et est régulièrement repris par Fox News. En avril, le Wa‐ shington Post écrivait que le compte [alimentait] la ma‐ chine à indigner de la droite américaine.
Les Proud Boys, groupe classé terroriste au Canada, organisent des protestations à des lectures de drag queens aux enfants partout aux États-Unis.
Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, à Montréal, qui suit ces phénomènes de près, s’inquiète de voir la proliféra‐ tion au Québec de discours qui normalisent la haine, sur‐ tout dans les communautés trans et drag, ou de tout ce qui diffère des rôles de genre traditionnel.
Il y a des hypothèses selon lesquelles l’enjeu du genre se‐ rait une entrée vers l’extré‐ misme, affirme Louis Audet Gosselin, directeur scienti‐ fique et stratégique au Centre. Mais il est certain que ces enjeux de genre de façon large – la misogynie, les incels, les discours anti-notion de genre – mobilisent pas mal une portion de jeunes hommes, ajoute-t-il.
Mona Greenbaum, direc‐ trice générale de la Coalition des familles LGBT+, remarque pour sa part que les per‐ sonnes trans sont une géné‐ ration derrière les autres membres de la communauté en termes d’acceptation so‐ ciale.
La Charte des droits et li‐ bertés a été modifiée en 1977 pour inclure l’orientation sexuelle, et c'est seulement
en 2016 qu’on a ajouté l’iden‐ tité de genre, souligne-t-elle.
Mme Greenbaum est par‐ ticulièrement préoccupée par les lois anti-LGBTQ+ aux ÉtatsUnis. On n'en est pas là au Québec, mais les droits ne sont jamais acquis. On va de l’avant, mais on doit être sur nos gardes, estime-t-elle.