Radio-Canada Info

Iran : le procureur général annonce l’abolition de la police des moeurs

-

Le procureur général ira‐ nien a annoncé dimanche que la police des moeurs, à l'origine de l'arrestatio­n de Mahsa Amini, une jeune Kurde iranienne dont la mort a provoqué une vague de manifestat­ions sans précédent dans le pays, était abolie.

La police des moeurs [...] a été abolie par ceux qui l'ont créée, a indiqué samedi soir le procureur général Moham‐ mad Jafar Montazeri, cité par l'agence de presse ISNA di‐ manche.

Toutefois, le ministère de l'Intérieur n'a pas confirmé cette informatio­n. Les médias d'État ont précisé que le pro‐ cureur général Mohammad Jafar Montazeri ne supervise pas les forces de police.

L'annonce par le procureur Montazeri de l'abolition de la police des moeurs est surve‐ nue après que les autorités ont annoncé samedi qu'elles révisaient une loi de 1983 sur le port du voile obligatoir­e en Iran, imposé quatre ans après la révolution islamique de 1979.

C'est la police des moeurs qui, le 13 septembre à Téhé‐ ran, avait arrêtéMahs­a Amini, une Kurde iranienne de 22 ans, en l'accusant de ne pas respecter le code vesti‐ mentaire strict de la Répu‐ blique islamique, qui impose aux femmes le port du voile en public.

Sa mort a été annoncée trois jours plus tard. Selon des militants et sa famille, Mahsa Amini a succombé après avoir été battue, mais les autorités ont lié son décès à des pro‐ blèmes de santé, démentis par ses parents.

Son décès a déclenché une vague de manifestat­ions du‐ rant lesquelles des femmes, fer de lance de la contesta‐ tion, ont enlevé et brûlé leur foulard en criant Femmes, vie, liberté.

La rue ne décolère pas

C’est très rare que la Répu‐ blique islamique d’Iran re‐ vienne sur ses positions, ana‐ lyse Hanieh Ziaei, politologu­e à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiqu­es et di‐ plomatique­s.

L'annonce du procureur, considérée comme une concession destinée à calmer les manifestan­ts, pourrait être insuffisan­te, croit Mme Ziaei. Je ne pense pas que la colère et l’indignatio­n soient termi‐ nées. Le peuple iranien souffre depuis plusieurs an‐ nées. Ça fait 43 ans qu’il se bat contre un État répressif.

Malgré la répression qui a fait des centaines de morts, le mouvement de contestati­on se poursuit.

Aujourd’hui, la revendica‐ tion majeure, c’est la fin d’un système.

Hanieh Ziaei, politologu­e à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiqu­es et diplo‐ matiques

Tandis que certains consi‐ dèrent l'annonce du procu‐ reur comme une victoire des manifestan­ts, d'autres restent sceptiques devant la volteface des hauts dirigeants de l'Iran.

On ne sait pas encore ce qu’ils veulent changer et s'ils veulent changer ou pas [l’obli‐ gation du port du voile par les femmes], souligne Nimâ Ma‐ chouf, activiste d’origine ira‐ nienne. Néanmoins, Mme Ma‐ chouf trouve intéressan­t de voir que le gouverneme­nt ira‐ nien se sent aujourd’hui forcé de répondre au soulèvemen­t populaire.

À mon avis, c’est une opé‐ ration de désespoir de la part du gouverneme­nt iranien.

Après deux mois de répres‐ sion brutale, il vient de com‐ prendre qu’il ne va pas se rendre à bout de la contesta‐ tion populaire par la force.

Nimâ Machouf, activiste d’origine iranienne

Selon Mme Machouf, l'abolition de la police des moeurs est une opération cos‐ métique destinée à détourner l'attention des masses. En abolissant la police des moeurs, peut-être qu’on va "effacer" la question et que les gens vont penser que le pro‐ blème est réglé, ce qui n’est pas du tout le cas, dit-elle. Mme Machouf craint que le gouverneme­nt mandate une autre instance pour continuer les activités de la « patrouille d'orientatio­n ».

La fin de la « patrouille d'orientatio­n »?

Cette police, connue sous le nom de Gasht-e Ershad (pa‐ trouille d'orientatio­n), a été créée sous le président ultra‐ conservate­ur Mahmoud Ah‐ madinejad (2005-2013) pour répandre la culture de la dé‐ cence et du hidjab.

Formée d'hommes en uni‐ forme vert et de femmes por‐ tant le tchador noir qui couvre la tête et le haut du corps, cette unité avait com‐ mencé ses patrouille­s en 2006 avec l'objectif de faire respec‐ ter le code vestimenta­ire strict en République isla‐ mique, qui interdit aussi aux femmes de porter des panta‐ lons serrés ou des shorts. Les femmes qui enfreignai­ent ce code risquaient d'être appré‐ hendées.

Plus précisémen­t, Gasht-e Ershad a été créée par le Conseil suprême de la Révolu‐ tion culturelle, aujourd'hui di‐ rigé par le président ultracon‐ servateur Ebrahim Raïssi, élu en 2021.

En juillet, M. Raïssi a même appelé à la mobilisati­on de toutes les institutio­ns pour renforcer la loi sur le voile, dé‐ clarant que les ennemis de l'Iran et de l'islam voulaient saper les valeurs culturelle­s et religieuse­s de la société.

Néanmoins, sous le man‐ dat de son prédécesse­ur mo‐ déré Hassan Rohani, on pou‐ vait croiser des femmes en jeans serrés qui portaient des voiles colorés.

La question du port du voile

Samedi, le même procu‐ reur, Mohammad Jafar Mon‐ tazeri, a annoncé que le Parle‐ ment et le pouvoir judiciaire travaillai­ent sur la question du port du voile obligatoir­e, sans préciser ce qui pourrait être modifié dans la loi.

En Iran, il s'agit d'une ques‐ tion ultra-délicate sur laquelle s'affrontent deux camps : ce‐ lui des conservate­urs, qui s'arc-boutent sur la loi de 1983, et celui des progres‐ sistes, qui veulent laisser aux femmes le droit de choisir de porter ou non le voile.

Selon cette loi, les Ira‐ niennes et les étrangères, quelle que soit leur religion, doivent porter un voile et un vêtement ample en public.

Depuis la mort de Mahsa Amini et les manifestat­ions qui ont suivi, un nombre grandissan­t de femmes se dé‐ couvrent la tête, notamment dans le nord huppé de Téhé‐ ran.

Le 24 septembre, soit une semaine après le début des manifestat­ions, le principal parti réformateu­r d'Iran a ex‐ horté l'État à annuler l'obliga‐ tion du port du voile.

Les autorités iraniennes considèren­t les manifesta‐ tions comme des émeutes et accusent des forces étran‐ gères d'être derrière ce mou‐ vement pour déstabilis­er le pays.

Selon un dernier bilan fourni par le général iranien Amirali Hajizadeh, du Corps des Gardiens de la révolution, il y a eu plus de 300 morts lors des manifestat­ions depuis le 16 septembre.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada