Les États américains pourront-ils décider du sort des élections présidentielles?
L'air de rien, une cause des plus importantes se trouve aujourd'hui sur la table des neuf juges de la Cour su‐ prême des États-Unis.
Le plus haut tribunal du pays devra répondre à une question cruciale sur le pou‐ voir des États face à Washing‐ ton au moment des élections fédérales.
La question dont les juges devront débattre est claire : En vertu de la Constitution des États-Unis, l'organe légis‐ latif de l'État, indépendam‐ ment de toute contrainte im‐ posée par les tribunaux d'État ou d'autres lois, a-t-il le pou‐ voir exclusif de réglementer les élections fédérales?
À l’origine de cette cause : la Caroline du Nord, où les ré‐ publicains ont proposé un re‐ découpage de la carte électo‐ rale de l’État. Un redécoupage effectué selon le principe du gerrymandering, qui favori‐ sait grandement les républi‐ cains.
Pour la petite histoire, le redécoupage territorial peut avoir lieu tous les 10 ans, après chaque recensement. Le parti au pouvoir dans cha‐ cun des États peut alors en re‐ dessiner la carte électorale afin que chaque district compte à peu près le même nombre de résidents.
Mais, pour s’assurer d'avoir une super-majorité lors des élections suivantes, ils tracent presque au scalpel politique les limites de ces dis‐ tricts afin de répartir les votes selon leurs besoins.
C’est ce qu’on appelle le gerrymandering, un charcu‐ tage électoral dont l’origine re‐ monte à 1811, lorsque le gou‐ verneur du Massachusetts, El‐ bridge Gerry, avait été accusé d’avoir dessiné sa circonscrip‐ tion afin de garantir le succès de son parti aux élections. Comme ce découpage électo‐ ral avait la forme d’une sala‐ mandre, un mot-valise a été créé avec « Gerry » et une par‐ tie du mot salamandre en an‐ glais (salamander) pour obte‐ nir le gerrymandering.
Revenons maintenant à notre cause en Caroline du Nord. En début d'année, la Cour suprême de l’État en a rejeté les cartes électorales et législatives et a ordonné que de nouvelles cartes soient établies.
L'histoire ne s'est pas arrê‐ tée là, puisque les législateurs de la Caroline du Nord ont fait appel de la décision du tribu‐ nal de l'État et ont obtenu que leur cas soit examiné par le plus haut tribunal du pays.
Une théorie bancale au coeur du problème
En demandant à la Cour suprême de rétablir la carte redécoupée, les législateurs républicains de la Caroline du Nord s'appuient sur une in‐ terprétation plutôt libre, cer‐ tains diront erronée, d'une clause électorale de la Consti‐ tution, connue sous le nom de théorie de la législature in‐ dépendante de l’État.
Certains en font une lec‐ ture plutôt littérale qui ren‐ drait les tribunaux et la Constitution de l'État impuis‐ sants en matière d'élections fédérales.
Un précédent lourd de conséquences
Les tribunaux ont rejeté cette théorie à de nom‐ breuses reprises au fil des ans. Par exemple, en 1916, la Cour suprême a jugé que les citoyens de l'Ohio avaient le droit d'opposer leur veto aux lois électorales par le biais de référendums populaires.
Et près d'un siècle plus tard, la Cour suprême a jugé que la commission indépen‐ dante de redécoupage des cir‐ conscriptions électorales de l'Arizona, adoptée par une ini‐ tiative populaire, était consti‐ tutionnelle.
Le fait que la Cour su‐ prême actuelle se soit saisie d'un cas de législature de l’État indépendant signifie que des décennies de précé‐ dents pourraient être en péril. En effet, pour que la Cour se saisisse officiellement d'une affaire, quatre juges doivent accepter de l'entendre. Et c’est ce qui est arrivé dans le cas présent.
Une théorie à l’encontre de la raison
Dans les faits, la théorie de la législature indépendante des États va à l'encontre du texte constitutionnel, de l'His‐ toire, de la pratique et des précédents.
D’abord, les auteurs de la Constitution américaine n'ont certainement pas établi un ré‐ gime qui permettrait aux lé‐ gislatures des États de régle‐ menter les élections fédérales sans les contrepoids qui s'ap‐ pliquent au pouvoir législatif de ces États.
Ensuite, selon cette doc‐ trine, une législature d'État se‐ rait alors autorisée à violer la Constitution de l'État qui l'a créée. Ce qui serait une absur‐ dité en soi.
Mais il reste que l'adoption de la théorie de la législature indépendante de l'État signi‐ fierait également que les élec‐ teurs partout au pays n'au‐ raient aucun recours judiciaire – ni devant un tribunal d'État ni devant un tribunal fédéral – pour lutter contre le charcu‐ tage partisan qu’est le gerry‐ mandering.
Les impacts, selon les alarmistes
D'après Represent US, un organisme militant qui a parti‐ cipé au combat contre la légis‐ lature républicaine de la Caro‐ line du Nord, si la Cour su‐ prême des États-Unis donnait raison aux demandeurs, toutes les élections fédérales subséquentes se tiendraient dans le chaos et des centaines de règles électorales mises en place par le biais d'initiatives de vote, de constitutions d'État et de réglementations administratives pourraient être annulées.
L’organisation va même plus loin et est d'avis que les processus d'inscription des électeurs, de vote par corres‐ pondance et de vote secret seraient en danger. Les légis‐ lateurs des États pourraient aussi, selon Represent US, être en mesure d'adopter des lois de suppression des votes sans aucun contrôle ni contrepoids de la part des tri‐ bunaux des États ou même du veto du gouverneur.
Des craintes exagérées?
Est-ce à dire qu’en cas de gain de cause, les États se‐ raient plénipotentiaires quant