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Les États américains pourront-ils décider du sort des élections présidenti­elles?

- Frédéric Arnould

L'air de rien, une cause des plus importante­s se trouve aujourd'hui sur la table des neuf juges de la Cour su‐ prême des États-Unis.

Le plus haut tribunal du pays devra répondre à une question cruciale sur le pou‐ voir des États face à Washing‐ ton au moment des élections fédérales.

La question dont les juges devront débattre est claire : En vertu de la Constituti­on des États-Unis, l'organe légis‐ latif de l'État, indépendam‐ ment de toute contrainte im‐ posée par les tribunaux d'État ou d'autres lois, a-t-il le pou‐ voir exclusif de réglemente­r les élections fédérales?

À l’origine de cette cause : la Caroline du Nord, où les ré‐ publicains ont proposé un re‐ découpage de la carte électo‐ rale de l’État. Un redécoupag­e effectué selon le principe du gerrymande­ring, qui favori‐ sait grandement les républi‐ cains.

Pour la petite histoire, le redécoupag­e territoria­l peut avoir lieu tous les 10 ans, après chaque recensemen­t. Le parti au pouvoir dans cha‐ cun des États peut alors en re‐ dessiner la carte électorale afin que chaque district compte à peu près le même nombre de résidents.

Mais, pour s’assurer d'avoir une super-majorité lors des élections suivantes, ils tracent presque au scalpel politique les limites de ces dis‐ tricts afin de répartir les votes selon leurs besoins.

C’est ce qu’on appelle le gerrymande­ring, un charcu‐ tage électoral dont l’origine re‐ monte à 1811, lorsque le gou‐ verneur du Massachuse­tts, El‐ bridge Gerry, avait été accusé d’avoir dessiné sa circonscri­p‐ tion afin de garantir le succès de son parti aux élections. Comme ce découpage électo‐ ral avait la forme d’une sala‐ mandre, un mot-valise a été créé avec « Gerry » et une par‐ tie du mot salamandre en an‐ glais (salamander) pour obte‐ nir le gerrymande­ring.

Revenons maintenant à notre cause en Caroline du Nord. En début d'année, la Cour suprême de l’État en a rejeté les cartes électorale­s et législativ­es et a ordonné que de nouvelles cartes soient établies.

L'histoire ne s'est pas arrê‐ tée là, puisque les législateu­rs de la Caroline du Nord ont fait appel de la décision du tribu‐ nal de l'État et ont obtenu que leur cas soit examiné par le plus haut tribunal du pays.

Une théorie bancale au coeur du problème

En demandant à la Cour suprême de rétablir la carte redécoupée, les législateu­rs républicai­ns de la Caroline du Nord s'appuient sur une in‐ terprétati­on plutôt libre, cer‐ tains diront erronée, d'une clause électorale de la Consti‐ tution, connue sous le nom de théorie de la législatur­e in‐ dépendante de l’État.

Certains en font une lec‐ ture plutôt littérale qui ren‐ drait les tribunaux et la Constituti­on de l'État impuis‐ sants en matière d'élections fédérales.

Un précédent lourd de conséquenc­es

Les tribunaux ont rejeté cette théorie à de nom‐ breuses reprises au fil des ans. Par exemple, en 1916, la Cour suprême a jugé que les citoyens de l'Ohio avaient le droit d'opposer leur veto aux lois électorale­s par le biais de référendum­s populaires.

Et près d'un siècle plus tard, la Cour suprême a jugé que la commission indépen‐ dante de redécoupag­e des cir‐ conscripti­ons électorale­s de l'Arizona, adoptée par une ini‐ tiative populaire, était consti‐ tutionnell­e.

Le fait que la Cour su‐ prême actuelle se soit saisie d'un cas de législatur­e de l’État indépendan­t signifie que des décennies de précé‐ dents pourraient être en péril. En effet, pour que la Cour se saisisse officielle­ment d'une affaire, quatre juges doivent accepter de l'entendre. Et c’est ce qui est arrivé dans le cas présent.

Une théorie à l’encontre de la raison

Dans les faits, la théorie de la législatur­e indépendan­te des États va à l'encontre du texte constituti­onnel, de l'His‐ toire, de la pratique et des précédents.

D’abord, les auteurs de la Constituti­on américaine n'ont certaineme­nt pas établi un ré‐ gime qui permettrai­t aux lé‐ gislatures des États de régle‐ menter les élections fédérales sans les contrepoid­s qui s'ap‐ pliquent au pouvoir législatif de ces États.

Ensuite, selon cette doc‐ trine, une législatur­e d'État se‐ rait alors autorisée à violer la Constituti­on de l'État qui l'a créée. Ce qui serait une absur‐ dité en soi.

Mais il reste que l'adoption de la théorie de la législatur­e indépendan­te de l'État signi‐ fierait également que les élec‐ teurs partout au pays n'au‐ raient aucun recours judiciaire – ni devant un tribunal d'État ni devant un tribunal fédéral – pour lutter contre le charcu‐ tage partisan qu’est le gerry‐ mandering.

Les impacts, selon les alarmistes

D'après Represent US, un organisme militant qui a parti‐ cipé au combat contre la légis‐ lature républicai­ne de la Caro‐ line du Nord, si la Cour su‐ prême des États-Unis donnait raison aux demandeurs, toutes les élections fédérales subséquent­es se tiendraien­t dans le chaos et des centaines de règles électorale­s mises en place par le biais d'initiative­s de vote, de constituti­ons d'État et de réglementa­tions administra­tives pourraient être annulées.

L’organisati­on va même plus loin et est d'avis que les processus d'inscriptio­n des électeurs, de vote par corres‐ pondance et de vote secret seraient en danger. Les légis‐ lateurs des États pourraient aussi, selon Represent US, être en mesure d'adopter des lois de suppressio­n des votes sans aucun contrôle ni contrepoid­s de la part des tri‐ bunaux des États ou même du veto du gouverneur.

Des craintes exagérées?

Est-ce à dire qu’en cas de gain de cause, les États se‐ raient plénipoten­tiaires quant

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