Radio-Canada Info

1100 personnes sur la liste d’attente pour de l’hébergemen­t en santé mentale au Québec

- Daniel Boily, Davide Gentile

Lorsqu’elle a décidé, cet automne, de vendre sa maison de chambres à Lon‐ gueuil, sur la Rive-Sud, Ro‐ sanne Desjardins a tourné la page sur 30 ans consa‐ crés à s’occuper de rési‐ dents aux prises avec des problèmes de santé men‐ tale.

J’ai aimé le travail que je fai‐ sais […], c’était comme mes enfants, se rappelle Mme Des‐ jardins.

Lors de notre passage, au mois de novembre, elle nous a fait visiter les lieux où elle a déjà hébergé une douzaine de personnes.

Le monsieur qui vivait dans cette chambre a beau‐ coup pleuré quand il a appris qu’on vendait, dit-elle. Il est al‐ lé dans une autre résidence, c’était triste de voir ça.

À l’extérieur, Rosanne Des‐ jardins a accueilli Claude, qui revenait d’une activité dehors.

J'étais bien ici, on a eu du fun, on mangeait beaucoup, je sortais prendre des marches, faire du bicycle, on jasait, raconte-t-il. Là, c’est un peu difficile, tous mes amis sont partis.

Claude devait déménager au cours des jours suivants dans une résidence adaptée à sa déficience intellectu­elle.

Depuis le décès de son conjoint, en 2015, Mme Des‐ jardins a constaté, au fil du temps, qu’elle et sa fille avaient besoin d’aide, que son activité n’était plus rentable et que la bureaucrat­ie l’accablait.

Un problème à Mont‐ réal, en Montérégie, au Sa‐ guenay et en Estrie

Cette fermeture illustre certains des problèmes avec lesquels sont aux prises plu‐ sieurs établissem­ents de san‐ té : créer de nouvelles places pour compenser les ferme‐ tures et adapter les soins à une clientèle aux besoins plus complexes.

Selon une compilatio­n réa‐ lisée par Radio-Canada auprès de 21 établissem­ents de santé au Québec, les noms de plus de 1100 personnes figuraient au mois d’octobre sur une liste d’attente pour de l'héber‐ gement en santé mentale.

Ce nombre représente plus de 16 % de la capacité to‐ tale d’hébergemen­t, qui s'élève à 6844 places.

À Montréal, par exemple, le réseau a perdu 250 places depuis le mois de mars 2022.

En Montérégie-Centre, la liste d’attente de 75 per‐ sonnes est une des plus longues au Québec compte tenu de la capacité d’héberge‐ ment actuelle.

Comme le précise la porteparol­e du CISSS, Joëlle Jetté, une nouvelle ressource inter‐ médiaire ouvrira en 2023, ce qui permettra l’ajout de 20 places pour héberger les cas complexes, et un proces‐ sus de recrutemen­t de res‐ sources de type familial (RTF) est en cours afin de combler à terme 31 places.

Un projet pilote de super‐ vision en appartemen­t est aussi en cours d'élaboratio­n.

Cet établissem­ent héberge également 10 usagers en san‐ té mentale dans des chambres louées à l’Hôtel Brossard.

En Estrie, on a enregistré en octobre le pourcentag­e le plus élevé d’usagers sur la liste d’attente par rapport à la capacité d’hébergemen­t de 233 places.

La diminution de 29 places […] est due au fait qu'une res‐ source pour des apparte‐ ments supervisés, qui faisait partie du parc de ressources de notre établissem­ent, est maintenant devenue une res‐ source privée, a expliqué par courriel la conseillèr­e en com‐ munication au CHUS de l'Es‐ trie, Marie-Ève Nadeau.

Quatre-vingt-cinq per‐ sonnes sont en attente, soit en milieu hospitalie­r, soit en résidences privées et en loge‐ ments autonomes, avec le soutien des équipes de proxi‐ mité en santé mentale, a ajou‐ té Mme Nadeau. Des en‐ tentes en matière d’héberge‐ ment dans des ressources in‐ termédiair­es totalisant 65 places arriveront à échéance en 2023.

Miser sur la fluidité, pas seulement sur la construc‐ tion

Pour le responsabl­e de ce dossier dans le réseau de la santé à Montréal, la gestion de la liste d’attente pour de l'hébergemen­t en santé men‐ tale ne passe pas seulement par la création de nouvelles chambres.

Il ne faut pas juste ajouter des places et des places d’hé‐ bergement […], il y a beau‐ coup de choses à travailler pour ce qui est de la fluidité de la clientèle dans le réseau actuel, soutient Amine Saadi, directeur adjoint à la Direction des programmes de santé mentale et dépendance­s au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-deMontréal.

De l’avis de M. Saadi, l’ave‐ nir passe par une culture de rétablisse­ment […] où les usa‐ gers retournent vraiment dans la communauté, dans des appartemen­ts supervisés.

Ce gestionnai­re du CIUSSS vise un rehausseme­nt du nombre de places à 3000 d’ici 2024 et se dit confiant de pouvoir attirer des promo‐ teurs compétents.

Entre-temps, les répercus‐ sions se font sentir.

Comme le constate le psy‐ chiatre Olivier Farmer, il y a cinq ou six ans, quand on avait un jeune qui avait be‐ soin d'un foyer de groupe, à l'intérieur de quatre ou cinq semaines, on trouvait quelque chose, mais maintenant, on est rendus à quatre, cinq, six, voire sept mois, alors on se tourne vers une ressource privée ou une chambre.

Tout ça sans compter les patients hospitalis­és en psy‐ chiatrie qui occupent un lit en attendant une place d’héber‐ gement appropriée.

On a entre 12 % et 20 % de nos lits qui sont en fait blo‐ qués […]. Une grande propor‐ tion de nos lits prévus pour des gens malades sont utilisés par des gens qui résident là, regrette M. Farmer, qui est membre du conseil d’adminis‐ tration de l’Associatio­n des médecins psychiatre­s du Qué‐ bec.

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