Obésité : des patients et des médecins réclament le remboursement de médicaments
Des centaines de patients au Québec sont en attente d’une greffe, mais ne peuvent subir la chirurgie parce qu’ils doivent perdre du poids. Des médicaments existent pour les aider, mais ils ne sont pas rem‐ boursés par la Régie de l'as‐ surance maladie du Qué‐ bec (RAMQ). Médecins et patients demandent au mi‐ nistère de la Santé de re‐ voir sa position.
On a essayé les régimes, les régimes liquides, on a tout essayé, explique la femme dans la soixantaine. Appe‐ lons-la Caroline, parce qu’elle préfère demeurer anonyme.
Depuis longtemps, elle souffre d’une maladie pulmo‐ naire et, aujourd’hui, sa capa‐ cité respiratoire est réduite à seulement 25 %.
Je ne sors plus, parce que ça m’en demande trop. J’ai beau avoir mes appareils res‐ piratoires, tout déplacement est dur pour moi. Je vous di‐ rais que c’est une qualité de vie épouvantable.
Depuis maintenant 10 ans, elle attend une greffe des poumons. Mais pour avoir ac‐ cès à cette chirurgie, elle doit perdre du poids. Le problème, c’est que les médicaments qu’elle prend en ce moment sont la cause de son surpoids.
Un autre médicament, un sémaglutide qu’elle a testé pendant quelque temps, lui a permis d’avoir un peu d’es‐ poir. Elle a perdu 15 livres en deux mois.
Ce médicament, qui s’ap‐ pelle Ozempic, est utilisé par les diabétiques. Mais en doses plus importantes, il est très ef‐ ficace pour faire perdre du poids.
Cependant, Ozempic n’est pas couvert par la RAMQ pour la perte de poids; elle doit donc débourser plus de 300 $ par mois pour l’obtenir. Ce qu’elle refuse de faire. Je ne comprends pas la personne qui décide ça, qui ne com‐ prend pas. Je trouve que ce n’est pas comprendre plus loin que son nez. Je trouve que c’est aberrant, je trouve ça épouvantable, laisse-t-elle tomber.
Des centaines de pa‐ tients
Son cas n’est pas unique. Des centaines de patients sont dans une situation simi‐ laire au Québec : pour avoir accès à une greffe, de rein ou de poumon par exemple, il faut qu’ils perdent du poids. Des médicaments sont sus‐ ceptibles de les aider, mais ils sont tout simplement inac‐ cessibles.
Au Québec, les médica‐ ments contre l’obésité font l’objet d’une exclusion régle‐ mentaire au régime général d’assurance médicaments, la RAMQ, depuis 1997, et il n’y a pas d’exception, pas même pour les gens en attente de greffe.
Un règlement dénoncé par des médecins comme le doc‐ teur Yves Robitaille, un spécia‐ liste en médecine interne qui travaille au Centre de méde‐ cine métabolique de Lanau‐ dière. Des patients obèses qui bénéficieraient d’un traite‐ ment pharmacologique, il en voit tous les jours.
J’ai déjà essayé, pas pour des situations aussi tristes que celle-là, mais pour d’autres situations, des pa‐ tients vraiment mal en point, et on reçoit systématique‐ ment de la RAMQ toujours la même réponse, c’est cet ar‐ ticle-là, 6.3, qui est un cas d’ex‐ clusion, donc il n’y a aucune couverture possible.
Il note cependant que des assureurs privés pourraient couvrir certains médicaments, mais que plusieurs calquent la RAMQ.
Avec l'évolution de la re‐ cherche, de nouvelles molé‐ cules pourraient avoir le même effet sur des patients qu’une chirurgie bariatrique. D’où l’importance, note le mé‐ decin, de revoir les règle‐ ments.
On arrive avec des molé‐ cules qui vont avoir la puis‐ sance d’une chirurgie baria‐ trique, donc on vient libérali‐ ser un peu l’accès à des traite‐ ments plus puissants. C’est en montée, les problèmes de poids, d’une part, et, d’autre part, on a des molécules qui arrivent et qui permettent de lutter, avec une puissance in‐ téressante, contre ces pro‐ blèmes-là. Il faut qu’on brasse la soupe, c’est le temps, dit-il.
Pas l’unanimité
Mais tous les médecins sont loin de soutenir l’idée de se tourner vers les médica‐ ments pour lutter contre l’obésité.
Le cardiologue Paul Poirier est chercheur à l'Institut uni‐ versitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec; s’il est d’accord sur le fait qu’il de‐ vrait y avoir des exceptions dans le remboursement de certains médicaments, il est loin d’être convaincu que la pharmacothérapie est une so‐ lution viable pour l’instant.
Si tu me dis : "J’ai un pa‐ tient cardiaque, qui a été pon‐ té, qui a été dilaté, ou qui est insuffisant cardiaque", que de perdre du poids va diminuer les hospitalisations, qui va di‐ minuer les récidives, OK. Mais show me the data [montrezmoi les données]. Ils ne sont pas existants, les résultats, ils sont en train de se faire, ex‐ plique-t-il.
Récemment, l’Institut na‐ tional d'excellence en santé et services sociaux (INESS), qui évalue l’efficacité et les coûts des médicaments, a publié un document sur les traitements en pharmacothérapie dans le traitement de l’obésité, pour nourrir la réflexion du minis‐ tère de la Santé dans ce dos‐ sier.
Au cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé, un porte-parole indique qu’une analyse complète du dossier de l’obésité, y compris le do‐ cument de l’INESS, a été de‐ mandée.
Il n'y a qu'une poignée de pays dans le monde qui offrent la couverture de ces médicaments, et le Canada n'en fait pas partie. L’Australie et le Royaume-Uni rem‐ boursent, à certaines condi‐ tions, un nombre restreint de médicaments utilisés dans le traitement de l’obésité.
À lire et à écouter :
Un groupe de médecins s’organise afin de mieux trai‐ ter l’obésité AUDIO : L'heure du monde - Être victime de préjugés liés au surpoids ou à l'obésité